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3. Dyslexie et syndrome phonologique

3.3. L’hypothèse phonologique

Ainsi, les dyslexiques sont moins performants dans une large panoplie de tâches mettant en jeu la sensibilité phonologique : détection des rimes, allitérations, contrepèteries, mémoire verbale à court terme (empan des chiffres), dénomination rapide. La fréquence d’un trouble des capacités phonologiques chez les dyslexiques n’est plus aujourd’hui à démontrer. La

théorie d’un déficit phonologique, comme origine d’un trouble de la lecture, reste l’hypothèse explicative la plus reconnue dans les travaux de recherche et semble faire l’objet d’un consensus. Cette hypothèse repose sur l’idée d’un déficit du système de représentation mentale et du traitement cognitif des sons la parole, entraînant un déficit de la conscience phonologique. Cette incapacité à appréhender les différents sons constitutifs de la parole explique facilement les difficultés rencontrées par les personnes dyslexiques pour associer un phonème à une représentation graphique. Un déficit phonologique explique également très bien les faibles performances obtenues par les dyslexiques dans les tâches de répétition de mots, de mots longs et de pseudo-mots. L’hypothèse du déficit phonologique trouve également une totale légitimité dans l’explication des difficultés rencontrées par les dyslexiques pour catégoriser les phonèmes. Ne pouvant les percevoir de façon consciente, il semble logique qu’ils soient incapables de les associer spécifiquement à une catégorie. La forte corrélation observée entre apprentissage de la lecture et capacités méta-phonologiques vient largement renforcer cette hypothèse du déficit phonologique. Les liens entre déficit phonologique et faibles performances dans les tâches de dénomination rapide et plus encore de mémoire à court terme sont à l’heure actuelle encore débattus.

On peut supposer que les tâches de dénomination rapide reflètent l’accès aux représentations phonologiques. De faibles performances en dénomination rapide indiqueraient ainsi des difficultés à accéder aux représentations phonologiques et s’expliquent alors parfaitement par un déficit phonologique (Swan and Goswami 1997).

D’autres auteurs voient les déficits en dénomination rapide comme un trouble indépendant du déficit phonologique (Wolf and Bowers 1999). La tâche de dénomination rapide implique non pas un traitement phonologique seul, mais un ensemble de processus cognitifs : attention aux stimuli, reconnaissance visuelle, accès aux représentations phonologiques et production articulatoire. Les processus mis en jeu sont les mêmes que ceux mis en jeu dans le cas de la lecture. La particularité de la dénomination rapide concerne l’activation rapide de ces processus. Des performances moindres en dénomination rapide pourraient ainsi résulter d’un trouble non pas auditif ni verbal, mais d’un déficit visuel. La tâche de dénomination rapide implique des processus de balayage visuel. Elle nécessite un fort contrôle oculaire et une attention visuelle focalisée. Le déficit de dénomination rapide observé chez les sujets dyslexiques pourrait donc s’expliquer par des facteurs visuo-attentionnels, spécifiquement une instabilité de la fixation oculaire (Stein 2003). Une manière d’exclure les facteurs

visuo-attentionnels de la tâche de dénomination rapide consiste à présenter les items individuellement. Le regroupement des items sur une même feuille nécessite en effet un balayage oculaire important. Certaines études utilisant la version discrète ont montré que la vitesse de dénomination corrèle aux performances en lecture indépendamment du déficit phonologique chez les sujets dyslexiques (Bowers and Swanson 1991). D’autres n’ont pas reproduit cet effet (Stanovich 1981).

