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Des oscillations cérébrales atypiques : une base biologique pour l’étude de la dyslexie ? 62

3. Dyslexie et syndrome phonologique

3.6. Des oscillations cérébrales atypiques : une base biologique pour l’étude de la dyslexie ? 62

3.6.1. Activité oscillatoire et traitement auditif

3.6.1.1. Réponse évoquée auditive stable (Auditory steady-state response, ASSR)

Les sujets dyslexiques montrent une réponse diminuée aux modulations d’amplitude autour de 40 Hz dans le cortex auditif gauche, reflétant un entraînement moins efficace de l’activité oscillatoire corticale par ce type de stimulus.

Un premier paradigme d’ASSR a été utilisé avec des modulations d’amplitudes à 80, 20 et 4 Hz, de façon discontinue (Poelmans et al. 2011). Le groupe dyslexique présentait des réponses diminuées comparativement aux normo-lecteurs pour la modulation d’amplitude à 20 Hz, et ne montrait pas de différence pour la modulation lente d’amplitude à 4 Hz, suggérant que les sujets dyslexiques peuvent aligner leur activité oscillatoire corticale sur le rythme syllabique, mais pas sur le rythme phonémique. Les auteurs ont également obtenu une corrélation entre les ASSR à la cadence phonémique (20 Hz) et les scores comportementaux de perception de la parole dans le bruit et les scores de conscience phonologique.

Avec un paradigme d’ASSR légèrement différent utilisant un continuum de sons modulés en amplitude entre 10 et 80 Hz, Lehongre et collègues ont précisé le déficit d’entraînement de l’activité corticale à la cadence phonémique moyenne observée précédemment. Dans le groupe contrôle, la dominance de l’hémisphère gauche pour l’entraînement cortical autour de 30 Hz corrélait avec les performances phonologiques. Cette asymétrie gauche était absente dans le groupe dyslexique, confirmant le rôle majeur de la dominance gauche de l’activité oscillatoire dans la bande du gamma bas dans les compétences phonologiques. L’absence d’asymétrie de l’ASSR en réponse aux modulations d’amplitude autour de 30 Hz chez les sujets dyslexiques était due à une réponse moindre dans l’hémisphère gauche, déficit qui corrélait avec les mesures comportementales de traitement phonologique et de dénomination rapide. Parallèlement à ce déficit d’entraînement cortical observé autour de 30 Hz, le groupe dyslexique montrait une réponse ASSR augmentée à une modulation d’amplitude comprise entre 60 et 80 Hz dans le cortex auditif gauche, suggérant un décalage de l’activité gamma physiologique (25-35 Hz) vers des fréquences légèrement plus hautes dans la dyslexie. Ces résultats suggèrent un sur-échantillonnage à l’échelle phonémique chez les sujets dyslexiques,

conduisant à des représentations phonémiques d’un format atypique, et susceptible d’être à l’origine de leurs difficultés à associer un phonème à un graphème.

3.6.1.2. Réponse évoquée auditive dans la bande gamma

Très peu d’études ont étudié la réponse évoquée auditive dans la bande gamma dans la dyslexie. Quelques études concernent la perception de stimuli auditifs non verbaux.

La cohérence de la réponse gamma (20-60 Hz) évoquée par une succession rapide de stimuli brefs semble plus faible chez les sujets présentant de faibles performances en lecture (Nagarajan et al. 1999).

La réponse précoce dans la bande gamma a été étudiée dans un paradigme de oddball (Uclés et al. 2009). Ce design expérimental étudie les ERP lors de la présentation d’une séquence répétitive de sons auditifs ou visuels, comportant un stimulus déviant présenté irrégulièrement et de façon non fréquente. La tâche du sujet consiste à détecter le stimulus déviant en appuyant sur un bouton ou comptant ses occurrences. La composante P300 de l’ERP apparaît quand le sujet est engagé dans la tâche de détection du stimulus déviant. Son amplitude est plus large après la détection du stimulus déviant. Elle est localisée dans la région pariéto-centrale du cerveau. Sa latence varie avec la difficulté de discrimination. Les enfants dyslexiques montrent une variation d’amplitude des oscillations à 40 Hz plus faible en comparaison avec les enfants normo-lecteurs, dans un intervalle de temps compris entre 25 ms avant le début du stimulus déviant et 50 ms après le stimulus déviant. Ces différences de la réponse sensorielle précoce suggèrent une altération des premières étapes précoces du traitement auditif.

