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3. L‟apport de l‟observation directe

3.5. Organisation spatiale de la consultation

Dans les centres de la PMA, l‟organisation de l‟espace de la salle de consultation est simple : un bureau destiné au médecin ou à l‟infirmière. Deux chaises pour la patiente et la personne qui l‟accompagne. La salle de consultation comprend aussi un espace spécifique séparé du reste de la pièce par la médiation de rideaux, où est localisé le lit obstétrical et l‟échographe. Les rideaux sont rarement utilisés, sauf quand la patiente est soumise à un toucher vaginal. Les maris ne sont pas présents pendant les consultations du gynécologue. Ils sont présents pendant la consultation du gynécologue avec la biologiste, principalement dans la première visite seulement. Une infirmière est toujours présente dans la salle de consultation. Face à cette situation, il est intéressant d‟écouter les hommes. Ces derniers refusent souvent d‟accompagner leurs femmes à ce type de consultations. Ils pensent que c‟est une spécialité intimement féminine. Elle ne les concerne pas.

L‟espace médical est aussi un espace de tension. Dans la salle de consultation, la gynécologue fait passer trois femmes pour la remise des ordonnances. Il y est indiqué le protocole du traitement à prendre. La remise des ordonnances a toujours lieu en présence d‟un groupe de femmes. Les femmes regrettent de ne pas être reçues individuellement pour une meilleure explication du traitement et un bon suivi. Pour la gynécologue, il est important que ces femmes soient présentes en qualité de témoin. Les médecins cherchent ainsi à se protéger. La gynécologue dit : « Souvent, je rencontre des problèmes avec les femmes, elles ne comprennent

pas, c‟est plutôt elles ne retiennent pas ce que je leur dis, et lorsque qu‟elles se trouvent dans un petit souci, elles viennent pour réclamer, et parfois elles me démenti, alors que je leur ai bien expliqué comment elles doivent prendre leur traitement…donc j‟ai trouvé cette méthode, euh, c‟est en dehors de la consultation gynécologique bien sûr, mais pour les remettre les ordonnances, je réuni jusqu‟à trois femmes, comme témoin, si demain une d‟elle va nier, d‟autres lui rappelle».

La présence de témoins est considérée comme une nécessité. L‟incompréhension et l‟indifférence des femmes sont généralement évoquées par les professionnels. Etant donné le nombre important de patientes, trois à quatre femmes sont orientées dans une salle vide située à côté de la salle de consultation. Elles se préparent avant d‟être examinées par le gynécologue. La

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rentabilité est au centre de la consultation. Dans cette salle dite de « préparation », les femmes porteuses du pantalon, ont du mal à vivre leur nudité. Elles doivent ramener avec elles une jupe ou un couvert, surtout en période d‟hiver. Parfois, les femmes se prêtent entre autres des châles ou un manteau très long pour préserver leur intimité. Selon elles, c‟est une violation à leur pudeur et à leur intimité. Rappelons que la pudeur a fait l‟objet de recherche qui a interpellé les psychanalystes et psychologues en rapport avec les problèmes de constitution de la personnalité. La pudeur serait alors une nécessité interposant quelque chose entre soi et l‟autre » (Morel, 2003, p. 14). Elle contribue à l‟identité sociale de l‟individu. Le corps est un « point frontière », à la croisée d‟une enveloppe individualisée et d‟une expérience sociale, à la fois récepteur et acteur de normes intériorisées (Vigarello, 1978, pp. 10-11). C‟est sur le corps que s‟exercent les normes de comportement pudique.

Les hommes et les femmes sont donc éduqués selon les codes sociaux dominants de ce qui peut être montré et ce qui doit être caché. Cependant, la pudeur est une notion genrée socialement construite à partir de l‟identité sexuelle, beaucoup de personnes considèrent que « la pudeur comme une vertu féminine par excellence» (Gaelle Deschodt, 2010, 105).

