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Les négociations hommes et femmes dans la gestion de l‟infertilité

Le recours à l‟AMP est le résultat d‟une longue négociation entre les femmes et leurs époux. Elles impulsent la décision de recourir à la PMA en obtenant l‟adhésion du mari. La femme joue un rôle actif dans les démarches de traitements de fertilité. La femme est rapidement au cœur des investigations au grand soulagement de son mari. C‟est après une longue série de consultation gynécologique effectuée par la femme seule, que l‟homme accepte d‟effectuer des analyses et recourir à l‟assistance médicale à la procréation (Benabed, 2008). Les hommes ne consultent généralement pas spontanément. Ils remettent à plus tard la réalisation des examens nécessaires, soit pour les premiers examens ou pour des démarches d‟AMP. Pour l‟homme, le spermogramme constitue un examen délicat et difficile à réaliser. Souvent il est cause de négociation et de conflit dans la vie du couple. Nadia est âgée de 38 ans. Elle est enseignante universitaire, essai d‟avoir un enfant avec son mari Mohamed, 42 ans, ingénieur, depuis treize ans. Il n‟a jamais fait d‟examen. C‟est elle qui consulte. Son mari rejette l‟idée de faire un spermogramme qui, pourtant, permettrait de diagnostiquer et de commencer une tentative de FIV en PMA. Il refuse de façon radicale alors que sa femme attend avec impatience qu‟il se décide.

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Ce type d‟analyse perturbe la relation conjugale et crée des conflits et des disputes quotidiennes. Ecoutons Nadia :

« […] Au bout de deux ans de traitement il n‟y avait rien…après, le médecin m‟a donné

des analyses pour mon mari, oui le spermogramme, mon mari ne voulait pas la faire, il m‟a fatigué, il m‟a rendu hors de moi, donc j‟ai jeté tout le médicament, comment moi je m‟esquinte à force de prendre ces médicaments et ces hormones alors que lui il a refusé de faire une simple analyse ? Il n‟est pas inculte, c‟est un ingénieur à l‟IAP, ce n‟ai pas une analyse douloureuse, et pourtant il refusé, parfois il me disait demain ensuite un autre jour et ainsi de suite, sans la faire, j‟ai trouvé cela !! ehu, ehu, je ne dirais pas normal mais comme si j‟ai touché à sa virilité…bon j‟ai privilégie le silence ».

Face au refus de l‟homme de réaliser un bilan d‟analyse d‟infertilité principalement le spermogramme, certaines femmes nous ont confié que la mise en scène du divorce a été déployée. D‟autres ont fait usage d‟« une grève de sexe » selon leur expression, pour inciter les hommes à réaliser des bilans de spermogramme et de recourir à la PMA. Souvent les hommes refusent. Ainsi, c‟est en passant par les femmes que les praticiens de la PMA poussant les hommes à assurer le bilan d‟infertilité et du prélèvement du sperme. La femme est prise entre deux pour convaincre l‟homme. En faisant pression sur les hommes, ces femmes essayent de prouver d‟abord à l‟homme, ensuite à l‟entourage qu‟elles ont « tout essayé ».

« Un jour, je suis partie voir le médecin… elle lui a donné des analyses à faire avant la prise de médicament... il a fait des analyses et il s‟est avéré qu‟il avait une veine bouchée, de la varicocèle, et qu‟il devrait être opéré…mais lui, il a refusé et son refus ce n‟était pas parce qu‟il avait peur qu‟il aurait un risque, mais sa réflexion c‟était quelle explication va-t- il donner à ses parents parce qu‟il va passer une nuit hors la maison. Alors qu‟on voyage souvent et on a passé des nuits dehors, on partait souvent en week-end…alors qu‟on pouvait organiser un jour et passer avec lui une nuit à la clinique, pourvu qu‟il fasse son intervention… il refusé en disant qu‟il n‟avait rien, et que les médecins me racontent n‟importe quoi… le médecin m‟a expliqué qu‟il se peut que ça soit ce possible, ou il se peut qu‟il y a d‟autres choses, et il se peut que l‟intervention règle le problème, possible qu‟elle ne le règle pas, et pour mon mari s‟il va se faire opérer il se peut que ce n‟est pas cela le problème…bon, on s‟est disputé et il l‟a laissé tomber, et là j‟ai fais une grève de sexe, c‟était une déception, je vous assure que c‟était pour moi une grande déception…, comme si tu ne veux pas d‟enfant, tu me fous la paix, tu ne me touche pas, tu veux te plaindre, allez se plaindre, y a mes parents, tes parents…et là j‟ai quoi