Des différences dans la réponse précoce dans la bande gamma ont également été associées à des niveaux de traitement de la parole plus avancés. Une étude en EEG a étudié les capacités des enfants dyslexiques à associer un symbole à un son (Widmann et al. 2012). Les enfants étaient entraînés à associer un symbole à un son (par exemple un rectangle vert à un son pur). Dans la phase de test, des associations congruentes (apprises) et incongruentes (non apprises) étaient montrées aux enfants qui devaient indiquer si l’association était correcte ou non. Aucune différence de performances comportementales n’a été observée entre les deux groupes. Les sons correctement prédits entraînaient une réponse auditive précoce dans la bande gamme chez les enfants normo-lecteurs, reflet de la synchronisation de l’activité

cérébrale. Cette réponse gamma précoce était absente chez les enfants dyslexiques, indiquant une incapacité à intégrer l’information visuelle symbolique et l’information auditive en une représentation unique. La différence de réponse cérébrale observée entre les deux groupes malgré une performance comportementale identique suggère que les individus normo-lecteurs et les individus dyslexiques font appel, au moins en partiellement, à des mécanismes cérébraux différents pour résoudre la tâche.

Le couplage fonctionnel (mesuré à l’aide du facteur de verrouillage de phase ou phase-locking

factor) entre le cortex auditif et le sulcus temporal supérieur est diminué chez les enfants

dyslexiques dans la bande gamma 30-45 Hz durant une tâche de compréhension de phrase impliquant une manipulation phonologique (Han et al. 2012). Cette observation va dans le sens du rôle important des oscillations gamma dans le traitement du langage et de son altération dans la dyslexie.

3.6.2. Activité oscillatoire et traitement phonologique

Une altération de la connectivité fonctionnelle représente une altération du mode de coopération entre aires corticales, engendrant une altération du comportement intégré. L’hypothèse la plus récente concernant la coopération dynamique entre aires cérébrales et à l’intérieur d’une aire repose sur l’idée d’une synchronisation dynamique des populations neuronales sous-jacentes, sur un mode oscillatoire. Pour autant, les études portant sur les anomalies de l’activité oscillatoire sont peu nombreuses dans la dyslexie.

Une équipe a étudié l’hypothèse du déficit phonologique en étudiant les variations d’amplitude de la bande thêta durant le traitement phonologique. Durant une tâche de reconnaissance de rimes entre des paires de mots visuellement présentées, tâche sollicitant la mémoire de travail, les auteurs ont utilisé les bandes thêta et bêta comme index neurophysiologiques de la mémoire de travail (Spironelli et al. 2006). Le groupe dyslexique montrait un profil d’activation dans la bande de fréquences thêta latéralement inversé, avec une augmentation d’amplitude plus importante dans le cortex temporal droit, contrairement au groupe contrôle. Dans une seconde étude, les auteurs ont repris le même protocole pour étudier la latéralisation des activités bêta et thêta de l’EEG liée au traitement du langage (Spironelli et al. 2008). Durant les tâches phonologiques, les sujets normo-lecteurs étaient caractérisés par une latéralisation gauche de l’activité thêta et de l’activité bêta dans les régions frontales et une latéralisation droite dans les régions postérieures (temporo-pariétales).

Les profils de latéralisation frontaux et postérieurs étaient inversés chez les dyslexiques, suggérant une incapacité à recruter les structures de l’hémisphère gauche pour encoder et intégrer les composantes phonologiques des mots. Un déficit d’activité bêta (12,5-16 Hz) dans l’hémisphère gauche a également été sélectivement lié au traitement des mots dans une étude utilisant des tâches de lecture de mots, de chiffres et de pseudo-mots (Klimesch et al. 2001).

3.6.3. Conclusions

Les données concernant les anomalies oscillatoires dans la dyslexie sont peu nombreuses, et les méthodes d’investigation disparates. Il apparaît difficile, à l’heure actuelle, d’interpréter ces données de façon globale, les corrélats neurophysiologiques attribués à chaque bande de fréquence dans le traitement du langage étant encore mal connus. Une revue publiée en 2003 tente d’attribuer des rôles aux différentes bandes de fréquence de l’EEG (Weiss and Mueller 2003) relativement au traitement du langage : traitement sensoriel (bande alpha), mémoire de travail (bande thêta), traitement sémantique (bande alpha, bande bêta) et syntaxique (bande bêta). Cependant, ces rôles restent vagues, sans caractérisation concrète.

