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Un nouveau mode de procréation dans la médecine reproductive

1. Le genre : Un outil d‟analyse

1.3. Un nouveau mode de procréation dans la médecine reproductive

La question de l‟enfant, de sa place dans la vie sociale et familiale, est devenue incontournable chez les femmes et les hommes qui n‟arrivent pas concevoir. A l‟entrée dans les centres de la procréation médicalement assistée (PMA), les femmes se disent toutes animées par l‟espoir de devenir mère grâce à l‟intervention de la médecine procréative. De ce fait, la procréation pouvait-elle procéder d‟une technique médicale ? Pulman (2010) écrit qu‟il y a mille et une façon de faire des enfants grâce à la révolution des méthodes de procréation. Celle-ci se traduit par une médicalisation et une technicisation croissantes de la reproduction. Il s‟agit d‟un processus déjà ancien mais qui s‟est accéléré et intensifié depuis le temps de la diffusion de nombreuses innovations biomédicales permettant un suivi continu de grossesses (Déchaux, 2017).

Nous pouvons constater que les nouvelles techniques de reproduction, notamment la fécondation in vitro laisse une impression d‟évidence après la première réussite mondiale. La fécondation in vitro est considérée comme une « bonne solution » en cas de difficulté à concevoir. Si la contraception nous mène à penser que la sexualité n‟entraîne pas nécessairement la reproduction, avec l‟assistance médicale à la procréation (AMP), la naissance d‟un enfant peut s‟obtenir sans acte sexuel. La reproduction ne découle pas obligatoirement de la sexualité. La naturalisation de la reproduction, fondée sur l‟image du rapport sexuel, ne s‟impose plus à nous comme une évidence. Les repères anthropologiques de la procréation en sont bouleversés. Cette procréation sans sexualité au moment de la fécondation caractérise les développements de techniques plus sophistiquées qui impliquent des actes de laboratoire : fécondation, congélation et stockage des embryons humains et des gamètes. Toutefois, bien que radicalement étrangères à l‟enfantement « naturel » lié à l‟acte sexuel, ces techniques ont été acceptées par la société sans provoquer beaucoup de défiance, si ce n‟est à propos des problèmes de gestion qu‟elles posaient. « Rares ont été les enquêtes ou études cliniques demandées à propos des enfants conçus par fécondation in vitro. On s‟est employé au contraire à affirmer une équivalence entre toutes les naissances quel que soit le mode de procréation » (L. Gavarini, 2002, p. 03). En effet, les bébés-éprouvettes sont donc obtenus par d‟autres moyens que la relation sexuelle entre l‟homme et la

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femme. Ils sont médicalement appelés « bébés éprouvettes » cat ils sont conçus par insémination artificielle.

Pour L. Tain (2003), les techniques de la PMA amènent à une procréation sans sexualité. En dissociant sexualité et reproduction, ce mode de procréation correspond à un mode de procréation indépendant de l‟hétérosexualité. Elle explique : « Le déroulement des protocoles hospitaliers des techniques de reproduction tend à remettre en cause l‟hétérosexualité conjugale comme fondement de l‟acte reproductif au profit de l‟intervention d‟un tiers médical » (L. Tain (2003, p. 183). Dans cette forme de procréation, il faut l‟apport de personnes de sexe opposé, mais plus d‟acte sexuel (Novaes, 1986). Avec les nouvelles technologies de reproduction, la procréation se passera de la sexualité : « Il n‟y a plus que des gamètes mis en contact par le truchement d‟une technique hors corps, puis un ventre par lequel va transiter le futur enfant » (Gavarini, 2001, p. 241). L‟acte sexuel qui a toujours été indispensable à la procréation, disparaît au profit d‟un acte médical.

La procréation médicalisée intervient lorsque la « nature » ne parvient pas à produire. Une « nature » bien évidemment reconstruite depuis l‟univers de la techno-science biomédicale. La fertilité du couple est spontanément une affaire de temps et pourrait être assez faible. De ce fait, le couple est perçu comme des corps non performants. Or sous la pression médicale en PMA, cette non-performance du couple est très rapidement considérée comme une stérilité. Et si la médecine intervient pour répondre à une infertilité d‟ordre pathologique, elle est donc fondée sur une représentation qui « reproduit aussi étroitement que possible les « conceptions naturelles » (Löwy, 2009, p. 109). Les couples admissibles aux centres de PMA sont définis « par leur capacité théorique en même temps que leur incapacité pratique à procréer » (Fassin, 2002, p. 89). Or, il existe également des cas d‟infertilité médicalement inexpliqués, c‟est-à-dire qu‟aucun diagnostic précis n‟a été établis, et ce, malgré tous les examens.

