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Les oscillations cérébrales spontanées, caractérisées par des motifs temporels répétitifs, ont un rôle particulièrement important dans le traitement du contenu rythmique de l’information sensorielle. Des données en neuroimagerie ont montré que les oscillations continues agissent en augmentant la sensibilité aux indices acoustiques pertinents. En particulier, Schroeder et Lakatos proposent en 2008 un rôle computationnel à l’activité oscillatoire neuronale spontanée, en se basant sur l’observation de la relation entre l’excitabilité indexée par le taux de décharge neuronale et la phase de l’oscillation dans les ensembles neuronaux locaux, mesurée par le champ de potentiel local (Schroeder et al. 2008) (cf. figure 46).

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Figure 52 : Relation entre l’excitabilité, estimée via le taux de décharge de potentiels d’action (en rouge) et la phase de l’oscillation (en bleu) reflétant l’activité électrique d’un ensemble de neurones proches spatialement (tiré de Schroeder et al. 2008). (a) Les oscillations corticales permettent une alternance de périodes de haute excitabilité et de faible excitabilité. Les périodes de haute excitabilité sont caractérisées par une décharge de potentiels d’action. Les périodes de faible excitabilité sont des périodes silencieuses en termes de décharge de potentiels d’action. (b) Au repos, en l’absence de stimulation, les oscillations présentent un haut degré de variabilité dans la phase du cycle, elles ne sont pas calées en phase : le système n’est pas engagé. La présentation du stimulus entraîne un réalignement de phase (phase resetting) calé sur le début du stimulus, entraînant une forte synchronisation des oscillations. (c) Les arrivées sensorielles sont amplifiées lors de la première période du cycle (phase optimale) alors qu’elles sont inhibées pendant la deuxième période du cycle oscillatoire (phase non optimale). Après une phase optimale d’excitation, le système revient à un état basal (phase aléatoire). (d) Ce mécanisme se traduit par un nesting des oscillations corticales : la phase des oscillations basses fréquences (thêta) module l’amplitude des oscillations gamma, qui représentent un index de l’excitabilité neuronale.

Durant les phases de repos, en l’absence de stimulus, les oscillations corticales ne sont pas synchronisées. L’arrivée de l’influx sensoriel induit cette synchronisation par le réalignement en phase de l’activité oscillatoire. Chaque cycle oscillatoire est alors composé de deux périodes :

- une période de phase optimale pendant laquelle on observe une réponse au stimulus sensoriel constante au travers des essais. Durant cette période, la décharge de potentiels d’action est amplifiée ;

- une période de phase non optimale, durant laquelle la décharge de potentiels d’action est réprimée.

Les oscillations fournissent ainsi une alternance de périodes de haute et de faible excitabilité. Ces périodes d’excitabilité correspondent à des fenêtres d’intégration temporelles à différentes échelles de temps. Les oscillations cérébrales sont ainsi d’excellentes candidates pour la segmentation et le codage temporel du contenu rythmique des influx sensoriels.

Dans ce contexte, le réalignement de phase représente le mécanisme clé non seulement de l’alignement des rythmes cérébraux sur les rythmes de l’influx sensoriel, mais également de l’intégration multi-sensorielle, et notamment audio-visuelle. Les oscillations cérébrales représentent un moyen d’amplifier l’influx visuel d’un signal audio-visuel de façon temporellement cohérente avec le signal auditif. Le signal visuel perçu en premier peut ainsi entraîner un réalignement de phase des oscillations, engendrant une phase d’excitabilité optimale pour amplifier le signal auditif.

Nos résultats montrent des fenêtres temporelles d’intégration à l’échelle syllabique et phonémique non adéquates pour segmenter le signal de parole dans les troubles du spectre autistique, qui pourraient déboucher sur une perturbation de l’intégration audio-visuelle. Ces résultats sont en accord avec une récente étude montrant des fenêtres d’intégration temporelles audio-visuelles élargies dans les troubles du spectre autistique (Stevenson et al. 2014). Chez les sujets contrôles, le délai de tolérance dans l’asynchronie auditive et visuelle est de 250 à 300 ms pour une compréhension de la parole non affectée, suggérant que l’intégration de l’information auditive et visuelle a lieu à l’échelle syllabique, donc via un mécanisme basé temporellement sur les oscillations thêta (Luo et al. 2010). Chez les sujets atteints de TSA, la sensibilité à l’asynchronie audio-visuelle est profondément altérée, avec une fenêtre d’intégration temporelle atteignant 1 seconde (Stevenson et al. 2014). Ces données convergent vers un trouble sévère du mécanisme d’intégration à l’échelle de l’activité thêta dans les troubles du spectre autistique. Le lien entre des fenêtres temporelles d’échantillonnage syllabique réduites (échantillonnage à un taux de 7-8 Hz au lieu de 4-7 Hz) et des fenêtres d’intégration audio-visuelles élargies reste à élucider.