Un déficit dans la tâche de dénomination rapide pourrait également s’expliquer par une défaillance du contrôle temporel dans le domaine visuel (Wolf et al. 2000) : les personnes dyslexiques ne parviendraient pas à activer assez rapidement les représentations phonologiques des sons, empêchant ainsi une combinaison efficace entre les différents sons et empêchant la formation d’unités d’ordre supérieur comme les syllabes. Cette hypothèse est la théorie du double déficit, postulant qu’un sous-groupe de la population dyslexique souffre d’un déficit phonologique, un deuxième sous-groupe d’un déficit de dénomination rapide, et un troisième d’un double déficit, à la fois phonologique et de dénomination rapide. Cette hypothèse implique une indépendance entre les deux déficits. Or plusieurs travaux ont rapporté une corrélation entre dénomination rapide et conscience phonologique (Vukovic and Siegel 2006; Vaessen et al. 2009), n’allant pas dans le sens de l’indépendance des deux déficits.

Allant encore plus loin dans l’hypothèse d’un déficit auditif et visuel indépendants dans la dyslexie, certains auteurs ont interprété les moindres performances dans les tâches de dénomination rapide chez les sujets dyslexiques comme un déficit de l’automatisation. La lecture nécessite que ses sous-composantes soient automatisées, selon le modèle de la double voie (Marshall and Newcombe 1973) qui sert de référence dans l’évaluation des pathologies langagières acquises ou développementales. Ce modèle postule l’existence de deux voies de lecture : la voie directe et la voie indirecte. La voie indirecte de la lecture est la voie phonologique, qui permet d’associer chaque représentation graphique à un son. Une atteinte de la voie phonologique provoque des altérations de la représentation, du stockage et de la récupération des segments phonologiques, d’où les difficultés observées dans la conversion graphème-phonème. La voie lexicale est dite directe car elle permet d’accéder directement au sens du mot sans passer par l’étape phonologique. Elle correspond à un processus d’automatisation de la lecture, par reconnaissance globale du mot et non plus par déchiffrage. Elle implique notamment le gyrus fusiforme gauche, ou l’aire de la reconnaissance visuelle

(VWFA), le gyrus temporal moyen postérieur, le gyrus frontal inférieur (pars triangularis) et la partie ventrale antérieure du lobe temporal. Une incapacité à développer cette voie de lecture directe, et à automatiser certains processus, pourrait expliquer le lien entre RAN et lecture (Nicolson and Fawcett 1990).

De façon synthétique, on peut donc regrouper les grandes théories de la dyslexie en deux grandes tendances. La première considère que la dyslexie est un trouble spécifique du langage : c’est la théorie phonologique. Selon cette approche, les autres symptômes rencontrés dans la dyslexie n’ont pas de relation causale avec le trouble de la lecture, mais sont considérés comme des « marqueurs » co-morbides. À l’opposé, les autres théories considèrent que la dyslexie est un dysfonctionnement affectant de multiples domaines sensoriels (audition, vision), sans restriction au domaine auditif, et affectant le domaine moteur : il s’agit de l’hypothèse du double déficit, de l’hypothèse cérébelleuse, de l’hypothèse magnocellulaire. Nous avons décrit seulement certaines de ces hypothèses pour la bonne compréhension des analyses.

Le consensus sur l’hypothèse phonologique s’est principalement basé sur la proportion de la population dyslexique souffrant de troubles phonologiques. Une étude de 2003 a montré, à l’aide d’une batterie de tests très large (lecture de pseudo-mots, tâches d’analyse phonologique, de dénomination rapide et de fluence verbale), que le déficit phonologique était présent chez la totalité des dyslexiques de l’échantillon, contrairement aux troubles auditifs et sensori-moteurs, présents dans des sous-groupes uniquement (Ramus, 2003). Cette observation suggère que le déficit phonologique apparaît en l’absence de tout autre déficit sensoriel ou moteur. Les troubles sensori-moteurs apparaissent donc comme des symptômes co-morbides. Pourtant, des méta-analyses rapportent que tous les dyslexiques ne souffrent pas d’un déficit phonologique. Les mêmes auteurs ont rapporté une prévalence de 77 % des troubles phonologique dans un groupe de 22 enfants dyslexiques âgés de 8 à 12 ans (Ramus et al. 2003). Une seconde équipe a reproduit ces résultats avec d’autres critères, toujours chez des enfants, en rapportant la présence de troubles dans les compétences phonologiques de 52 %.