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Ouverture de nouveaux espaces : la nécessité des espaces autonomes pour

CHAPITRE II. LIRE LES TERRITORIALITÉS POUR SAISIR LES LOGIQUES D’ACTIONS

2.2. Dimensions sociales : des territorialités urbaines dynamiques

2.2.4 Des structures spatiales déterminantes à l’action sociale

2.2.4.1. Ouverture de nouveaux espaces : la nécessité des espaces autonomes pour

Les interactions sont également influencées par la forme des lieux (Hall 1971). Hall explique que les espaces peuvent être conçus matériellement et symboliquement pour permettre les contacts

sociaux ou au contraire les limiter. Il distingue à cet égard, les lieux aux logiques sociofuges — qui empêchent le contact social — des lieux aux logiques sociopètes — qui provoquent le contact social. Dans le cadre de ce mémoire, c’est moins la forme physique des lieux que les logiques à l’œuvre dans leur conception qui importera. Les logiques sociofuges renvoient ainsi aux espaces et lieux dans lesquels l’interaction est pensée dans une logique de non-mixité et d’entre-soi. Les logiques sociopètes se référant pour leur part aux espaces et lieux pensés pour l’interaction entre les différents groupes. Ces logiques sont appliquées autant aux espaces numériques qu’aux espaces urbains. Ainsi, les forums sociaux, blogues et journaux numériques sont considérés dans ce mémoire comme des espaces aux logiques sociopètes lorsqu’ils sont publics ; et comme des espaces aux logiques sociofuges lorsqu’ils sont privés et nécessitent une inscription pour accéder aux contenus produits et diffusés.

Les travaux de Scott ont montré l’importance des lieux d’entre-soi dans les dynamiques de transactions sociales en situations inégalitaires. Ses travaux, qui ont exploré les stratégies discursives et politiques employées par les personnes dominées, montrent comment les interactions ou leur absence permettent de mettre à jour des structures de domination et dans le même temps les stratégies d’émancipation à l’œuvre dans les dynamiques interactionnelles (1990). Scott documente plus particulièrement, dans son ouvrage Domination and the Arts of Resistance, les stratégies qu’emploient les personnes qui ne sont pas en situation de pouvoir pour résister à leur domination. Il propose, tout comme Remy, d’observer ces dynamiques en action, à travers l’observation de transactions publiques informelles produites dans la quotidienneté. Scott ajoute cependant une dimension à la lecture du processus de transaction sociale présentée par Remy puisqu’il envisage ce processus de transaction à travers la juxtaposition de deux niveaux du discours, l’un public et plus formel et l’autre informel, produit dans l’entre-soi. Il élabore en ce sens, les concepts de « hidden transcript » ou de « texte caché » et de « public transcript » ou de « texte public » pour en saisir les articulations.

Le public transcript, correspond à la face visible du discours qui va être présentée lors de la transaction sociale, mais cette face s’accompagne d’une seconde, non visible, car dissimulée, et qui constitue l’arène dans laquelle les personnes dominées organisent leurs discours. Scott explique ainsi que les personnes en position « subalternes » ne peuvent pas se permettre de contester les inégalités qu’elles subissent en situation de co-présence. Pour cette raison, ces personnes vont émettre un public transcript — qui renvoie au discours produit publiquement — qui peut alors sembler non critique, ou diluer la critique dans leurs interactions avec les autres. Il faut alors explorer les espaces où se forme le « hidden transcript », des « espaces sociaux

d’autonomie relative » qu’il qualifie « des espaces sociaux d’arrière-scène » (Scott 1990, 133). Ces espaces sont collectifs et puisent leurs forces dans le nombre. Ils répondent à plusieurs fonctions, « ils servent à corriger autant qu’à formuler les modes de résistances » (1990, 134), ce sont des espaces où vont se forger les discours et dans lesquels un ensemble de sentiments individuels vont être mutualisés. Ces espaces ne sont pas uniquement « des espaces physiques protégés » puisque les discours peuvent se former dans des espaces de sociabilités faibles comme les cafés ou encore les bars.

Enfin, les lieux de ces contre-discours passent aujourd’hui par la mobilisation de réseaux socio- numériques, comme le soulignent Keskinen et Andreassen dans un article portant sur les populations racialisées, « the racialized minorities are organising themselves in multifaceted ways, making use of social media and elaborating ways to produce ‘safe spaces’ to discuss matters that centre non-white perspectives. » (2017, 65). Le schéma ci-dessous synthétise les concepts que nous venons d’exposer.

Figure 2.2 Schéma conceptuel : ouverture de nouveaux lieux Source : Célia Bensiali-Hadaud

Nous avons montré que les analyses des territoires et des territorialités permettent de mettre à jour des structures de mise en norme de l’espace et leur contestation (Remy, 2016) et que ces

Appropriation/

usage des lieux

existants

Ouverture de

nouveaux lieux

Logique sociofuge

Non mixité / Entre-

soi

Hidden transcript

Logique sociopète

Public transcript

Espaces de

visibilité/ échanges

dynamiques ne peuvent pas être comprises en dehors des contextes sociaux et politiques desquels elles émergent, ce qui nécessite d’en produire des lectures situées (Raffestin1982). Le territoire enfin, donne à voir les interactions dans la reproduction des dominations et la production d’agentivités (Ripoll 2005 ; Scott 1990). Ces dimensions sont en constante interaction et font du territoire un espace « malléable politiquement par les acteurs sociaux tout autant que par les acteurs étatiques » (Boudreau 2004, 111). Dans cette dimension, les espaces se situent entre ouverture et fermeture à l’autre. Lire ces sous-textes qui permettent les interactions sociales suppose enfin de comprendre les dimensions temporelles et spatiales des territorialités urbaines.

2.3. Dimensions spatio-temporelles : De la non-linéarité des pratiques territoriales