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Les  composés  azotés

Les  travaux  de  Richard  Goody  

Pendant la Seconde guerre mondiale, Richard Goody connaît un sort identique à Alan Brewer : il se retrouve à l’école dobsonienne et devient un scientifique de l’atmosphère globale. Fraîchement diplômé d’un ‘Bachelor degree in Physics’ obtenu à l’Université de Cambridge, le jeune Richard Goody (Figure 14 (a)) est envoyé en 1942 au Sud de l’Angleterre, dans la plaine de Salisbury, où s’étend encore aujourd’hui l’'Army Training Estate Salisbury Plain' (SPTA) britannique. C’est depuis cette base militaire située non loin de Stonehenge, au sein de l’‘Aircraft and Armament Experimental Establishment’ d’Amesbury, que R. Goody réalise ses premiers vols à bord d’avions militaires (voir Figure 14(b)), parfois de simples prototypes. On lui a confié la mesure de caractéristiques physico-chimiques de l’atmosphère utiles à la ‘Royal Air Force’. Goody assiste alors « quelque peu (“in small ways”) » Gordon Dobson et Alan Brewer « dans leurs mesures pionnières sur la vapeur d’eau dans la stratosphère », relatera-t-il soixante ans plus tard [Goody, 2002, p. 3].

                                                                                                               

haute atmosphère », Barbier et Chalonge se contentent-ils de distinguer la « composition au sol » de celle de la « haute atmosphère » :

- la première est dominée par l’azote, l’oxygène et l’argon, auxquels viennent s’ajouter des gaz en très faibles concentrations (CO2, H2, Ne, He, Xe, Kr, H2O, O2, et des « émanations » des éléments radioactifs), « les gaz dont la concentration varie fortement » étant la vapeur d’eau, le gaz carbonique, « l’émanation » radioactive, et l’ozone (sans que l’on puisse expliquer ses variations, si ce n’est par des hypothétiques échanges d’ozone avec la stratosphère, qui ne peuvent être quantifiés précisément ; il n’existe en effet alors aucune théorie de formation chimique de l’ozone dans la troposphère) ;

- la seconde est caractérisée, toujours en ce qui concerne les composés à l’état gazeux, par l’ozone, dont la concentration « passe par un maximum entre 20 et 30 kilomètres », et par la vapeur d’eau. Enfin, écrivent Chalonge et Barbier, d’« autres constituants de l’atmosphère susceptibles de dosages globaux » ont été identifiés : le CO2, depuis le siècle précédent, mais aussi plus récemment « des oxydes d’azote N2O2 et N2O », dont « il y aurait lieu de rechercher [s’ils] sont plus abondants en haute altitude qu’au sol ». « Cela n’aurait rien d’invraisemblable », ajoutent les auteurs dans cet ouvrage de 1942, soit une dizaine d’années avant les travaux de Goody sur ces composés. [Barbier & Chalonge, 1942, « Chapitre III », pp. 38-62]

(a) (b) Figure 14 : (a) Richard Goody en 2002 ; (b) le « Mosquito fighter-bomber », à la structure en bois,

utilisé par Goody durant la Seconde Guerre Mondiale pour effectuer des mesures atmosphériques (température, concentration en vapeur d’eau, flux radiatifs)

[Goody, 2002, page de garde & p. 3]

Après-guerre, R. Goody continue sa carrière dans la lignée de ses travaux belligérants. Il ne se joint pas au programme de mesure d’ozone et d’étude de la dynamique convective troposphère-stratosphère de Dobson et Brewer. En lui prêtant un rapport de Pekeris (Pekeris, 1932, “The development and present status of the theory of the heat balance of the atmosphere”, MIT Meteorological Course, 82 pages), Brewer l’a aiguillé vers une autre problématique atmosphérique : l’équilibre radiatif de l’atmosphère globale. Dès lors, les travaux de Goody porteront principalement sur la composition et les grands mouvements dynamiques des moyenne et haute atmosphères de la planète Terre et de ses voisines. Il s’obstinera en particulier à quantifier les gaz pouvant avoir une influence significative sur la

présence de vie sur Terre ou sur le climat global.113

                                                                                                               