Ce nouveau mode de procréation est perçu comme un palliatif à la stérilité (F. Héritier, 1985). Bien que ces dernières années le développement des connaissances scientifiques s'est produit en matière de reproduction et de génétique humaine, où il est nécessaire de tenir compte de cet acquis, mais comme disait F. Héritier-Augé (1985) : « il faut savoir qu'il n'existe pas de système de pensée, si naïf qu'il nous paraisse, ni de système social, si fruste soit-il, qui n'aient été fondés eux aussi sur une analyse critique de ce que la nature offrait aux regards, donc du donné biologique tel qu'il pouvait être observé et interprété avec leurs propres moyens d'intelligibilité par ceux qui mettaient en pratique ces systèmes » (p. 06). Par ailleurs, les règles sociales dépendent de la reconnaissance de la place de l'enfant dans la famille et dans la société. Elles

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sont toutes ancrées dans ce que le corps humain, donc la nature humaine, a de plus irréductible : la différence des sexes. En effet, les analyses de J-H. Dechaux (2014) montrent que si l‟infertilité pathologique n‟est plus perçue comme « la seule porte d‟entrée nécessaire et suffisante pour la PMA» (p. 145), les demandes de procréation médicalement assistée nécessitent d‟être strictement encadrées et régulées. Alors que S. Mathieu indique que la PMA est en train de sortir du cadre thérapeutique (une thérapie de l‟infertilité médicalement avérée) pour devenir un mode alternatif de procréation (J-H. Dechaux, 2014, p. 549).

En outre, dans ce genre de procréation, le corps masculin et le corps féminin sont pris différemment, en donnant un caractère asymétrique du point de vue du genre de la médicalisation des corps et des sexualités. Souvent les femmes fertiles se traitent pour une infertilité masculine et elles sont prises comme infertiles. La face cachée de ces nouvelles techniques reproductives c‟est d‟avoir replacé les femmes dans une condition de génitrices, dans une dépendance à l‟égard de leur fonction de reproduction. Vu le rôle joué par les technologies biomédicales, les questions de santé dans des aspects toujours plus variés constituent les « affaires humaines » (Fassin et Memmi, 2004).

Des chercheuses ont aussi analysé les changements induits par l‟assistance médicale à la procréation à travers la dissociation entre sexualité et procréation (Rouch, 1995). Ces techniques introduisent une crise dans les rapports entre les sexes, en remettant en question la structure de la famille car il n‟est plus nécessaire d‟être un couple hétérosexuel pour être parent et la sexualité n‟est plus nécessaire à la procréation (Rouch, 1995; Tain, 2003). Les sociologues L. Gavarini (1986) et Laborie (1990) montrent que les traitements médicaux peuvent avoir des impacts néfastes sur les femmes mais aussi sur la fécondité. Des accidents d‟hyperstimulation peuvent entraîner des risques vitaux immédiats. Elles critiquent et refusent toutes les opérations faites sur le corps des femmes dans les parcours d‟assistance médicale à la procréation : injections hormonales massives, prélèvements répétés pour dosages hormonaux, échographies, stimulation ovarienne hormonale, ponction, insémination artificielle, transplantation d‟embryon, etc. La fécondation in vitro est une technique qui accroît les risques de grossesses extra-utérines, d‟avortements spontanés et de grossesses multiples, lesquelles présentent des risques importants de prématurité et de handicaps potentiels pour les enfants (Athéa, 1990). Cela indique clairement que l‟ordre médical contribue à établir un continuum entre féminité et maternité ou encore entre sexualité féminine et reproduction. De ce fait, les femmes sont perçues socialement comme liées à la nature et les hommes liés à la culture. Ce qui justifierait la domination des deuxièmes sur les premières. Le corps devient le pivot de réflexion sur la distinction entre sexe et genre

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En effet, dans « Le deuxième sexe » de Simone de Beauvoir, ouvrage paru en 1949, bien avant l‟apparition du mouvement mais qui en pose de nombreux repères à la fois thématiques et réflexifs, l‟auteure s‟attache à opérer la distinction entre « femme » et « mère ». L‟expression de « on ne naît pas femme, on le devient » a apporté de nouvelles assises d‟une nouvelle définition du genre en étayant la distinction entre un sexe biologique et sexe social. « Son insistance sur la perception et l‟expérience qu‟avaient les femmes de leur corps sexué et de leur sexualité, dans un entre-deux biologique et social, a fait du corps l‟enjeu de la réflexion sur la distinction entre sexe et genre. Ce qui ne reste pas sans effet sur l‟appréhension des rapports sociaux de sexe.» (Löwy et Rouch, 2003). Le célèbre slogan : « Un enfant, si je veux et quand je veux », récuse la maternité « passive », vécue comme un devoir, soumise aux intérêts du « patriarcat». En revanche, être mère représente un épanouissement personnel, chose que notre présente enquête en Algérie montre le contraire. La maternité n‟est pas encore devenue une affaire privée. La maîtrise de la fécondité invite à se décider socialement. Toutefois, il est important de souligner que l‟analyse en termes de « rôles de sexe » qu‟elle reprend à Parsons, lui ouvre la voie à penser que les places et les activités des individus ne sont pas considérés comme découlant de leur nature ou de leurs capacités propres mais de l‟organisation sociale ».

