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POINTS DE REPERES THEORIQUES ET METHODOLOGIQUES D’UNE DEMARCHE HISTORICO – DESCRIPTIVE

C. Logique de turbulence économique, ou de foisonnement économique

3. Les dynamiques d’apprentissage, coordinations et métiers émergents

1.3 LES OUTILS DE LA THESE

Nous soulignerons avec Wolcott [1982], Miles et Huberman [2003], la nature « naturaliste » de notre recherche.

Notre posture de contacts facilités par une immersion prolongée et intense avec un terrain et des situations de vie d’individus, de groupes, d’organisations au quotidien, nous donne accès aux éléments d’une recherche qualitative.

Nous nous sommes essayés « à capter des données sur les perceptions des acteurs locaux », sur un mode d’attention approfondie, préparé par une connaissance documentée du contexte de chacun. « Compréhension emphatique, mais sans préconceptions sur les sujets abordés ».

On se bornera à constater, modestement et avec réalisme, que la déconnexion institutionnelle, liée à la posture de retraitée, a favorisé, d’une part, une qualité et une liberté d’expression dans les propos échangés, dans un contexte sans enjeu financier et hors situation de conseil, d’évaluation ou de bilan de résultats, d’autre part, qu’un temps suffisant de digestion d’un cursus de vie a été nécessaire pour prendre le recul exigé par l’utilisation de ces méthodes qualitatives. Cette dernière remarque permet de justifier le délai supplémentaire demandé pour produire cette thèse. Elle permet aussi de témoigner combien est important le premier séminaire de thèse, puisque c’est lors de celui-ci que Colette Fourcade (ERFI, Montpellier) a fermement suggéré cette nécessaire prise de recul par rapport à un cursus professionnel de terrain.

La difficulté est d’atteindre une « compréhension holiste » (systémique, globale, intégrée) du contexte de l’étude, en s’appuyant d’abord sur une multiplicité d’échelles temporelles et territoriales, sur l’interview d’acteurs différenciés (publics et privés) et la documentation de champs à investiguer de façon indépendante, et, progressivement, de comprendre les logiques, les arrangements, les règles implicites et explicites.

La discipline choisie (sciences de gestion) et les passerelles tissées avec les autres disciplines (perspectives historiques et sociologiques, sciences politiques et sciences économiques, géographie, anthropologie…) sont de précieux alliés pour une démarche de ce type.

Pour aborder ce système complexe territorial, nous avons donc été obligés de passer, comme le préconise Jean-Louis Le Moigne de la « recension des connaissances disciplinées, à celui des méthodes d’enrichissement de connaissances actives » permettant de sortir de cadres disciplinaires étroits et de transgresser leurs frontières.

Selon ses préconisations, nous ne perdrons pas de vue que le réel ne peut être indépendant de l’observateur, tant il est vrai que l’observateur ne peut être objectif, formaté qu’il est par son histoire de vie et le lieu d’où il parle.

Suivant, aussi, la démarche de Bruno Latour, aux antipodes des schémas théoriques préétablis, sur le mode de l’histoire de la conception d’une machine innovante, prototype construit dans un environnement complexe, nous avons, comme lui, suivi les stratégies de nombreux acteurs majeurs qui se sont impliqués dans cette dynamique non moins complexe de la construction d’un territoire.

Afin d’utiliser au mieux les observations engrangées, d’enrichir les connaissances acquises au cours des ans et de valoriser l’apport d’acteurs locaux clés, nous avons choisi d’encadrer ce vaste chantier par trois approches méthodologiques : le traitement des sources documentaires, la réalisation d’enquêtes empiriques, la création de matrices.

1.3.1 Les sources documentaires

Les transformations des processus d’intervention dans un territoire n’ont pas forgé un nouveau langage. Cependant des mots et des concepts structurent nos angles d’approche de la problématique de gouvernement d’un territoire, du développement économique local, de leurs espaces d’apprentissage et de partenariat. C’est pourquoi, tout au long de notre recherche, nous avons noté des définitions. Il ne s’agit pas de « stabiliser » ces mots et expressions utilisées dans nos propos, mais seulement de préciser dans notre texte, le sens choisi.

