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DEUXIEME PARTIE

2. Entreprise étendue, élargie ou entreprise « éclatée » ?

Les Chantiers de l’Atlantique dépendent dès 1998 à 70% de leurs sous-traitants et fournisseurs.

Chaque fois que le Donneur d’Ordres signe un nouveau contrat, il s’engage pour tous : sur la construction d’un prototype construit en co-activité sur le site des Chantiers, sur les délais à tenir, les coûts à maintenir et la qualité à fournir.

L’entreprise étendue, entreprise réseau, « essaie » d’installer des « communautés d’intérêts ». Elle a à faire face à bien des obstacles de nature culturelle et psychologique, mais surtout d’ordre social qui ont été amplifiés par le contexte mondial et le volume exceptionnel de commande de paquebots à Saint-Nazaire dans les années 2000-2004 :

Au décalage entre l’expérience de « la pratique du quotidien » du dirigeant de PME et du niveau de compétences techniques et de la logistique dont dispose le Donneur d’Ordres, se rajoute, chez le patron de PME, une suspicion naturelle dans le domaine économique, concernant la crainte d’être dessaisi de leur savoir-faire et d’avoir à partager leurs gains.

Le fait d’imposer des outils communs à des entreprises très différentes en métier et en taille implique non seulement une perte de liberté, imposée, sinon volontaire dans bien des cas, mais aussi de nombreux dysfonctionnements de l’interface entre le donneur d’ordre et le sous-traitant.

L’utilisation de ces outils communs, compte tenu de la différence de culture, de niveau de formation, de système d’organisation entraîne des dysfonctionnements, des erreurs,

des suspicions de mauvaise foi, voire du sabotage, entraînant des retards, de la non qualité et l’augmentation des coûts.

La pratique du Donneur d’Ordres qui, à travers ses missions d’audit est en posture de détenteur du savoir et en capacité de se prononcer sur la performance des fournisseurs positionne le fournisseur dans la posture de « présumé ne pas savoir ».

Le recours massif à l’intérim et à la sous-traitance a ses limites. Cette pratique « en cascade » sur laquelle a reposé parfois, en pleine surchauffe, l’organisation des Chantiers de l’Atlantique consiste à s’adresser à un premier fournisseur qui lui-même s’adresse à un deuxième fournisseur auquel il confie une partie du travail imparti, lequel ne pouvant faire face à cette commande sous-traite à son tour etc.…Cette pratique a pu, dans certains cas, porter préjudice à toute la chaîne de production par le manque de qualité des prestations assurées et la conséquence de retards accumulés.

La série d’entretiens menés à l’extérieur des Chantiers de l’Atlantique, auprès d’employés des Chantiers, de syndicalistes CGT (qui ne sont plus majoritaires au sein des Chantiers de l’Atlantique depuis décembre 2005), d’ouvriers grévistes filmés dans

« Un monde Moderne (sorti en 2005) » par Sabrina Malek et Arnaud Soulier, lors de la construction du Queen Mary 2 contribue à « pointer » des nouvelles organisations du salariat : l’évolution du corps social, les responsabilités qui se diluent, la fragmentation des équipes de travail, les différents types de contrats pour un même travail, la précarisation du travail, l’afflux de travailleurs de multiples nationalités, les conséquences d’une pratique d’intérims successifs pour des salariés de Saint-Nazaire. Ces derniers mieux payés et pensent-ils plus libres sont piégés à long terme par ce type de statut précaire qui ne leur permet pas, par exemple, d’accéder à des prêts pour construire leur maison.

Le mouvement social avec ses solidarités est-il encore ancré dans l’histoire des Chantiers ? Christophe Belser, historien, fait état dans son « Histoire des Chantiers navals à Saint-Nazaire », de la mobilisation importante de Saint-Nazaire dans les grèves nationales, notamment celles de 2003 à cause de la loi sur les retraites. Il cite aussi à ce sujet un ancien leader cégétiste : « les travailleurs, contrairement peut-être à d’autres endroits, ont le sentiment que cette entreprise est à eux. C’est leur affaire. C’est notre chantier, comme en Brière où l’on dit « c’est notre Brière », et quand elle est en danger, il y a des résistances très fortes qui s’organisent (…). Il y a trois ou quatre générations qui se sont succédées ici, et il y a toujours ce sentiment qui est très fort, qui tend à

s’atténuer, mais qui n’a pas encore disparu. Cela fait partie de la culture de cette entreprise ».

La culture de l’entreprise est entrain de changer avec l’arrivée massive de jeunes diplômés et l’important départ des personnels plus âgés (lié au traitement du problème de l’amiante). La pyramide des âges s’est rééquilibrée avec ce renouvellement de génération accompagné de plans concernant la formation de jeunes en contrat de qualification et en apprentissage. Les niveaux de qualification s’accroissent comme on pourra le mesurer avec l’évolution de la demande et du système de formation qui l’accompagne.

A partir de 1998, les Chantiers de l’Atlantique ont donc connu un développement important.

L’équipe des Ressources Humaines a embauché 2 200 personnes renouvelant ainsi l'essentiel de son effectif

Cette période de très forte activité a permis de développer un réseau d’entreprises autour du donneur d’ordre. Des partenariats ont renforcé cette entreprise étendue et amené des « sous traitants sélectionnés » à devenir des « co-réalisateurs ». Le projet Cap Performance a commencé à développer cette double culture du progrès continu et de la mesure de la performance. Il a permis de définir et de tester quelques principes et outils auprès de 84 entreprises (représentant 3000 emplois).

Ce programme démontre aussi que la grande entreprise a largement remobilisé et instrumentalisé un réseau de PMI à son profit.

Après l’euphorie des premières années fastes du début du millénaire et le lancement du

« Queen Mary 2» le 22 décembre 2003, assombri par le drame de l’écroulement d’une de ses passerelles, les Chantiers de l’Atlantique enregistrent une baisse de commandes et annoncent, sur la foi d’une estimation du marché mondial pour les trois ou quatre années à venir, un adaptation de leur plan de charge à hauteur de 2,5 navires neufs par an.

213.2 Le développement des fournisseurs : Cap Compétences, Pôle Marine

A partir de fin 2002 et début 2003, avec la confirmation de la baisse d’activité, il s’agit de soutenir ces entreprises qui se sont structurées.