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dire, et depuis notre relation a changé. Le fait qu‟il me refusait la maternité, je lui refusais mon corps, tu ne veux pas me faire un enfant donc pourquoi es tu avec moi… donc pourquoi les gens se marient !!!, c‟est pour avoir des enfants, c‟est pour construire une famille… Lui , m‟a refusé ce droit, et pourquoi moi, je lui donne son droit….donc on est resté une longue période…ensuite, je me suis rendu compte que non, mais ça devenait un rapport de force…alors qu‟au paravent notre relation était très épanouie, il a senti que j‟étais triste, et moi, en vérité la tristesse n‟étais pas par rapport à lui, mais par rapport à l‟environnement, ça me faisait mal d‟entendre les gens me disaient pourquoi je n‟ai pas vu les masseuses, les marabouts, tel médecin, tel herboriste…. ». (Nadia, 38 ans, enseignante universitaire).

La réticence de l‟homme la prive de ce droit à l‟enfant. Une d‟entre elles, nous explique que le refus de son mari de recourir à la PMA est lié à ses croyances morales. Nous avons assisté à l‟interaction avec son époux. Son mari pense que cette pratique n‟est pas naturelle et risquait d‟avoir un enfant malade ou malformé. La femme continue cependant d‟insister pour tenter de convaincre son époux. Mais c‟est à l‟homme que revient le dernier mot.

Fatma est âgée de 38 ans. Elle est femme au foyer, mariée depuis 07 ans. Elle n‟a jamais utilisé de moyen contraceptif, et n‟a jamais eu de grossesse. Elle nous confie que son mari a refusé de réaliser un bilan d‟infertilité. Les effets de l‟infertilité masculine sont vécus difficilement au sein du couple. Les hommes ne supportent pas leur incapacité de procréer. Ils s‟enferment dans le déni et le silence. Pour eux, elle est synonyme de honte, d‟une absence de virilité et de performance sexuelle. Ils ont du mal à en parler avec leur épouse et à les proches. Ils demandent à cette dernière de cacher à l‟entourage leur infertilité pour éviter la gêne et le regard de l‟autre. Ceci les met à la marge sociale des autres hommes. L‟infertilité est perçue comme une faille sexuelle. Ils s‟enferment dans le secret.

Les médecins et biologistes disent que les causes de l‟infertilité demeurent plus difficiles à établir chez la femme en raison de la complexité des organes reproducteurs féminins37. Chez l‟homme, les problèmes d‟infertilité sont surtout causés par une défaillance dans la production des spermatozoïdes ou dans leur circulation et leur mobilité. Les examens médicaux servant à établir le diagnostic d‟infertilité sont par conséquent beaucoup plus centrés sur le corps de la femme que celui de l‟homme. Certes, la première étape pour les couples qui, après plus d‟un an,

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L‟anovulation (absence de production d‟ovules), l‟infertilité tubaire (obstruction ou altération des trompes de Fallope), l‟endométriose (croissance de tissus à l‟extérieur de l‟utérus) sont tous des causes possibles des problèmes reproductifs du couple.

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n‟arrivent toujours pas à concevoir, consiste pour l‟homme à se soumettre au spermogramme, lequel permet de tester la qualité, la vitesse et la viabilité des spermatozoïdes.