Le choix d’une étude de cas locale, liée à la navale, dans un territoire à ausculter sur un plan global, ou tout au moins sur trois champs d’expression des politiques publiques (industrielle, urbaine et éducative) a orienté notre investigation vers la recherche de documents témoignant des actions menées et plus spécifiquement des projets développés avec des fonds européens et les politiques publiques françaises.

Nous avons, par ailleurs, collecté les documents d’orientation des stratégies et priorités des institutions et de nombreux travaux d’historiens du développement industriel et territorial, dans la perspective de situer les antécédents et contextes des phénomènes à cerner et de la période à étudier.

Le traitement des sources documentaires académiques a concerné, le questionnement des travaux de chercheurs centrés sur les transformations et la construction de l’action publique, des systèmes productifs, éducatifs et urbains sur un territoire. Notre revue de littérature a

ciblé plus spécifiquement des champs d’action, des fonctions/modes d’action, des objets pour l’action, des positions d’acteurs.:

1. Des champs d’action (aménagement du territoire, intermédiarité, développement industriel, développement urbain, développement des systèmes formatifs, développement durable, action publique…)

2. Des fonctions/modes d’action (pilotage stratégique, partenariat, apprentissage, coordination, maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre…)

3. Des objets pour l’action (projet, dispositif, mesures, procédures, stratégies, référentiels européens … programmes européens….)

4. Des positions d’acteurs (métiers, agents de développement, actionnants…)

Les thématiques suivantes s’inscrivent dans le classement précédent :

• L’action publique produit d’initiatives multiformes provenant à la fois des systèmes publics, privés, internationaux, nationaux et locaux.

• Les nouvelles coopérations entre différents niveaux de territoires.

• La place prise dans ces politiques publiques par L’Union Européenne qui cherche à s’appuyer sur des relais locaux et les coordinations entre Etats et Régions.

• Les villes : acteurs publics en devenir.

• La ville dessinée, la ville vécue, la ville aménagée. Revisiter son passé pour penser l’avenir.

• Les dynamiques intermédiaires qui s’organisent autour des territoires et des dispositifs.

• L’action publique, résultat des formes d’intervention centralisées de l’Etat ou de l’intervention des acteurs locaux ?

• Les modes de gouvernement liés au développement des modèles de proximité organisée et de pratiques novatrices.

• La capacité à développer des nouvelles qualités individuelles et collectives, publiques et privées pour appréhender les enjeux politiques et environnementaux, locaux, territoriaux et mondiaux, initier et faciliter des coopérations sur un territoire.

• Les phénomènes de désintégration verticale de l’entreprise et de l’externalisation d’activités périphériques au cœur du métier.

• Les nouvelles formes de production, de la rupture avec le taylorisme, du développement des coopérations intra- et inter-firmes, marchandes et non marchandes, comme condition de la compétitivité ;

• La question de l’organisation territoriale optimale pour stimuler le développement ;

• Les composantes théoriques et les jalons d’une éventuelle théorie du développement endogène.

• L’organisation « apprenante » capable d’apprendre en permanence de son action et de celle des autres.

• Comment penser le pilotage des problèmes publics par des modèles multi-niveaux qui ne soient pas bâtis en termes d’autorité gouvernementale ?

• Les dispositifs d’intervention publique ont-ils comme principal objectif de réaliser une coordination entre des modalités d’intervention de plus en plus hétérogènes ?

• Le jeu des groupes et organisations qui bricolent des intérêts collectifs, organisent des compromis entre groupes, orientent ces sociétés soumises aux grands vents de l’Europe et de la mondialisation.

• Les stratégies territoriales de coopération et de concurrence des entreprises, des territoires et des acteurs locaux.

• Des réseaux de l’entrepreneur aux ressorts du créatif : quelles stratégies pour les territoires ?

