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Chapitre I De la documentation des langues orales à leur étude ethnolinguistique

I. a.1 Les descriptions linguistiques au Vanuatu et à Malekula

Le panorama des documentations linguistiques existantes au Vanuatu, et en particulier à Malekula, a comme objectif de réaliser une recension des concepts grammaticaux qui seront pertinents à la présente étude des pratiques narratives nisvaies.

François et al. (2015) distinguent trois vagues de documentation linguistique du Vanuatu. La première vague correspond aux travaux de missionnaires et des premiers linguistes. Elle a débuté avec l’évangélisation des ni-Vanuatais. Les descriptions étaient principalement l’œuvre des missionnaires, par exemple ceux de von der Gabelentz (1873) et à sa suite ceux du révérend Codrington (1885) qui portaient sur la description des langues dites mélanésiennes dans leur ensemble. Une deuxième vague importante de documentation linguistique des langues du Vanuatu a démarré dans les années 1970 avec les premiers travaux de Lynch (1970), Tryon (1971), Charpentier (1979) puis Crowley (1982) dans l'archipel. Enfin, une dernière vague de documentation des langues a démarré dans le milieu des années 1990 avec la fin du moratoire sur les recherches au Vanuatu en 1994 et la nouvelle politique de Ralph Regenvanu, alors directeur du Centre culturel du Vanuatu. Ces travaux de description linguistique visent à produire la grammaire d’une langue, souvent associée à un corpus de textes narratifs, dans le cadre d'une thèse de doctorat. Ces grammaires descriptives consistent en l'analyse des structures de la langue. Après avoir étudié la phonétique et le système phonologique de la langue, le linguiste porte alors son attention sur les catégories morphologiques et les processus syntaxiques.

Il n'existe que peu de travaux de documentation langagière sur les littératures au Vanuatu, qu'elles soient orales ou écrites. Si la majorité des travaux de description linguistique fonde leurs études sur la collecte de textes oraux, cette collecte sert de support à des analyses linguistiques de type morphologique ou syntaxique dans la lignée des travaux Boas (1901, 1922) Leur problématique n'est pas d'analyser les textes qui le composent comme des pratiques narratives reliées par une dialectique cohérente, mais de fournir un fond d'exemples justifiant les analyses. C'est le cas, par exemple, du recueil de textes que Schutz (1969) a constitué sur la langue nguna, parlée dans l’île éponyme. L'auteur précise dans l'introduction que son objectif lors de la constitution du corpus était d'obtenir une base de références pour l'étude grammaticale du nguna70.

70 Ce recueil se situe dans la lignée des collectes annotées de textes pratiquées par Boas (1901) : le texte est présenté de deux manières, la première consiste à produire un texte dans un format habituel au lecteur européen, la deuxième présente une version découpée en segments. À chacun de ces segments, eux-mêmes découpés en morphèmes, est associée une ligne d'annotation morphologique.

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Il existe cependant des études portant sur les pratiques narratives de communautés linguistiques du Vanuatu. Les travaux de Facey (1988) et Brotchie (2009) situent les narrations étudiées au sein d'un corpus de textes, plutôt qu'être une approche parcellisant les textes en propositions dissociées les unes des autres. Ce sont les textes en tant qu'objet de recherche qui ont constitué le sujet de leur recherche.

Malekula est une île où la densité linguistique est exceptionnelle. Une langue y est en moyenne parlée par 573 locuteurs, alors que la moyenne de l'archipel est de 1 800 locuteurs par langue (Office, 2009). Afin d’avoir une idée précise de l’état de la documentation linguistique descriptive des langues de Malekula, un tableau recensant ces travaux a été dressé sur fondement de la carte produite par François et al. (2015, p. 3) comme référence (voir la Liste des informations relatives

aux langues de Malékula en annexe, p. 319). Cette liste identifie les langues de Malekula avec les

ressources en linguistique descriptive disponibles les concernant, lorsqu’elles existent. Seule une langue, nommée Repanbitip par l'Ethnologue (2016) n’est pas dans la liste des langues proposées par François et al. (2015). Il s’agit peut-être d’un autre nom d’une des langues déjà recensées, mais aucun lien entre les différentes sources n'a pu être établi pour associer le nom à un lieu ou à une communauté langagière particulière.

La consultation de ces descriptions linguistiques a permis d'identifier des catégories linguistiques qui jouent un rôle dans l'étude des pratiques narratives nisvaies. L'article est important dans les langues du Vanuatu, car il permet de repérer les entités nommées. La linguistique océaniste (Lynch et al., 2002, p. 3 ; Malau, 2016) a pour habitude de nommer « article » le morphème, le plus souvent un préfixe, qui marque la distinction entre nom propre et nom commun, contrairement à l'acceptation habituelle qui porte sur la définitude. À Malekula, les formes les plus courantes de ces articles sont /na-/ pour l'article introduisant les noms communs, /a-/ pour l'article introduisant les noms propres et /li-/ pour les noms de lieu ou de femmes.

Une autre catégorie essentielle à l'étude des pratiques narratives est celle des pronoms qui permet notamment d'étudier les points de vue adoptés par l'orateur. Les langues du Vanuatu marquent une opposition entre la première personne du pluriel inclusive et celle exclusive. Cette opposition est productive à travers différentes catégories grammaticales. Elle concerne les pronoms personnels sujets et les pronoms possessifs71. En ce qui concerne les pronoms possessifs, les langues

du Vanuatu distinguent les objets possédés en plusieurs catégories. La première opposition, systématique à l'échelle du Vanuatu, est celle entre l’aliénable, les objets qui peuvent être distingués de leur possesseur, et l’inaliénable, les entités nécessairement associées à un possesseur. Au sein de la catégorie inaliénable, il peut exister des distinctions selon la relation entre l’objet inaliénable et son possesseur. En ce qui concerne l’aliénable, les locuteurs emploient des classificateurs afin de préciser la nature de l’objet possédé. Ainsi, le Vurës, parlé dans le sud de Vanua Lava, distingue la nourriture : /ga/, la boisson : /ma/, les animaux domestiques /bōla/, le moyen de transport : /ka/, les vêtements : /no/, le lit ou les objets en rapport avec le lit : /ba/ et le générique : /mōgō/ (Malau, 2016, p. 290).

Les descriptions linguistiques des langues de Malekula montrent que celles-ci ne disposent pas de la même variété de classificateurs que les langues du nord du Vanuatu. Si les distinctions entre 71 Consulter par exemple Charpentier (1979, p. 49) ou Healey (2013, p. 47) pour des descriptions sur les pronoms

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inaliénable et aliénables est systématique, des sous-distinctions sont plus rares que dans les langues du nord du Vanuatu. Toutefois, la grammaire d'Healey (2013, p. 69) sur la langue parlée dans les îles Maskelynes montre qu'une distinction est réalisée entre les objets aliénables mangeables et les autres objets.