Saléha est âgée de 29 ans. Elle est titulaire d‟une licence en sciences économiques. Elle exige au centre de PMA qu‟elle soit examinée par un médecin gynécologue femme. Dans le cas contraire, elle quitte le centre. Effectivement, elle abandonne la démarche de la Fécondation In Vitro alors qu‟elle est en plein processus (étape de la ponction). Elle n‟accepter d‟être regardée, examinée, touchée dans les parties les plus intimes de son corps pendant les procédures obstétricales ordinaires par un médecin homme. Ces actes offensent ses normes liées à la pudeur que les gynécologues sont des hommes et que les consultations se déroulent dans ces espaces où les femmes peuvent être vues et exposées au regard. Pour elle, toutes les dérogations possibles à ses normes sont perçues comme une violation pouvant entraîner de graves conséquences. Ceci indique que le corps féminin est chargé de significations morales, sociales et religieuses importantes. Pour elle, le médecin de sexe féminin montre davantage des comportements affectifs. Il est plus attentif dans l‟écoute accordée aux discours de leurs patientes. Par contre le médecin de sexe masculin est verbalement dominant durant la consultation et à faire des interprétations des propos des patients. Le dialogue avec du même genre peut influencer l‟homme à accepter la continuation de la procédure.

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Les interactions entre couples et professionnels de la PMA permettent de comprendre les enjeux de genre qui traversent l‟objet de la procréation médicalisée. L‟importance du rôle des médecins et de l‟institution médicale dans le domaine de la PMA est double. Tout d‟abord les discours et les pratiques des médecins définissent le champ des possibles et du pensable en matière de santé reproductive, du fait de leur rôle de prescripteur mais aussi du fait de la légitimité scientifique accordée socialement à leur activité clinique (Freidson, 1984). Le rôle des médecins auprès des usagères et usagers du système de santé peut être analysé à l‟aide du concept d‟entrepreneur de morale développé par Howard S. Becker (Becker, 1985), dans la mesure où leurs discours et pratiques contribuent à promouvoir des normes et des représentations, auprès de leurs patientes. C‟est aussi, le rôle socialisateur de l‟institution médicale qui s‟ajoute, où les femmes apprennent le langage et les codes médicaux.

Conclusion

Nous avons donc insisté sur la dimension du genre qui s‟entremêle avec l‟expérience des hommes et des femmes et de l‟étude des techniques de reproduction assistée. Les théories du genre ont été mobilisées dans cette recherche pour comprendre en quoi la reproduction constituait un enjeu de pouvoir entre les sexes. Les sexes étant définis en fonction de leurs rôles dans la reproduction, il était intéressant d‟étudier le sort réservé aux personnes ne pouvant pas procréer. Les études de genre ont permis une meilleure compréhension du lien entre le corps des femmes, la sexualité des femmes et la reproduction (Tabet, 1998, 2004). Elles ont servi d‟outil pour analyser les rapports de pouvoir entre les sexes et pour comprendre leur l‟origine. Ainsi, nous avons présenté la démarche méthodologique que nous avons suivie pour mener notre étude. Cette recherche, de type socio-ethnographique, a mis en oeuvre une démarche inductive. Dans la lignée de la « Grounded Theory » de Glaser et Strauss (1967), nous avons donc expliqué la pertinence de notre dispositif d‟enquête ethnographique (Beaud & Weber, 2010) basé à la fois sur des entretiens et des observations. Cette méthodologie mixte permet de saisir à la fois des pratiques et des représentations. L‟entretien permet d‟en « enrichir la valeur informelle et cognitive » (Schwartz, 1993). Il permet également de rendre compte du point de vue de l‟acteur, de son expérience et de ses savoirs, savoir-faire et croyances. Il permet de saisir le sens qu‟ils donnent à leurs actes (Kivits & al., 2016, p. 87). L‟observation directe est « privilégiée » pour étudier les pratiques et leurs dimensions informelles (Arborio & Fournier, 2015). L‟institution médicale comme un espace social où se jouent les interactions entre les différents acteurs, est

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aussi un espace genré. Ce choix méthodologique se veut en cohérence avec notre objet de recherche. Nous allons, dans le chapitre suivant, aborder les spécificités de l‟usage de la procréation médicalement assistée (PMA) dans le contexte algérien.