En outre, les féministes sont divisées en deux tendances. D‟une part, les « essentialistes », ou « différencialistes » refusent toute identification de la femme à l‟homme, et inventent le féminin/maternel comme essence. D‟autre part, les « universalistes » comme Christine Delphy et Élisabeth Badinter ont remis en cause la différence des sexes. La différence n‟est pas naturelle mais socialement construite. En revanche, il nous semble que la question de la reproduction se situe entre deux interprétations contradictoires, l‟une politique et l‟autre naturelle dont certaines comme S. De Beauvoir se retrouve aux prises avec le dilemme du corps.

Pour sa part, N. Mathieu (1971) a montré que le traitement différentiel posé aux catégories de sexe féminin comme particulier, et masculin comme général, conduit à un obstacle méthodologique de dépasser une conception essentialiste du sexe (Devreux, 1985). Ces deux catégories de sexe sont indissociables d'un système structural. Il est nécessaire donc de déconstruire la pensée du biologique qui conditionne la femme à des rôles car il existe dans toute société un « système des sexes » (Anne-Marie Daune-Richard et Anne-Marie Devreux, 1992, p : 09). Le discours sur la nature est « un discours sur un rapport de pouvoir de fait. Il s'agit d'un constat mais pas n'importe lequel, d'un constat « prescriptif » qui stipule l'obligation de conserver la place attribuée puisque femmes et hommes sont ainsi faits » (Anne-Marie Daune-Richard et Anne-Marie Devreux, 1992, p. 11). La différence biologique de sexe constitue un système

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asymétrique qui sous-entend une dichotomie entre nature/culture. Le féminin est associé à la nature, au corps, à la reproduction, à l‟émotion, à l‟espace privé. Par contre, le masculin est associé à la culture, à la production, à la raison, à l‟espace public. Ceci renvoie à deux mondes socialement hiérarchisés. Autrement dit, cette dichotomie renvoie le féminin au biologique, procréatif et le masculin au social » (Tabet in Mathieu, 1985, p. 65). C‟est donc un système qui renferme « les femmes sur le corps et sur la nature » (Mathieu, in Gardey et Löwy, 2000, p. 119).

Mathieu (1985) explique que les capacités reproductives des femmes sont généralement pensées comme des données de la nature, une propriété naturelle des femmes, sur laquelle on reconnaît éventuellement que peut s‟exercer un contrôle social » (Mathieu, 1985, p. 12). Nous pouvons comprendre que le genre, en tant que système hiérarchique définissant le masculin et le féminin et organisant leurs rapports sociaux est au coeur des enjeux soulevés par l‟infertilité et la procréation. Celle-ci est loin d‟être une donnée naturelle. On considère à tort « la fonction reproductive des femmes comme si elle était une donnée d‟évidence première, constante dans l‟espace et constante dans le temps » (Tabet, in Mathieu, 1985, p. 62). La femme « est, avant tout apparaît « enfermée dans son sexe » (Knibiehler et Fouquet, 1983, p. 113).

A partir de là, il semble que si le corps féminin est associé à la nature et donc à la reproduction, le genre consistera, en effet, en « un mécanisme culturel construisant le corps féminin en tant que corps maternel » (Butler, 2006, p. 194). Le statut de « la femme » est ainsi défini par la fécondité. C‟est pour cette raison que l‟infertilité et la procréation médicalement assistée devraient être analysés comme des dimensions intégrées dans le système de genre.

La fonction maternelle n‟est pas remise en question dans ces nouvelles technologies de reproduction au profit de la médecine de la reproduction. En effet, certaines chercheuses (Rouch, Laborie) s‟interrogent sur le but des nouvelles technologies de reproduction. Elles ont analysé les changements induits par l‟assistance médicale à la procréation à travers la dissociation entre sexualité et procréation (Rouch, 1995). Elles pensent que les femmes servent d‟alibi à des médecins « en mal de maternité » (Laborie, 1986; Vandelac, 1988). Dans cette optique, les médecins veulent maîtriser la reproduction en passant par le corps des femmes (Knibiehler, 1986). D‟autres chercheuses indiquent que les nouvelles technologies de reproduction se situent dans le débat actuel comme l‟enjeu d‟une lutte entre les hommes et les femmes où les médecins sont en train de s‟approprier la « puissance spécifiquement féminine » de la maternité (Novaes, 1986). Elles remarquent d‟ailleurs dans le discours scientifique des gynécologues et des biologistes un déni de la place de la femme dans la reproduction permise par les nouvelles technologies de reproduction (Botbol-Baum, 2003 ; Kail, 1991).

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Au fil de cette thèse, c‟est la procréation médicalement assistée à laquelle les hommes et les femmes y recourent pour concevoir un enfant en rapport avec le genre qui est interrogée. Pour étudier l‟expérience des couples infertiles, nous nous demanderons comment cette pratique modélise le corps féminin et contribue à la reproduction de la norme du genre? Pour y répondre, nous avons conduit une enquête de terrain qu‟il convient à présent de l‟aborder en détail.