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2. Le développement lexical chez l’enfant

2.2 Le développement lexical chez l’enfant âgé de 4-5 ans

2.2.4. Liens entre les compétences phonologiques et le développement lexical

Le modèle proposé par Metsala et Walley (1998) que nous avons brièvement évoqué plus haut met l’accent sur le rôle joué par les compétences phonologiques et méta-phonologiques dans le développement du lexique. Ce modèle, appelé de restructuration lexicale, repose sur le construit théorique selon lequel la reconnaissance des mots parlés impliquerait leur perception et leur discrimination parmi plusieurs représentations lexicales possibles stockées en MLT. Selon ces auteurs, les premières représentations lexicales des enfants vers l’âge de 9 mois sont holistiques. L’enfant construit son lexique de base en s’appuyant sur les contours prosodiques récurrents pour segmenter le flux de parole. Ces éléments segmentés sont ensuite associés à des représentations sémantiques. Les mots sont ainsi différenciés les uns des autres par leur enveloppe phonologique globale. Selon ce point de vue, les enfants n’auraient dans un premier temps pas accès à l’information segmentale (unités sous-lexicales composant les mots).

Ce modèle propose l’accroissement du vocabulaire comme un élément clé dans l’évolution des représentations lexicales globales vers des formes segmentées (Metsala, 1999). Et cet accroissement est particulièrement important dans la 2ème année de vie des enfants. On observe à ce moment-là, une augmentation très rapide des mots acquis qui contraste avec la lente progression qui l’a précédée5. Le nombre croissant de mots impose à l’enfant la nécessité de les discriminer. En effet, si on admet que l’enfant construit d’abord des représentations globales des mots, on peut facilement concevoir que lorsqu’il se trouve confronté à plusieurs mots phonologiquement similaires, il lui faudra les discriminer. Afin de pouvoir accéder à la représentation sémantique adéquate, il devient donc indispensable de spécifier les représentations lexicales. Ces dernières seront alors segmentées en unités sous-lexicales, syllabes puis phonèmes. Le

5 Ce phénomène a longtemps été appelé « l’explosion lexicale ». Ce terme est aujourd’hui contesté, certains auteurs (Ganger & Brent, 2004) mettant en doute le caractère « abrupt » du changement par rapport à la lente progression au cours de la période l’ayant précédée. Cependant, la rapide augmentation du nombre de mots acquis au-delà du seuil de 50 mots ne semble faire aucun doute.

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terme de restructuration lexicale utilisé par ces auteurs fait ainsi référence au passage d’une représentation lexicale holistique à une représentation lexicale segmentée6. Le modèle de restructuration lexicale s’appuie sur quatre postulats de base. Le premier est que sous la pression de la croissance du vocabulaire, les représentations lexicales holistiques deviennent des représentations segmentées, spécifiées. Metsala (1999) appelle ce point de vue « développemental » car il fait référence au fait que le phonème comme unité émerge en tant que résultat de l’accroissement du vocabulaire et n’est pas inhérent au traitement de la parole (Jusczyk, 1993; Storkel, 2002; Walley, 1993). Le deuxième postulat de ce modèle, est que la restructuration lexicale a lieu non seulement grâce à des facteurs « globaux » comme l’augmentation de la taille du lexique, mais aussi grâce à des facteurs « locaux », tels que la familiarité des items ou la densité de voisinage phonologique. En effet, l’âge d’acquisition des mots constitue dans ce modèle un élément important pour mesurer la familiarité; les mots acquis plus tôt sont ceux qui sont le mieux segmentés. De la même façon, la densité de voisinage phonologique semble jouer un rôle important dans la restructuration lexicale : un mot qui se différencie de beaucoup d’autres mots par un seul phonème (par substitution, délétion ou addition) sera mieux segmenté en unités sous-lexicales qu’un mot ne possédant que peu de voisins phonologiques (Metsala, 1997). Le troisième postulat résulte du précédent: il existe en effet une grande variabilité des mots appris au début du développement, l’âge d’acquisition d’un mot donné ainsi que le nombre de voisins phonologiques différant d’un individu à l’autre. La restructuration est ainsi reliée aux caractéristiques d’un item particulier telles que la familiarité de l’item ou le nombre de voisins phonologiques. Selon d’autres auteurs, les mots qui composent le premier vocabulaire de l’enfant ne sont, en outre, pas exclusivement déterminés par des facteurs sémantiques ou pragmatiques, ils le sont aussi par les habiletés de production phonologique de l’enfant (Stoel-Gammon, 2011). Enfin, selon le quatrième et dernier postulat, l’accès explicite aux unités sous-lexicales serait le résultat de l’augmentation de représentations lexicales segmentées avec l’accroissement du vocabulaire (Carroll &

Snowling, 2001). De leur côté, l’accroissement du vocabulaire et par conséquent

6 Comme nous l’avons exposé dans la partie dédiée au jeune enfant, certains auteurs ont au contraire proposé l’existence de représentations phonologiques détaillées dès le début de l’acquisition lexicale (Bailey & Plunkett, 2002 ; Ballem & Plunkett, 2005 ; Swingley & Aslin, 2000, 2002).