1.3.2 Les interviews biographiques

Le deuxième élément de la méthode est la réalisation d’interviews biographiques auprès d’acteurs engagés dans cette dynamique du développement local.

La conception de l’échantillon n’est pas sans poser de problèmes, du fait de l’interdépendance entre les pouvoirs et les institutions associées à l’action collective.

Nous n’avons pas appliqué la vision hétérodoxe et, semble-t-il, controversée des méthodes scientifiques décriées par Latour et Woolgar, Nous n’avons pas trié les acteurs à garder et ignoré ceux qui contredisent notre résultat scientifique. Nous avons plutôt suivi la leçon du professeur au jeune ingénieur qui raconte l’enquête menée dans Aramis ou l’Amour des techniques (d’un des mêmes auteurs Bruno Latour). Il décrit ainsi son initiation socio-technique pour mesurer la variation de la taille relative, de représentativité et du rôle des acteurs : «dans l’histoire d’un projet, le suspense vient du gonflement ou du dégonflement de la taille relative des acteurs».

Conscients de cette fluctuation des influences du jeu des acteurs, liées à leurs positionnements à des instants différents, nous avons à un instant donné, interrogé les acteurs sur leur perception de la pertinence des autres interviews dans l’objectif d’une participation au réseau des acteurs locaux « efficients ».

La validité ou la prise en compte de l’interview de ces acteurs, dans cette dernière perspective, n’est pourtant pas sans poser de problèmes. Leur implication directe sur le terrain d’investigation à un instant T, leur histoire de vie, leur cursus de formation, leur ancienneté sur le territoire, l’évolution de leur vie professionnelle, leur statut et représentativité dans les institutions locales sont, autant d’éléments que nous avons essayé de cerner pour situer leur niveau d’appréhension des situations ( perception immédiate ou vision prospective) et la connaissance des autres acteurs avec qui ils se sont impliqués, enfin, leurs capacités à se distancier de leurs investissements cognitifs, affectifs et relationnels.

Chaque interview a été retranscrit et fait l’objet ensuite d’un aller et retour de corrections avec l’intéressé. Les corrections elles-mêmes, réticences sur des termes, rajouts nous ont éclairé sur la personnalité de l’acteur concerné et son implication dans l’action locale.

Cette démarche d’implication dans l’action locale et d’une nouvelle direction prise à un moment de vie est explicitée par ces interviewés. Ils parlent de rencontre, et d’idées venant de personnes extérieures à leurs réseaux habituels de relations. Ces personnes extérieures, nous les qualifions de « passeurs », « portiers », « sherpas », dans la mesure où ils font prendre conscience qu’il existe de nouveaux chemins à explorer, des portes à ouvrir, des « externalités positives » à utiliser, pour résoudre des problèmes d’entreprises (Comportements innovants et déterminants spatiaux – Suire- 2004).

Par ailleurs, tous ces acteurs interviewés ont été plus ou moins approchés, dans le cadre du cursus professionnel de l’auteur, à l’occasion des différents programmes à développer et projets à accompagner. Leur action, mode de fonctionnement, implication étaient, donc, déjà en partie, cernés par une expérience confortée par des contacts réitérés lors de l’emboîtement successif des projets. Ce qui manquait à l’auteur, c’est la connaissance de la motivation profonde de ces acteurs à agir dans une dynamique territoriale. On la découvre un peu mieux, lors de ces interviews structurés de la façon suivante :

Décrire trois grandes étapes de leur parcours professionnel et trois compétences clés qui ont favorisé ce parcours.

Définir le sens de leur travail pour consolider une stratégie de territoire ;

Donner leur vision rétrospective et prospective (en une phrase, un dessin, des mots clés) leur permettant de spécifier le territoire de Saint-Nazaire, hier aujourd’hui et demain.

Transcrire leurs avis concernant les acteurs à mobiliser, les actions à engager, les méthodes, les compétences qu’il faut développer dans le temps pour faire bouger le territoire.