Par contre, les examens concernant la femme sont multiples et contraignants, notamment la vérification de la présence ou l‟absence d‟ovulation, le bilan sanguin et analyse de la culture vaginale, tests endocriniens pour mesurer le niveau de production des différentes hormones, laparoscopie (se fait sous anesthésie et sert à s‟assurer du bon état des organes reproducteurs) et hystérosalpingographie, laquelle permet de visualiser les trompes et la forme de la cavité utérine afin de déceler toute anomalie. Les explications de l‟infertilité données par les médecins sont de nature physiologique et biologique. Et lorsque les tests médicaux appliqués ne permettent pas de déceler l‟origine du problème reproductif, ces infertilités sont selon eux, inexpliquées. Ils tentent de reformuler à partir de causes psychologiques.

Annoncer l‟infertilité représente un moment décisif dans l‟expérience des couples. Souvent l‟annonce du diagnostic d‟être « infertile » se conduit aux mêmes réactions que celle d‟une maladie grave. Ce diagnostic est de l‟ordre d‟un drame pour la personne. Il est annoncé après un long parcours de lutte pour tenter d‟avoir un enfant. Etre diagnostiquée, la difficulté à s'affirmer comme une femme. Ecoutons : « Certes, cela ne va pas de soi. Le diagnostic est terrible, révélé

après un long parcours pendant des années, des années qui sont passées d‟un gynécologue à autre, en faisant appel aux techniques de la procréation médicale assistée... j‟étais prête à tout pour devenir mère, mais maintenant j‟ai compris que je ne peux pas aller loin. Je dois finir avec les faux espoirs que les centres de pma nous a raconté. Même la science ne pourra pas résoudre notre infertilité ».

Cette femme a consulté plusieurs gynécologues, faisant appel aux techniques de la procréation médicalement assistée. Tous ses efforts ont étaient vaines voulant devenir mère. Elle se rend compte des limites de la médecine. L‟annonce du diagnostic est un évènement qui opère comme un marqueur social dans la vie de ce dernier. L‟infertilité fragilise la relation et sociale entre l‟homme et la femme. La femme est amputée de statut de mère. A contrario, l‟homme est plus dans une logique de déni.

L‟infertilité entraîne les mêmes sentiments que celui d‟un deuil ou d‟une maladie grave : culpabilité et désespoir. Pour certains hommes, il semble difficile d‟assumer le diagnostic d‟infertilité (azoospermie). Ils associent l‟infertilité à l‟absence de virilité. Etre privé d‟enfant, est vécu comme une épreuve dramatique. Elle est marquée par le stigmate et l‟isolement. Pour

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fuir cette épreuve, ils s‟investissent dans leur activité professionnelle ou dans des activités sportives.

Le registre de significations d‟infertilité renvoie à la blessure identitaire. L‟infertilité crée une opposition entre l'individuel et le collectif, le privé et le public. Malgré cette opposition, la mémoire collective de la stérilité perçue comme une maladie, est présente. Il s‟agit de réconcilier le subjectif et le collectif, en opérant une insertion du premier au sein du second pour dire que « la mémoire n'est pas un stock cumulatif mais le fil des métamorphoses et le lien de je à nous » (Houda El Aaddouni, 2003). La mémoire collective de la maladie est revécue à l'intérieur de chaque individu.

Dans l‟infertilité masculine, la sensation est souvent vécue comme une impuissance identifiée à une « non masculinité ». L‟homme ne se voit plus homme. Pour E. Badinter (1992), « être un homme ou une femme était d‟abord un rang, une place, un rôle culturel, non une différence biologique. Cette différence, de degré et non de nature, n‟en impliquait pas moins une hiérarchie. Mais au 19ème siècle, la biologie devient le fondement des prescriptions » (Badinter, 1992, p. 21). L‟utérus définit la femme et la cantonne à sa fonction maternelle. D‟aucuns ont pu voir dans cette perception « l‟égalité dans la différence », les sexes deviennent incomparables, néanmoins l‟homme demeure le critique. Aujourd‟hui, l‟homme n‟est plus l‟homme, la masculinité est un « concept relationnel » définit au regard de la féminité. Badinter écrit : « Il y a encore peu, c‟était la femme le continent noir de l‟humanité et nul ne songeait à questionner l‟homme. La masculinité paraissait aller de soi : lumineuse, naturelle et contraire à la féminité » (p. 10). La masculinité devient un devoir dans l‟ordre du langage « sois un homme ». Cela ne va pas de soi, et moins entendu que « sois une femme » comme si la féminité irait de soi, la masculinité s‟obtiendrait au prix d‟un labeur signalée par Bourdieu dans « la domination masculine ».