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l’augmentation de la densité phonologique constituent selon certains auteurs (De Cara

& Goswami, 2003; Storkel, 2004) une des origines des compétences méta-phonologiques chez les enfants pré-lecteurs.

Les liens entre les compétences phonologiques et le développement lexical ont été mis en évidence par des nombreuses recherches. Un paradigme expérimental couramment utilisé pour tester la finesse perceptive et représentationnelle au niveau lexical est le

« gating ». Lors de cette tâche, le participant doit identifier une cible lexicale le plus vite possible alors que l’information phonologique est présentée progressivement. Au cours d’un premier essai, les 30 premières millisecondes du mot sont présentées, puis d’autres séquences de 30 millisecondes sont ajoutées à chaque nouvel essai jusqu’à ce que le mot soit reconnu. Cette procédure permet de mesurer l’information phonologique nécessaire à la reconnaissance d’un mot. L’hypothèse expérimentale étant que, plus les représentations lexicales de l’individu sont segmentées, moindre sera l’information phonologique nécessaire à la reconnaissance du mot. Au moyen de cette procédure, Metsala (1997) a mis en évidence chez des enfants âgés de 7 à 9 ans l’aspect développemental de la segmentation lexicale : les enfants plus âgés ont besoin de moins d’information pour reconnaître le mot qui leur est présenté. En outre, les mots fréquents ainsi que les mots ayant beaucoup de voisins phonologiques sont ceux qui sont reconnus le plus rapidement démontrant, selon cet auteur, l’influence de ces caractéristiques sur la segmentation des représentations lexicales en unités sous-lexicales. Ce paradigme expérimental a permis à d’autres auteurs de mettre en évidence que les enfants présentant des Troubles Spécifiques du Développement du Langage (TSDL) ont besoin de plus d’information acoustico-phonétique pour reconnaître des mots peu familiers (Dollaghan, 1998). Selon cet auteur, ces résultats suggéreraient, que les enfants ayant un TSDL se représentent moins bien les caractéristiques phonologiques d’un nouveau mot dans leur lexique, de façon à les distinguer des mots phonologiquement similaires déjà existants. Une recherche plus récente s’intéressant à ces compétences chez les enfants francophones (Maillart, et al., 2004b) a également mis en évidence les difficultés rencontrées par les enfants présentant des TSDL dans une tâche de détection des déformations phonologiques des mots. Les enfants TSDL avaient des résultats moins bons que les enfants contrôles lorsqu’il s’agissait de détecter une

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modification phonémique (troboggan pour toboggan) alors qu’ils étaient capables de détecter une modification syllabique de ces mêmes mots familiers (boggan pour toboggan). Selon les auteurs, le fait que les enfants puissent détecter des modifications phonologiques massives telles que celles concernant la syllabe mais soient en revanche incapables d’identifier des changements plus discrets au niveau phonémique est en faveur de l’idée d’une sous-spécification des représentations phonologiques chez les enfants avec des TSDL (Maillart, et al., 2004a). D’autres auteurs (Boada & Pennington, 2006) ont trouvé des résultats similaires chez les enfants dyslexiques. Les études rétrospectives, comme c’est le cas des dernières recherches décrites ici nous permettent de constater les difficultés rencontrées par les enfants présentant des TSDL dans des tâches nécessitant des représentations phonologiques détaillées. On peut ainsi déduire que les compétences phonologiques qui permettent le formatage de ces représentations doivent jouer un rôle important dans le développement langagier mais ce rôle reste encore difficile à déterminer. Les études prospectives peuvent apporter un éclairage à cette question. Dans deux recherches consécutives, de Jong et collaborateurs (de Jong, Seveke, & van Veen, 2000) ont évalué des enfants tout-venants âgés de 5 ans et ont montré en premier lieu l’influence de la sensibilité phonologique (mesurée par une tâche de catégorisation du premier phonème d’un mot et par une tâche d’identification du dernier phonème) dans l’apprentissage de nouveaux mots. En second lieu, les auteurs ont mis en évidence l’impact positif d’un entraînement à la sensibilité phonologique sur l’apprentissage de mots non familiers par rapport à un entraînement à la catégorisation sémantique. Si, selon l’hypothèse de restructuration lexicale, l’accroissement du vocabulaire possède un effet causal sur la segmentation, les résultats de cette recherche suggèrent, selon De Jong et collaborateurs, une option alternative à cette direction de causalité selon laquelle la sensibilité phonémique permettrait un encodage plus détaillé des nouveaux mots auxquels l’enfant est confronté.

Ainsi, les recherches décrites dans cette section mettent en évidence le rôle essentiel joué par les compétences phonologiques non seulement dans la construction des représentations lexicales mais aussi, fondamentalement, dans la restructuration de ces représentations au cours du développement. Le développement de la conscience phonologique, c'est-à-dire la manipulation délibérée des sons de la langue, serait ainsi

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non seulement une conséquence de l’évolution des représentations lexicales vers des formes segmentées, mais pourrait aussi être un facteur déterminant dans l’encodage détaillé des nouveaux mots, comme De Jong et collaborateurs l’ont avancé. Cependant, il est important de mentionner que d’autres chercheurs ont proposé des modèles de l’acquisition lexicale moins modulaires.

2.2.5. Modèles intégratifs du développement du vocabulaire chez l’enfant