113 Suivant une démarche qu’il qualifie de « dilettante », Richard Goody fréquente différentes communautés de scientifiques travaillant sur les atmosphères globales, « choisissant des sujets intéressants puis passant à autre chose lorsque le travail avait été accompli », déclarera-t-il. A la fin de la décennie 1950, il réalise une analyse comparée des atmosphères planétaires. Devenu une figure importante du champ, Goody se vantera d’être « l’un des rares

scientifiques encore en activité à avoir étudié les atmosphères planétaires du fait de leur relation avec l’atmosphère de la Terre avant l’Age Spatial », puis à n’avoir ensuite « jamais été directement impliqué dans les larges projets qui caractérisent l’essentiel de la géophysique et de la science spatiale moderne ». Comprendre : dans les grands

programmes militaires et dans la ‘Big Science’ satellitaire. De fait, Goody restera fidèle à l’Université de Harvard, qu’il avait rejointe en 1958 à son départ d’Angleterre, et ne rejoindra jamais la NASA. Mais, on le retrouve par exemple comme Président du Comité exécutif du Programme sur l’Habitabilité de la NASA en 1982. Dans les années 1960, Goody fréquente le giron des laboratoires et observatoires arizoniens (‘Lowell Observatory’, ‘Kitt Peak National Observatory’ et ‘Kuiper’s Lunar and Planetary Laboratory’), consommateurs de ‘Big Technologies’ qui dominent la recherche sur les atmosphères planétaires. Il y retrouve Michael McElroy (voir Chapitre 6), qu’il avait rencontré à Harvard. [Goody, 2002 ; Goody, 1998 ; NASA, 1982]

Lors de la remise de la ‘William Bowie Medal’ à Richard Goody (Boston, 1988), K.N. Liou, de l’Université de Californie, ne reconnaissait pas tant en Goody le dilettante que le professeur, et surtout le « praticien visionnaire (‘a practical visionary’) », qui avait introduit des techniques informatiques innovantes pour enseigner le transfert radiatif aux étudiants du MIT, avait promu la télédétection des nuages à l’échelle globale pour les études sur le climat, avait contribué à l’expertise sur le changement climatique (même si, pas plus que ses alter ergos des sciences des atmosphères planétaires, McElroy et Wofsy, il ne fut pas une figure centrale du champ). Enfin, il avait défendu l’utilisation de petits satellites, prenant part à des missions aux objectifs bien définis et à faibles coûts, plus aptes selon lui à apporter une contribution aux sciences de l’atmosphère, et en particulier du changement climatique (voir sur ce point Goody, 1999 (1996) ; Goody, 2002). [Liou, 1998]

R. Goody est aujourd’hui principalement reconnu pour ses études précoces sur les composés azotés dans la stratosphère. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale de la guerre, qui lui a permis de découvrir cette région de l’atmosphère, Goody retourne à Cambridge, où il avait obtenu son ‘BSc Physics’ en 1942, pour effectuer un Doctorat. Il est financé pour poursuivre les campagnes de mesures qui doivent confirmer l’hypothèse d’aridité de la stratosphère avancée par A. Brewer. On lui demande en substance de poursuivre le projet de G. Dobson, à l’aide de spectromètres infrarouges. Goody décrit l’expérience comme rébarbative. Mais, il trouve son grain à moudre en marge de ces exercices imposés. Il profite en effet de ces campagnes de mesures d’humidité (dont il publiera les résultats dans Goody, 1949, “The thermal equilibrium at the tropopause and the temperature of the lower stratosphere”) pour mesurer la distribution de l’ozone atmosphérique, ainsi que celle « d’un gaz récemment

découvert » dans l’atmosphère : le protoxyde d’azote ou « oxyde nitreux », N2O, produit de

la microbiologie des sols (et dont les forts taux de production aujourd’hui sont significativement corrélés aux activités agricoles).

En collaboration avec C.D. Walshaw, Goody poursuit les travaux menés sur le N2O par

A. Adel quelques années auparavant. Comme ce dernier en 1951, Goody et Walshaw reconnaissent dans leur article de 1953 (Goody & Walshaw, 1953, “The origin of atmospheric nitrous oxide”) que les principales sources d’oxyde nitreux atmosphérique se trouvent dans le sol. Mais, chose nouvelle, ils affirment par ailleurs que l’on peut retrouver des traces de ce

N2O dans la stratosphère. S’appuyant sur les distributions d’ozone et de N2O mesurées,

