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PARTIE EXPERIMENTALE DU SUIVI LONGITUDINAL

3. Problématique, méthode, résultats et discussion du suivi longitudinal

3.1. Objectifs et hypothèses générales

3.2.3. Caractéristiques des participants et tâches aux différents temps expérimentaux

3.2.3.2. Outils utilisés au T1

Pour ce temps d’étude (T1), chaque enfant a été vu lors de deux à trois séances d’évaluation d’une heure, distancées d’une à deux semaines entre elles. Ce premier temps d’expérience avait pour but d’analyser les compétences des enfants non seulement dans le langage mais aussi dans d’autres domaines considérés comme des

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pré-requis au développement normal du langage. Les outils utilisés sont détaillés ci-dessous.

Bayley Scales of Infant Development (2006)

Nous avons utilisé la version 3 de cette échelle qui évalue le développement cognitif de l'enfant de 1 à 42 mois d’âge. Trois domaines sont évalués avec cette tâche: les domaines cognitif, moteur et comportemental. Pour ce suivi, nous avons utilisé exclusivement l’échelle du domaine cognitif. Les enfants n’étaient évalués qu’une fois avec cette échelle au cours du suivi et pour la plupart d’entre eux cette évaluation avait lieu à l’âge de 18 mois. Pour ceux d’entre eux qui sont entrés dans l’étude au T2 ou T3 une évaluation du développement cognitif a été effectuée avec cette même échelle. Le but de cette évaluation était de contrôler que le développement cognitif de l’enfant se trouvait bien dans les limites de la courbe de distribution normale. Ce contrôle constitue une étape fondamentale car, comme nous l’avons mentionné auparavant, un développement cognitif situé dans la norme constitue l’un des critères permettant de diagnostiquer un RL spécifique.

Tâche de discrimination phonologique, "Visual habituation procedure"

(VHP1)

Plusieurs recherches ont mis en évidence des liens entre les compétences de perception de la parole des bébés et leur développement langagier ultérieur (Kuhl, et al., 2005;

Tsao, et al., 2004). Tester ces liens dans notre échantillon d’enfants francophones nous a par conséquent semblé essentiel. La tâche que nous avons utilisée a été construite dans notre laboratoire sur la base des travaux d’autres auteurs qui ont évalué la perception de la parole chez les bébés et les jeunes enfants (Houston, Horn, Qi, Ting, & Gao, 2007).

Ces auteurs ont mis en évidence que la modification d’un stimulus auditif affecte le comportement de fixation d’un dispositif visuel simple. Ainsi, le but de cette tâche est

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d’évaluer, à travers le comportement visuel de l’enfant, s’il est capable ou non de discriminer des sons lors d’un changement de phonème.

Dans cette tâche, nous avons testé la discrimination du trait de voisement dans une paire minimale (ta/da). A cet effet, cinq exemplaires de chaque stimulus ont été enregistrés avec une voix féminine francophone. Les stimuli ont été traités et normalisés avec le logiciel CoolEdit Pro 2.1. Quatre de ces exemplaires sont utilisés pendant la phase d’habituation, le cinquième était utilisé pour la phase test. Ces stimuli sont appariés à une image à caractère non représentatif pour créer des vidéos qui sont présentées à l’enfant (voir Figure 4).

Figure 4. Exemple d’une image à caractère non représentatif utilisée pour la tâche d’habituation visuelle

En plus de ces vidéos constituées des stimuli auditifs couplés avec les images, nous avons utilisé d’une part, une vidéo d’un enfant qui rit afin de capter l’attention de l’enfant entre les essais, et d’autre part, une vidéo d’une forme géométrique se mouvant à travers l’écran associée à une musique douce pour mesurer l’attention de l’enfant avant et après l’expérience (Houston, et al., 2007).

Pour cette tâche (ainsi que pour les tâches de regard préférentiel décrites ci-après), l’enfant est assis sur les genoux d’un de ses parents ou de la personne qui l’accompagne, dans une cabine de bois de trois côtés aux dimensions de 150 x 150 x 200 cm. Face à lui

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se trouvent un écran Sony FWD 42LX1 sur lequel une image est présentée, deux haut-parleurs (JBL 23 control) de part et d’autre de l’écran et une caméra vidéo digitale (Sony HandyCam DCR-Hc90E) située au centre, au-dessous de l’écran. Afin d’éviter toute interférence avec le comportement de l’enfant, le parent porte des lunettes noires opaques et un casque stéréo (Beyerdynamic DT 770 Pro) qui diffuse de la musique depuis un enregistreur MP3 (iPod classic 80GB).

