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Chapitre I De la documentation des langues orales à leur étude ethnolinguistique

I. b.1 L'organisation du texte narratif

La linguistique textuelle d'Adam (2011a) propose des outils pour étudier la manière dont un texte est organisé. Pour Adam, la tâche de la linguistique textuelle est de saisir et d'analyser ce qu'il appelle les "marques" afin de « [...] définir les grandes catégories de marques qui permettent d'établir ces connexions qui ouvrent ou ferment des segments textuels plus ou moins longs. » (2011, p. 58). Ces marques correspondent à des connecteurs, des marqueurs, des organisateurs qui permettent des opérations de liage qui créent de la cohésion à l'échelle du texte (Adam, 2011, p. 142). La structuration séquentielle du texte est réalisée à travers les parties qui le composent, qui 79 Les citations de Stierle sont notées entre guillemets anglaises :"" au sein de la citation d’Adam.

peut suivre un plan de texte occasionnel, c'est-à-dire qui ne répond pas à une structuration prédéfinie, ou conventionnelle. Le plan du texte est alors déterminé par son genre littéraire. Les plans de texte sont, « avec les genres, disponibles dans le système de connaissances des groupes sociaux. Ils permettent de construire (à la production) et de reconstruite (à la lecture ou à l'écoute) l'organisation globale d'un texte prescrite par un genre » (Adam, 2011a, p. 206). Le plan du texte joue un rôle important dans l'unité du texte, car « [d]ans la mesure où les empaquetages de propositions n'aboutissent pas toujours à des séquences complètes, on peut dire que le principal facteur unifiant de la structure compositionnelle est le plan de texte» (Adam, 2011a, p. 205).

Un deuxième niveau de composition du texte est possible à travers la production de séquences et de périodes. Les séquences et les périodes ne constituent pas systématiquement l'intégralité du texte. Certains énoncés peuvent être moins intégrés à la composition du texte. La séquence textuelle permet de saisir la structuration interne des événements narrés (Adam, 2011b, p. 44) :

« La séquence est une structure relationnelle préformée qui se surajoute aux unités syntaxiques étroites (phrases) et larges (périodes), c'est un «schéma de texte» situé entre la structuration phrastique et périodique des propositions et celle, macro- textuelle, des plans de textes. Les séquences sont des structures préformatées de regroupement, typées et ordonnées de groupe de propositions. »

Selon Adam, les séquences textuelles relèvent de cinq modes d'organisation du texte : le narratif, le descriptif, l'argumentatif, l'explicatif et le dialogal. Le schéma de la séquence narrative permet de mettre en valeur un prototype de déroulement d'une action (voir le schéma 2).

Schéma 2: Les étapes d'une séquence narrative selon Adam (2011, p. 110)

Borne du procès Noyau du procès Borne du procès

1. Situation initiale 2. Nœud (Déclencheur) 3. Ré-action ou Évaluation 4. Dénouement (Résolution) 5. Situation finale

Ce schéma de séquence narrative a pour objectif de résumer la mise en intrigue d'un texte narratif. Il s'agit d'un schéma qui modélise l'attente générale d'une personne interprétant une

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séquence narrative. En produisant du narratif, l’orateur joue sur la « tension narrative »80 pour

retenir l'attention de son auditoire (Baroni, 2007). Cette tension s'appuie sur les attentes de l’auditoire pour provoquer chez lui des dysphories et euphories. Les faits narratifs doivent être enchaînés dans une logique qui apparaît comme cohérente, ils doivent se suivre d’une manière qui ne provoque pas chez l’auditoire un questionnement sur leur vraisemblance, mais doivent répondre à une logique humaine du temps, à une expression du temps qui correspond à une certaine expérience temporelle.

Les approches formalistes des textes narratifs, telles celles de Propp ou de Labov, ont proposé des schémas décrivant leur organisation. L'approche morphologique de la narration de Propp (1968, p. 19) synthétise le contenu d'une péripétie afin de la réduire en une simple fonction. Propp identifie de cette manière 31 fonctions au sein des contes russes. Labov (1972; Labov et Waletzky, 1997), dans son étude sur les récits personnels de locuteurs anglophones, propose un schéma de six fonctions synthétisant le contenu possible d'une narration. Ces fonctions sont ordonnées selon leur ordre d'apparition dans un texte :

1. Abstract : cette fonction correspond au moment où la personne produit un résumé de la narration, avant de la débuter ;

2. Orientation : il s'agit du moment où l'orateur associe la narration à un lieu, à un moment, à des personnes et leurs activités ;

3. Complication, cette fonction constitue habituellement le corpus du texte, elle contient les événements qui font l'objet du récit personnel ;

4. Evaluation, cette étape du récit correspond au moment où l'orateur indique la raison particulière associée à la production de la narration ;

5. Resolution, qui suit ou coïncide avec l'Evaluation, correspond au moment où l'orateur fournit le résultat de la narration ;

6. Coda, la coda consiste en quelques phrases signalant la fin de la narration.

80 La tension narrative correspond au « [...] phénomène qui survient lorsque l’interprète d’un récit est encouragé à attendre un dénouement, cette attente étant caractérisée par une anticipation teintée d’incertitude qui confère des traits passionnels à l’acte de réception. La tension narrative sera ainsi considérée comme un effet poétique qui structure le récit et l’on reconnaîtra en elle l’aspect dynamique ou la " force " de ce que l’on a coutume d’appeler une intrigue. » (Baroni, 2007, p. 18).

L'approche par « plan du texte » d'Adam (2002) diffère81 des approches formalistes de la

narration telle que les proposent Propp (1968, p. 19)82 ou Labov (1972) en ce qu'elle met en avant le

rôle de l'auteur. Le plan de texte résulte d'une hiérarchisation des événements que l'auteur met en place, soit de manière conventionnelle, c'est-à-dire qu'il est lié à un genre discursif, ou de manière occasionnelle, lorsque la hiérarchisation provient de l'auteur.