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Chapitre 2

Normes reproductives et procréation médicalement assistée.

La nature humaine est éminemment malléable, obéit fidèlement aux impulsions que lui communique le corps social. Si deux individus, appartenant chacun à une civilisation différent, ne sont pas semblables (et le conditionnement s‟applique aussi bien aux membres d‟une même société), c‟est avant tout qu‟ils ont été conditionnés de façon différente, particulièrement au cours de leurs premières années : or, c‟est la société qui décide de la nature de ce conditionnement. (Margaret Mead (trad. Georges Chevassus), Mœurs

et sexualité en Océanie, Paris, Terre Humaine,

1963).

Introduction

Pour penser l‟expérience sociale des couples infertiles ayant recours au traitement de la PMA, les discussions à propos de cette pratique sont encore taboues car elles constituent une dissuasion pour la préservation des normes sociales. En Algérie, les nouvelles techniques de procréation, autrement nommées procréation médicalement assistée (PMA), puis assistance médicale à la procréation (AMP), constituent un objet d'étude relativement récent. Il est important de déterminer le contexte socioculturel de la société algérienne qu‟à travers des normes sociales et des normes de genre, conditionne les relations entre les sexes et les générations. Ce chapitre vise à tracer l‟histoire de l‟assistance médicale à la procréation en Algérie. Il analyse l‟usage médico-social de cette pratique dans le contexte algérien dominé par l‟idéologie patriarcale et normative valorisant le statut de la mère. Il s‟agit de porter un éclairage sur les normes d‟accès à cette pratique en s‟appuyant les différentes expériences des femmes vécues, ayant usées de cette technique incertaine et expérimentale pour échapper à un destin sans enfant.

L‟application de cette pratique bouscule l‟idéologie patriarcale qui conditionne les comportements à travers des valeurs liées à la virilité. Dans ce cadre, la femme n‟est femme que si elle est avant tout mère. L‟enfant occupe une place hégémonique dans la famille. Les couples s‟approprient la PMA dans ce contexte accessible, évitant le conflit avec certaines valeurs culturelles ou religieuses. Les techniques reproductives sont réglementaires à condition qu‟elles s‟appliquent sur des gamètes venant de l‟homme et de son épouse légale. La procréation

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médicalement assistée se pratique exclusivement dans le secteur privé. Les couples effectuent de nombreuses investigations. Les traitements sont coûteux, mais les couples sont prêts à vendre bijoux, voitures ou autres biens afin d‟y accéder. Les pressions familiales et l‟injonction des femmes au pouvoir médical agissent en fonction des normes sociales qui correspondent aux rôles sexuels et aux rapports de pouvoir entre les sexes. Le traitement de la PMA et son développement s‟inscrivent dans une logique de reproduction des rapports de pouvoir, déployant un contrôle social sur la procréation. Dans la culture algérienne, garder l‟hypofertilité masculine secrète fait partie du discours implicite. Nous verrons comment le couple garde souvent secrète la question de l‟infertilité masculine afin de protéger l‟homme des regards et du jugement familial et social. Le recours à la procréation médicalement assistée se fait en secret pour traiter l‟infertilité masculine. Cette discrétion peut être interprété comme une conséquence d‟un « obstacle culturel.» (Bernadette Tillard, 2009, p. 27). Il semble intéressant de s‟approcher des couples diagnostiqués d‟infertilité et comprendre de l‟intérieur leur expérience dans le parcours de PMA. Il est important aussi de chercher les évolutions des connaissances à propos de l‟infertilité et l‟AMP, leurs concordances ou leurs contradictions avec le discours médical.