C’est pourquoi le cadre de travail clairement défini proposé par Usha Goswami depuis quelques années représente une avancée en matière d’étude des anomalies oscillatoires dans la dyslexie. L’auteur part de l’observation chez les patients dyslexiques (i) des difficultés à traiter le taux de changement d’amplitude (rise time) de l’enveloppe de la parole (ii) des performances altérées à reproduire une séquence rythmique (iii) du caractère prédictif des premières sur ces dernières (Thomson et al., 2006; Thomson & Goswami, 2008). Les difficultés de perception du rise time chez les sujets dyslexiques sont observées dans les basses fréquences (bandes delta et thêta). Ces basses fréquences sont critiques pour la perception de la parole puisqu’elles participent à la perception des frontières syllabiques acoustiques. Usha Goswami fait donc l’hypothèse que les personnes dyslexiques montrent des activités oscillatoires corticales atypiques dans les bandes de fréquences delta (1-4 Hz) et thêta (4-7 Hz), conduisant à une altération de la segmentation de la parole à l’échelle syllabique et à l’échelle prosodique. Conformément à cette hypothèse, le verrouillage de phase (phase locking en anglais) de la réponse évoquée à une modulation d’amplitude lente à 2 Hz est atypique chez les adultes dyslexiques. Alors que les adultes normo-lecteurs montrent un verrouillage de phase plus marqué dans le cortex auditif droit, les adultes dyslexiques montrent un verrouillage de phase bilatéral, suggérant que les mécanismes oscillatoires de calage en phase pour les modulations temporelles lentes sont atypiques chez le sujet

dyslexique (Hämäläinen et al., 2012). Une étude complémentaire est venue préciser ce cadre de travail. Les adolescents et adultes dyslexiques montrent une distribution symétrique des oscillations delta/thêta (2-7 Hz) et gamma (25-35 Hz) dans le cortex auditif durant une tâche naturelle de perception de la parole, alors qu’elles sont respectivement dominantes dans l’hémisphère droit ou gauche, conformément à la théorie de l’échantillonnage asymétrique (Lehongre et al. 2013).

3.6.4. Profils oscillatoires au repos

Les études sur les oscillations cérébrales à l’état de repos sont également peu nombreuses. Elles ont principalement relevé des différences dans le rythme alpha, mais les résultats sont divergents.

Dans certaines études, les enfants dyslexiques, et notamment les enfants n’ayant pas encore appris à lire, montrent une amplitude plus grande des rythmes alpha à l’état de repos les yeux fermés comparativement à des enfants normo-lecteurs (Duffy et al. 1980; Schiavone et al. 2014). Dans d’autres, le rythme alpha a été détecté d’une amplitude plus faible (Clarke et al. 1994; Babiloni et al. 2012) et la diminution de l’amplitude du rythme alpha corrélée avec la vitesse de lecture de pseudo-mots dans certaines régions postérieures du cerveau. L’amplitude du rythme alpha reflète au moins en partie les processus d’excitation et d’inhibition durant les traitements cognitifs (Klimesch et al. 2007), la synchronisation dans la bande de fréquences alpha étant un corrélat fonctionnel de l’inhibition durant les tâches motrices et cognitives. L’altération du rythme alpha au repos observé dans la dyslexie suggère une inhibition corticale atypique en état d’inactivité, qu’elle soit amoindrie ou exacerbée, et va dans le sens d’une balance atypique entre l’excitation neuronale et l’inhibition neuronale.

Dans une étude récente, une augmentation de l’amplitude ainsi que de la cohérence du rythme delta (1,5-3 Hz) et du rythme thêta (4–7.5 Hz) au repos les yeux ouverts a été observée dans les régions frontales et temporales droites et gauches d’enfants dyslexiques (Arns et al. 2007), suggérant une asymétrie atypique de l’activité oscillatoire spontanée aux rythmes thêta et bas gamma (25-35 Hz), cruciaux pour la compréhension de la parole.