Goody et Walshaw formulent de plus l’hypothèse d’une (photo-)dissociation de l’ozone stratosphérique impliquant cet oxyde nitreux. [Goody, 2002, pp. 3-4 & 9 ; Goody & Walshaw, 1953]

L’hypothèse  d’un  impact  des  composés  azotés  sur  l’ozone  stratosphérique  (Bates   &  Hays,  1967  et  Crutzen,  1970)  

Goody s’essaiera de nouveau à des mesures du N2O à la fin des années 1960 (cf. Goody, 1969,

“Time variations of atmospheric N2O in eastern Massachusetts”) [Goody, 2002, p. 8]). Mais

surtout, l’article de 1953 avait stimulé un champ de recherche sur le devenir des composés azotés dans l’atmosphère. L’article avait été cité par Alder (1958), par Christian Junge (1962-63), puis dans l’article de « recension des connaissances relatives à l’oxyde nitreux atmosphérique », publié en 1967 dans Planetary and Space Science par les géophysiciens de la ‘Queen’s University’ de Belfast, D.R. Bates et P.B. Hays (Bates & Hays, 1967).

D. Bates et P. Hays reprennent à leur compte l’hypothèse de Goody et Walshaw, qui

contrairement à eux, ils jugent que la production d’oxyde nitreux d’origine atmosphérique n’est pas nécessairement un facteur « négligeable » sur le plan de la chimie de la stratosphère, contrairement à ce que pensaient leurs prédécesseurs. L’article de Bates et Hays marque ainsi le début d’une chimie de l’ozone stratosphérique intégrant les composés azotés et, par là même, intégrant des composés chimiques provenus du sol. [Bates & Hays, 1967, p. 193]

Dans son article de 1970 sur l’action des oxydes d’azote (NO et NO2) sur l’ozone

atmosphérique, qui comptera de manière décisive dans la décision de lui attribuer le Prix Nobel de Chimie en 1995 « pour son travail en chimie atmosphérique, en particulier sur la formation et la décomposition de l’ozone » (partagé avec Mario Molina et

Sherwood Rowland)114, Paul Crutzen repartira des travaux de Bates et Hays. En 1967, écrit

Crutzen, ces derniers avaient seulement indiqué que « le N2O, possiblement produit par une

activité microbiologiques dans les sols et ensuite diffusé à travers la troposphère, pouvait

être converti en partie en azote radicalaire (NO et NO2) par un processus de

photodissociation dans la stratosphère ». Lui, entend montrer que, d’après ses propres données et ses travaux théoriques, l’hypothèse de Bates et Hays, si elle se vérifie, implique

que « les concentrations de NO et NO2 ont un effet direct dans le contrôle des distributions

d’ozone dans une partie importante de la stratosphère, et par conséquent sur les taux de production d’ozone atmosphérique. » Dans cette étude intitulée “The influence of nitrogen oxides on the atmospheric ozone content”, Paul Crutzen reconsidère l’ensemble des réactions connues impliquant les composés azotés, pouvant possiblement se produire dans la stratosphère. [Crutzen, 1970]

La démarche est théorique. Elle s’inscrit dans un programme de réévaluation du cycle de Chapman. Il vise à mettre en adéquation la théorie de l’ozone avec les nouvelles données d’ozone, notamment celles obtenues lors de et dans la lignée de l’AGI – alors que, entre 1930 et 1960, aucune publication scientifique n’avait cherché à modifier l’embryonnaire chimie de

l’ozone stratosphérique de Chapman.115 D’une part, les constantes des réactions chimiques

du cycle de Chapman sont réévaluées (en particulier, celles relatives à la "quatrième"

équation : 2O3 = 3O2). D’autre part, de nouvelles réactions chimiques sont proposées pour

"compléter" le cycle. Cette attitude a perduré jusqu’à nos jours. Comme l’écrit l’épistémologue Maureen Christie, en règle générale, les scientifiques préfèrent décrire la

                                                                                                               

114 http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/chemistry/laureates/1995/crutzen-facts.html (20/08/2013)

115 Une exception, peut-être : David Bates et Marcel Nicolet avaient mis en exergue dès 1950 la dissociation, par les radiations solaires, de la vapeur d’eau en atomes d’hydrogène et radicaux hydroxyles, à très haute altitude (90km environ). Ce travail n’apportait aucune certitude sur l’action des composés hydrogénés sur la couche d’ozone, et se focalisait presque exclusivement sur la très haute atmosphère [Bates & Nicolet, 1950]. D’autres études suivront qui, par contre, s’y essaieront (cf. Roney, 1965, “ On the influence of water vapour on the distribution of stratospheric ozone” ; voir « Figure D » dans le corps du texte, cadre « 1950, 1965 »).