Le couple vit cette annonce « comme un choc, un vrai traumatisme ». Les femmes et les hommes décrivent leur mal-être aux grossesses qui surviennent dans leur entourage familial et professionnel. Les femmes s‟isolent et parfois ne partagent pas les cérémonies de fête de mariage ou de naissance par peur de se comparer avec d‟autres femmes enceintes. Les hommes connaissent leur stérilité masculine, mais ils ne l‟admettent pas ». Selon Badinter (1992), la masculinité n‟est pas une essence mais une construction idéologique qui alimente la domination masculine et dont les formes changent (Badinter, 1992, p. 52). La constitution de ce qu‟est la masculinité ou de ce qu‟est la féminité varie en fonction des milieux, des pays, de la période, mais sous une forme ou une autre, l‟écart est toujours là. L‟une des suppositions d‟Ilana Löwy, à

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propos de « L'emprise du genre », est que masculinité et féminité ne se construisent pas de manière symétrique : la masculinité se construit principalement entre les hommes, et dans la compétition, la comparaison entre les hommes, tandis que la féminité se construit par rapport aux hommes, dans le rapport à la sexualité et à la famille. Les femmes vivent fortement leur détresse plus que les hommes face à l‟incapacité de concevoir un enfant.

« Le jour où mon médecin m‟a informé que les bilans et les examens complémentaires de

mon mari montrent qu‟il présente une infertilité, c‟était comme s‟il nous a annoncé une maladie grave et incurable».

Les mots des médecins sont parfois violents. Face à l‟annonce de l‟infertilité, les hommes et les femmes ne ressentent pas la même chose. « Il y a une véritable violence dans l‟annonce de

l‟infertilité, dont les mots sont souvent vécus comme dévalorisants… Imaginez-vous qu‟un jour le médecin me dit que mon spermogramme est nul, que j‟ai un sperme zéro, alors il pouvait me le dire autrement par exemple que la quantité de spermatozoïdes est insuffisante !».

Les femmes sont plus dans un sentiment d‟urgence. Elles pensent que leur délai de procréation est plus court que celui des hommes. Les hommes réagissent souvent en niant leurs propres émotions. Les couples apprennent qu‟ils doivent passer des examens, se rendre aux médecins ou prendre des traitements dont ils ne connaissent pas les effets secondaires. Ils se perçoivent bousculés et peu informés. Ce qui accentue leur état émotionnel déjà fragile. Face aux incertitudes, le couple est contraint à la colère, à la tristesse, à l‟infériorité, au stress et à l‟anxiété.

Les patientes interviewées ont mal vécu l‟annonce de leur infertilité. La notion de culpabilité revient très fréquemment, culpabilité auto-entretenue mais aussi renforcée par l‟entourage médical, sociétal, familial. Les patientes sont confrontées à leur corps « impuissant » : « Qu‟on

soit obligé d‟avoir un plus pour être enceinte, c‟est quand même difficile... d‟avoir cette dépendance aux piqûres et aux traitements. « Je me suis sentie culpabilisée... Seule en cause ; alors que mon mari, à lui on ne lui a jamais rien dit...”

Les femmes expriment la peur de perdre tout goût à la vie. « Plus on vieillit plus on se recentre

un peu sur la famille ». Les femmes vivent leur infertilité comme un échec. Pour certaines, le

recours aux techniques permet de créer un apaisement et redonnent de l‟espoir face aux traitements. Bien souvent, les patientes ont l‟intime conviction que les techniques de procréation médicalement assistée se révèleront efficaces et elles l‟expriment comme une forme d‟autosuggestion et d‟investissement.

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