Dans la dyslexie, nos résultats montrent une perturbation de la durée des fenêtres temporelles d’intégration à l’échelle phonémique mais non à l’échelle syllabique. L’intégration de l’information visuelle et auditive ayant lieu à l’échelle syllabique (Luo et al. 2010), ces données suggèrent un trouble moins sévère des mécanismes d’intégration audio-visuelle dans la dyslexie que dans les troubles du spectre autistique. Un paradigme usuel pour étudier l’intégration audio-visuelle est l’effet McGurk. L’effet McGurk est un effet perceptif impliquant une interférence entre la perception auditive et la perception visuelle. L’effet McGurk s’observe lors de la présentation auditive et visuelle simultanée de deux phonèmes différents. Si le participant entend la syllabe /ba/ (labiale) et voit un visage prononçant la syllabe /ga/ (vélaire), il perçoit le son /da/ (dental), correspondant à une fusion des phonèmes /b/et /g/ présentés, sorte de moyenne articulatoire. Pour la présentation inverse (/g/ auditif et /b/ visuel), la fusion ne s’opère pas et le participant perçoit alors les deux sons. Ils perçoivent « abga » ou « agba » : c’est la combinaison. Les sujets dyslexiques et les sujets avec TSA montrent un effet McGurk plus faible (Bastien-toniazzo et al. 2010; Bebko et al. 2013). Les sujets dyslexiques sont moins performants à combiner les informations audio-visuelles, mais la fusion reste intacte (Bastien-toniazzo et al. 2010). Le lien entre la réduction de la largeur de la fenêtre de segmentation auditive (à l’échelle syllabique ou à l’échelle phonémique), l’élargissement de la durée de la fenêtre d’intégration audiovisuelle, et la réduction ou l’augmentation des capacités à fusionner et/ou combiner les informations audiovisuelles, reste à élucider. Il est nécessaire de réaliser une revue de la littérature approfondie afin d’élaborer un modèle théorique de l’intégration de l’information audio-visuelle dans les troubles du spectre autistique et la dyslexie.

L’intégration multisensorielle ne se limite pas à l’intégration audio-visuelle. Elle implique toutes les modalités sensorielles. De façon plus générale, une des fonctions principales du cerveau humain est de détecter les régularités temporelles dans l’environnement au travers de différents canaux sensoriels, afin d’intégrer les informations reflétant un même évènement physique en un percept cohérent. La capacité du cerveau à unifier les informations multisensorielles est basée sur leurs relations temporelles et spatiales. Les stimuli qui sont proches temporellement et spatialement sont supposés être liés de façon probable par le cerveau et attribués à un événement externe commun. Un défaut du traitement temporel multisensoriel de l’information est susceptible de perturber la capacité à lier ces différentes informations de façon cohérente. Cette perturbation peut aller dans le sens d’une diminution de la capacité d’intégration globale, comme cela semble être le cas dans les troubles du

spectre autistique. Elle peut également aller dans le sens d’une augmentation de la capacité à unifier les informations, profil cognitif qui semble associé à la dyslexie.

10.2. Modulation sensorielle

La modulation sensorielle est un mécanisme de régulation du système nerveux central qui a pour rôle de filtrer (faciliter ou inhiber) les stimuli pertinents de ceux qui ne le sont pas : c’est un processus de sélection sensorielle. Sur le plan cognitif, il s’agit de l’attention sélective qui joue un rôle essentiel dans notre capacité à sélectionner ce qui nous intéresse dans l’environnement, de notre capacité à se concentrer sur la conversation en cours dans un hall de gare tout en inhibant les bruits ambiants par exemple.

Nos résultats indiquent une excitabilité augmentée du cortex auditif chez les sujets atteints de TSA et les sujets dyslexiques. L’observation chez les sujets atteints de TSA d’une activité thêta au repos accrue suggère non seulement une incapacité à engager les oscillations thêta en réponse au stimulus de parole, mais également une incapacité à retourner à un état basal avant le stimulus suivant. Dans le cadre du modèle de sélection sensorielle de Schroeder et Lakatos décrit précédemment (Schroeder et al. 2008), une incapacité à un retour à un état basal correspond à une incapacité à inhiber les décharges de potentiels d’action pendant la phase non optimale de sélection. Un rôle clé dans le retour à l’état basal et de l’inhibition sensorielle. Les personnes atteintes de TSA sont moins compétents dans le blocage des arrivées sensorielles et le phénomène d’habituation (Orekhova et al. 2012). Un déterminant clé dans le phénomène d’habituation est la prédictibilité du stimulus. Chez les sujets neuro-typiques, la prédictabilité d’une séquence est directement proportionnelle à l’habituation qu’elle provoque (Herry et al. 2007). Une toute récente théorie propose que l’autisme soit un déficit généralisé de la prédiction (Sinha et al. 2014). Les oscillations cérébrales jouent un rôle majeur dans la prédiction sensorielle, offrant une solution computationnelle temporelle. Un modèle récent de prédiction sensorielle repose sur l’interaction entre les influx ascendants (bottom-up) et les influx descendants (top-down), médiés respectivement par les hautes (gamma) et les basses fréquences (thêta) (Arnal et al. 2011; Arnal and Giraud 2012). Nos données suggèrent que des anomalies oscillatoires affectent les sujets atteints de TSA et les sujets dyslexiques tant dans les constantes temporelles que dans le déroulement du cycle oscillatoire. L’observation d’une excitabilité corticale accrue dans les TSA et la dyslexie au repos suggère une anomalie dans la deuxième phase du cycle oscillatoire. Cette phase du cycle « non optimale » selon Schroeder et Lakatos (Schroeder et al. 2008), c’est-à-dire de

répression sensorielle, représente une excellente candidate pour l’arrivée des informations

top-down, destinées à être comparées avec les informations bottom-up arrivées durant la

phase optimale précédente. La perturbation de cette phase non optimale est susceptible de conduire à des déficits sévères du codage prédictif.