Le dispositif expérimental est contrôlé depuis une pièce adjacente au moyen du programme Habit 1.0 (Cohen, Atkinson, & Chaput, 2004). L’expérimentateur observe le comportement visuel de l’enfant depuis un moniteur. L’expérimentateur ne connaît pas le type de stimulus auditif qui est présenté à l’enfant ; sa mission consiste simplement à appuyer sur une touche du clavier de l’ordinateur lorsque le regard de l’enfant est fixé sur l’écran et à la relâcher lorsque l’enfant regarde ailleurs. Avant chaque nouvel essai, la vidéo de l’enfant qui rit est lancée de façon à capter à nouveau l’attention de l’enfant testé en direction de l’écran. Une fois le regard de l’enfant à nouveau fixé sur l’écran, un nouvel essai d’habituation est lancé et dure jusqu’à ce que l’enfant détourne son regard de l’image pendant plus de 2 secondes ou jusqu’à la fin de l’essai de 30 secondes. Le temps de regard de l’enfant est ainsi calculé pour chaque essai de même que le temps total de fixation du stimulus. Pendant la phase d’habituation, on présente à l’enfant toujours la même image associée à différents exemplaires du même stimulus auditif (par exemple /ta/)8. La phase d’habituation s’étend sur un maximum de 15 essais ou jusqu’à ce que l’enfant atteigne le critère d’habituation, soit 3 essais consécutifs pendant lesquels le temps de regard dure 50 % ou moins que durant l’équivalent de la moyenne des 3 premiers essais. L’intérêt du logiciel Habit est le calcul automatique de l’habituation. L’expérimentateur n’est donc pas au courant du moment où commence la phase test. Pendant la phase test, nous avons utilisé la technique proposée par Best et Jones (1998), suggérant que l’alternance entre les syllabes contrastives augmente la sensibilité à la discrimination, parce qu’elle inclut à la fois la nouveauté et le pattern d’alternance que les enfants préfèrent par rapport à une stimulation homogène. Ainsi, pendant la phase test, les enfants entendaient soit des items semblables à la phase

8 Dans la condition 1 les enfants étaient habitués à la syllabe /ta/ et testés sur la syllabe /da/, dans la condition 2 le sens habituation-test était inversé. La moitié des enfants a réalisé cette tâche dans la condition 1 et l’autre moitié dans la condition 2.

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d’habituation, soit une alternance pseudo-aléatoire des syllabes auxquelles ils avaient été habitués et des syllabes contrastives de la paire minimale. Un temps de regard plus long au cours des essais présentant l’alternance des syllabes est interprété comme la capacité à discriminer des contrastes phonologiques, dans le cas présent du voisement.

Apprentissage de nouveaux mots (ANM1)

Une recherche menée par Riches, Tomasello et Conti-Ramsden (2005) a mis en évidence que les enfants avec un TSDL auraient besoin de plus d’expositions que les enfants tout-venants pour construire des représentations phonologiques et établir des associations mot-signifié. La tâche d’ANM proposée ici a ainsi pour but de mesurer si ce cas de figure est aussi présent chez les enfants avec un RL, ce qui permettrait d’évaluer à partir de combien de présentations image/mot les enfants sont capables de se rappeler l’association entre les deux. De plus, nous avons voulu également tester si une différence est observée en fonction du type de consonnes composant les nouveaux mots (fricatives /fuzé/ vs occlusives /piba/). Jakobson (1968) a mis en évidence que certains sons dits « difficiles » sont maîtrisés plus tardivement que d’autres dans le développement. Ainsi par exemple, les fricatives semblent dominées plus tard que les occlusives (Hua & Dodd, 2000). La question de savoir si cette différence se retrouve également dans l’acquisition lexicale sera évaluée au moyen de cette tâche.

Pour cette tâche nous avons utilisé la méthode du regard préférentiel qui nécessite peu de ressources de traitement de la part de l’enfant et permet une mise en évidence de ses compétences réelles (Ballem & Plunkett, 2005). Le matériel est le même que celui décrit ci-dessus pour la procédure d’habituation visuelle : l’enfant se trouve dans la même cabine en bois, assis sur les genoux de la personne qui l’accompagne. La seule différence consiste en la présence de deux caméras au-dessous de l’écran, l’une à droite et l’autre à gauche, afin de détecter avec précision l’orientation du regard. Pour signifier à l’enfant le caractère référentiel de la tâche, celle-ci débute par la présentation consécutive de deux mots familiers à l’enfant (ballon, gâteau). Chaque essai débute par