théorie de Chapman comme « correcte mais incomplète » [Crutzen, 1970, p. 320 ; Christie, 2000, pp. 13-16]. Pour le dire autrement,

LA CHIMIE ATMOSPHERIQUE EST UNE SCIENCE PRINCIPALEMENT "CUMULATIVE", qui a tendance à toujours monter en complexité

(… en corollaire à quoi, elle doit régulièrement trouver des moyens de redescendre en complexité pour ne générer des calculs trop complexes – dans les simulations numériques, notamment).

Après des décennies d’accumulation d’équations chimiques, on retrouve ainsi le cycle de Chapman, l’impulsion de ce programme de formalisation, présenté (dans une notation récente, schématique et synthétique) sous sa date de première publication (« 1930 »), au sein d’un schéma général de la chimie de l’ozone stratosphérique, proposé par Paul Crutzen en 1992 (Figure 15, ci-dessous) :

Figure 15 : Un schème théorique complexe des interactions chimiques dans la stratosphère [Crutzen & Golitsyn, 1992]

La nouveauté de Crutzen, 1970, jugée décisive par la communauté scientifique, réside dans l’assertion selon laquelle des composés azotés provenant du sol pourraient avoir un impact

significatif sur les taux d’ozone stratosphérique.116 Certes, en apportant des "preuves empiriques"

et en formalisant plus avant le schème réactif entre ozone et composés azotés de Bates

                                                                                                               

116 A l’inverse, les composés azotés ne sont amenés à jouer un rôle majeur dans la chimie de l’ozone ni pour Goody, ni pour Bates et Hays. Leurs travaux sur les composés azotés ont été entrepris parce que ces composés peuvent servir de traceurs atmosphériques, donc d’indices des masses d’air (en particulier celles, convectives, qui montent vers la stratosphère). Outre leur intérêt pour la science météorologique "fondamentale", ces masses d’air constituent des freins ou des moteurs à la "technologisation" de la moyenne atmosphère en cours. C’est pourquoi les 'Air Force Cambridge Research Laboratories' états-uniens financent en partie les travaux de Bates et Hays, du laboratoire de la ‘School of Physics and Applied Mathematics‘ de la 'Queen’s University' de Belfast (‘via’ l’'European Office of Aerospace Research') – nouvel exemple, soulignons-nous, de l’emprise tentaculaire des Etats-Unis sur le monde de la recherche scientifique de l’époque. [Goody, 1969 ; Bates & Hays, 1967]

et Hays, Crutzen fait évoluer le schème théorique des aéronomes Chapman et Nicolet,

au-delà des seuls composés (ou « radicaux ») oxygénés (O2 et O) et hydrogénés (HO et HO2).117 Mais

surtout, Crutzen formule dans son article l’hypothèse d’un potentiel effet significatif sur les concentrations d’ozone stratosphérique, jusqu’alors considérées comme indépendantes des émissions chimiques au sol.

Dès 1971, les résultats de Crutzen seront exploités par Harold Johnston, qui travaillait jusqu’alors sur le rôle des composés azotés dans la chimie de la troposphère, pour tirer la sonnette d’alarme au sujet du danger que pourrait constituer la construction d’une flotte d’avions civils supersoniques pour la couche d’ozone stratosphérique. Puis, en 1974, dans leur démonstration sur la possible influence des composés chlorés (dont les CFC) sur les taux d’ozone stratosphérique, Rowland et Molina utiliseront une analogie avec l’action des composés azotés défendue par Crutzen, 1970 [Johnston, 1971, p. 518; Molina & Rowland, 1974, p. 810] (voir Chapitre 4). Toutefois, dans son article de 1970, Crutzen ne cherche nullement à montrer que la couche d’ozone serait menacée. Les composés azotés

nouvellement inclus dans le « schème réactionnel », le NO et le NO2, sont « d’origine

naturelle » (N2O), et prennent toujours place au sein d’une théorie de l’ozone stratosphérique

où les concentrations d’ozone demeurent constantes d’une année sur l’autre. [Crutzen, 1970]

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