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CHAPITRE II. LIRE LES TERRITORIALITÉS POUR SAISIR LES LOGIQUES D’ACTIONS

2.2. Dimensions sociales : des territorialités urbaines dynamiques

2.2.1. Lire les interactions dans la ville

Les contributions de Remy et de Germain ont été importantes pour théoriser la rencontre et la cohabitation en milieux urbains, les deux sociologues ayant tous deux documenté les interactions entre les dimensions sociales et spatiales à l’œuvre dans la construction des territorialités urbaines sous le prisme de la quotidienneté. Pour Remy, l’espace est partie prenante du monde social, qui en « configurant la matérialité [...] donne une forme concrète aux relations sociales et à leurs enjeux (Remy, 2016, p.3) ». Son étude est intéressante car elle permet autant de lire les rapports inégalitaires à l’œuvre dans ces espaces que les moments de convivialité et de cohabitation. Remy propose d’intégrer le concept de « transactions social » comme outil pour la lecture des moyens dont les territorialités sont négociées dans la ville (voir section 2.2.2.1). Les travaux de Germain ont pour leur part mis en lumière l’importance de lire les sociabilités et notamment la coprésence dans les espaces publics pour saisir les territorialités urbaines. Ces travaux, qui se sont articulés autour des « mutations du lien social » provoqués par l’urbanisation,

ont notamment montré que la ville est le lieu de la coexistence dans les différences, puisque « la métropole met en présence un grand nombre de personnes qui sont étrangères les unes aux autres » (Germain 1997, 239). Cette coexistence dans un même lieu d’une large diversité de

groupes laisse place à une forme particulière de civilité : une « civilité urbaine » (1997, 239) caractérisée par des interactions et une négociation des territoires marqués par une « dynamique de proximité/distance » (1997, 239) tant spatiale que sociale entre les individus. Ses travaux rappellent enfin l’importance de saisir le rôle central des liens faibles en tant que marqueurs de la cohabitation en milieu urbain, et invitent à saisir, à l’instar des travaux de Goffman, l’importance de l’inattention civile en situation de coprésence ; qui incarne pour l’auteure une forme de « civilité à la diversité » révélatrice de l’acceptation de l’autre dans l’espace public particulièrement pertinente dans les contextes urbains marqués par une grande diversité de leurs populations

(Germain et al. 2015, 183).

L’observation des interactions en milieu urbain donnent lieu à des logiques d’actions particulières, spécifiques à la vie en ville. Leur analyse permet de mettre à jour les rapports de pouvoir qui se jouent dans l’espace (Hancock 2014 ; Ripoll 2005) et les transactions qui en découlent (Remy 2016 ; Scott 1990). Ces analyses doivent être faites en portant le regard sur les formes de sociabilités spécifiques qu’engendre la vie urbaine, au sein desquelles la coprésence devient un marquage de la territorialité urbaine significatif, notamment en situation de diversité (Germain1997 ; Germain, Jean et Richard 2015 ; Leloup, Germain et Radice 2016).

2.2.1.1. Les espaces intermédiaires comme outils de lecture des sociabilités publiques

Remy propose le terme d’espaces intermédiaires pour décrire les espaces au sein desquels les rôles sociaux de chacun ne sont pas déterminés. Ces espaces « ouverts à tous » qui se situent entre les espaces « régis par des normes organisationnelles strictes et les espaces régis par les nomes affectives » (Remy 1972, 103, dansGermain, Jean et Richard 2015, 176) donnent tantôt à lire des situations de coprésence marquée par des indifférences civiles, — lorsque tous disposent d’une légitimité à être dans ces espaces — des situations de convivialité et des situations d’inconfort et de tensions. Pour Germain, Jean et Richard, les espaces publics urbains constituent des formes d’espaces intermédiaires, au sens où ils sont en principe ouverts à tous. Les auteures adoptent une définition large des espaces publics et y incorporent tant les parcs, les rues et les places que les « équipements publics comme les arénas, piscines, bibliothèques municipales » (2015, 177).

Le concept d’espace intermédiaire sera mobilisé dans ce mémoire pour désigner les espaces publics en y incorporant les dynamiques interactionnelles à l’œuvre. Enfin, dans le cadre de cette recherche nous souhaitons savoir si les membres des groupes mobilisent des lieux intermédiaires dans le cadre de leurs activités. Ce concept sera donc uniquement mobilisé pour lire les interactions entre les groupes et les espaces et non pas entre les membres de ces groupes et le reste des usagers de ces espaces.

2.2.2 Territorialités urbaines entre « transactions sociales » et « lutte pour la ville »

2.2.2.1. Transactions sociales comme outils de négociation des territorialités

De nombreuses recherches ont mobilisé les concepts de territorialité pour saisir les capacités des minorités à s’ancrer, s’approprier ou à négocier leurs présences sur des territoires (Hancock2014 ; Ripoll 2005) postulant que la ville est le lieu où se donnent à voir les « constructions sociologiques de la légitimité » (Boudreau 2013, 537). Les recherches portant plus spécifiquement sur l’appropriation des espaces urbains ont ainsi montré que l’espace est l’objet de luttes, que ces luttes prennent des formes différentes et qu’elles peuvent se conclurent par une renégociation des territorialités. Remy a développé le concept de transaction sociale pour évoquer les échanges qui rythment la vie de ces individus en situation de coprésence. Il explique ainsi que :

La transaction examine une action en train de se dérouler entre plusieurs acteurs réu nis par un enjeu commun. Ils disposent d’une capacité́ inégale pour faire valoir leur point de vue et aboutir à un produit transactionnel, qui peut être un moyen terme accepté entre des positions extrêmes [...] Il y a quelques analogies avec la négociation, mais le processus est plus diffus, dans l’espace et dans le temps. [La transaction] ne débute pas par des négociations explicites. (Remy 2016, 6)

Ainsi, pour le chercheur l’analyse des transactions sociales consiste à observer les interactions et les enjeux en action (Remy 2016, 9). Ces transactions sont modelées par les structures spatiales et sociales qui donnent à voir les structures de domination. Les transactions sont des actions diffuses et moins directes qui s’inscrivent dans la quotidienneté et la répétition des interactions. Ce processus n’est donc pas une action unique directe, mais se traduit par une multitude d’actions

sociales observables. Les transactions sociales se distinguent à cet égard de la négociation qui renvoie pour Remy à une explicitation des enjeux d’appropriation et est mobilisée en cas de situation de conflit direct. Pour Remy, les négociations ne constituent pas des modes de transactions quotidiennes, mais plutôt ponctuelles, car elles supposent de « formaliser le désaccord » et seraient donc plus rares dans la vie sociale.