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la présentation de cinq diodes au milieu de l’écran, couplées à un son de clochettes pour attirer l’attention de l’enfant au centre de l’écran. On présente ensuite un nouvel objet avec une nouvelle étiquette verbale (voir la Figure 5 pour une présentation détaillée de la chronologie d’un essai expérimental). La phase d’entraînement comprend trois présentations de chacun des deux mots nouveaux. La phase test suit immédiatement cet entraînement. Dans cette phase, deux objets sont présentés simultanément. Chaque objet est apparié avec un autre objet de la même catégorie de familiarité. Le mot cible correspond à l’un des deux objets. Le principe de cette procédure expérimentale réside en ceci que, si l’enfant a appris les mots présentés auparavant, il regardera plus longtemps l’image correspondant au mot présenté auditivement que l’image distractrice. Un second bloc identique au premier s’ensuit.

Figure 5. Chronologie d’un essai expérimental de la tâche ANM1

Dans cette expérience, chaque essai dure 5 secondes ce qui correspond à 125 images vidéo de 40 ms. Un programme d’analyse développé sur MatLab permet de coder image par image la position du regard de l’enfant selon quatre choix : droite, gauche, milieu, ailleurs. Le juge est aveugle aux mots présentés et aux images. Chaque essai est ensuite divisé en deux phases de longueur strictement équivalente (2500 ms) : une phase

« pré », qui débute avec l’apparition des images, avant la présentation du mot et une phase « post », qui commence 367 ms après l’apparition du mot. Ce délai de 367 ms a été postulé comme représentant le délai minimal dont un enfant de cet âge a besoin pour effectuer une saccade oculaire (Swingley & Aslin, 2000). Les essais pendant lesquels l’enfant n’est pas suffisamment attentif ont été éliminés suivant le critère de

MOT CIBLE

200 ms 1000 ms 1300 ms REGARDE

2500 ms 2500 ms

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Swingley et Aslin (2002), c’est-à-dire lorsque l’enfant regarde ailleurs plus de 50 % du temps dans l’une ou l’autre de ces phases. Deux variables dépendantes ont été utilisées : le temps de regard proportionnel sur la cible et la différence de durée du regard le plus long. La première variable correspond au temps passé à regarder l’image cible divisé par le temps passé à regarder l’image cible et l’image distractrice. La seconde variable, correspond à la différence de durée du regard le plus long qui s’obtient en soustrayant le temps de regard le plus long sur l’image distractrice du temps de regard le plus long sur l’image cible.

Le MacArthur Communicative Development Inventory (MCDI, adaptation française, IFDC ; Kern, 2003)

Quoique notre recherche tente d’explorer les compétences langagières des enfants de façon détaillée, nous ne passons qu’un moment assez court en leur compagnie. Ainsi, le recours au rapport parental qui permet d’évaluer les compétences langagières des enfants dans leur vie quotidienne nous a semblé indispensable. Le questionnaire MCDI que nous avons choisi est très largement utilisé dans la recherche. Nous avons utilisé la version de ce questionnaire traduite en français et standardisée par Sophie Kern (2003).

Le rapport parental dont il s’agit ici consiste à évaluer les capacités précoces de communication de l’enfant entre les âges de 8 et 30 mois. La première forme (mots et gestes) concerne des enfants aux âges de 8 à 16 mois. Les parents doivent indiquer par des croix si leur enfant comprend ou comprend et produit à la fois des mots et des gestes dans une liste. La seconde forme (mots et phrases), destinée aux enfants âgés de 16 à 30 mois porte sur les mots produits ainsi que sur les combinaisons de mots. Pour les enfants plus âgés que 17 mois mais produisant peu de mots, il est recommandé d’utiliser la forme 1. Nous avons donc utilisé systématiquement la forme 1, car elle n’obtient pas de résultats plafond à l’âge de 18 mois. Elle nous permet ainsi de comparer de façon quantitative les enfants ayant un large vocabulaire avec ceux qui ont un vocabulaire plus restreint. En outre, l’estimation du vocabulaire obtenue au moyen de ce questionnaire est consistante avec d’autres méthodes d’évaluation plus directe (Dale, Bates, Reznick,

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& Morisset, 1989; Miller, Sedey, & Miolo, 1995). Par exemple, récemment Friend et Zesiger (2011) ont montré avec une tâche de compréhension informatisée, une convergence entre ces deux mesures dans différentes langues. Ces résultats laissent ainsi penser que l’utilisation de ce questionnaire parental évaluant la compréhension et la production de mots chez l’enfant constitue une mesure assez fiable. Nous l’avons donc utilisée pour obtenir des données quantitatives du langage chez l’enfant et pour déterminer quels enfants présentaient un RL selon les critères mentionnés dans le chapitre 2.