1.3.3 Des matrices historiographiques

Un troisième outil est un point fort de ce travail basé sur la compréhension de cette longue immersion dans le « glocal » (du global au local et inversement) : création de matrices conjuguant les différents niveaux territoriaux avec les temporalités de l’action publique et du politique ou reliant les temporalités de l’action publique avec l’encastrement de leurs acteurs.

Les vieux, nous disent les enquêtes du BIPE (Bureau d’Information et de Prévisions Economiques), se plongent dans les livres d’histoire et les jeunes dans la science- fiction. Si l’on considère que le patrimoine d’un territoire, dans toutes ses dimensions, est un présent du passé pour envisager l’avenir, sans tomber dans des analyses passéistes et nostalgiques et sans, pour autant, s’aventurer dans la science-fiction pour élaborer quelques préconisations, c’est plutôt aux temporalités que l’on s’est attaché. Nous avons d’abord articulé dans le temps, des faits juridiques, sociaux, politiques, économiques, tout en les spécifiant à différents niveaux d’analyse. Ce qui nous a permis de définir nos séquences d’analyse historique. Puis au niveau local, nous avons inséré les acteurs dans le déroulement des actions publiques qui se sont emboîtées successivement.

Il s’agissait de pointer des interrelations entre ces différents niveaux, pour chaque champ politique concerné et des interactions entre ces éléments, sur le milieu étudié. En conjuguant temporalités et articulation des échelles et acteur, cette méthode n’occulte pas les particularités politiques, économiques, sociales et culturelles de ces milieux et des différentes périodes.

L’effort de combinaison des échelles pour prendre en compte ces différents niveaux territoriaux (Monde, Europe, Etat région, district urbain) qu’il s’agisse de la sphère publique ou des sphères privées et associatives, démontre l’importance des interdépendances et les limites des raisonnements en terme de niveaux, Le Gales(2003).

L’effort d’articulations des temporalités permet de pointer des dates clés d’évolution, voire de rupture de dynamiques, ainsi que des faits déclencheurs de prises de conscience de problèmes de société, au moment de la diffusion d’informations stratégiques comme les analyses des recensements de population ou d’études comparatives du type du rapport

PISA. Chacun pourra se remémorer le problème spatial français, mis au jour, lors de la parution de « Paris et le désert français » Gravier (1947).

Les interrelations entre temporalités et les échelles restituent les continuités ou les discontinuités dans les combinaisons et emboîtements de projets, dans les enchâssements sociaux.

On privilégiera le constat de l’articulation aléatoire des champs de l’action publique et de l’action privée ou dans les dynamiques internes à ces champs, dans le cadre de la contingence des cheminements de certains acteurs clés qui viennent bousculer les logiques et les jeux des autres acteurs. Nous les avons positionnés dans certaines matrices pour prendre en compte les continuités ou ruptures ou croisements de positionnements dans les institutions.

On a choisi, dans un premier temps, l’analyse de l’évolution du système productif au niveau intermédiaire du bassin d’emploi de Saint-Nazaire, traversé par des logiques macro et micro, puis le niveau régional devenu plus moteur dans la dynamique de renforcement des compétences, et enfin, le niveau « région littorale » dans la dimension élargie de la prise en compte d’externalités environnementales favorables au développement d’atouts économiques et de nouveaux problèmes territoriaux.

Concernant les références temporelles, on s’est limité à la période de la cinquième république qui a vu émerger et se construire le concept de « développement local » avec ses apports, ses paradoxes et ses limites.

Bien sûr, on peut s’interroger sur les limites et la pertinence des choix effectués dans les dates et les évènements resitués dans ces matrices et sur les problèmes liés aux sources utilisées.

Pour l’heure, il reste à explorer bien des questions qui ont été effleurées : quelle est la pertinence de ces éléments pointés et datés sur la vie locale ? Dans les relations croisées territoire/ pouvoir central, où faut-il situer les ruptures et les continuités ?