• Aucun résultat trouvé

Entre l‟attente et l‟urgence : la place du médecin

1. L‟infertilité : Justification du déploiement technique de la PMA

1.2. Entre l‟attente et l‟urgence : la place du médecin

La souffrance des couples en mal d‟enfant produit chez eux un sentiment d‟urgence qui va les accompagner tout au long de leur parcours. Les couples ont souvent ce sentiment d‟urgence pour ne pas manquer son enfant tant attendu. Si l‟urgence agrée un consensus dans le domaine médical où il est question d‟atteinte à l‟intégrité physique ou à la vie, la notion d‟urgence dont il est question dans le discours de nos interlocuteurs suscite une attention. Entre priorité et souffrance, elle peut surgir à tout moment. Obtenir une réponse rapide, faire entendre sa souffrance, faire valoir un droit, entraînent souvent l‟affirmation d‟une urgence. C‟est toute la subjectivité du couple qui s‟exprime. Il leur semble nécessaire de subir une intervention. Elles ressentent donc le besoin d‟avoir une réponse face à une situation imprévue, jugée menaçante, au sens où elle est productrice de risques sérieux sur leur vie sociale et familiale.

Sara, âgée de 43 ans, est cadre dans une entreprise publique, mariée à l‟âge de 32 ans. Elle a consulté le médecin deux ans après son mariage. Le moment lui parait opportun pour faire une famille. Le médecin l‟a consulté. Il lui a prescrit des médicaments sous réserve qu‟ils fassent, elle et son conjoint, un bilan d‟infertilité. Il ne dévoile aucune cause physiologique ou psychologique. Sara s‟acharne. La faute incomberait à son médecin. Il n‟a pas réagit. Sara a rapidement jugé que face au diagnostic, le médecin aurait du décider d‟orienter le couple vers un spécialiste de la PMA. La situation d‟urgence n‟aurait pas été captée par son médecin. L‟absence d‟une décision rapide du médecin, conduit Sara à le considérer comme « responsable » de la lenteur dans la prise en charge de l‟infertilité du couple. On voit bien comment les femmes sont les actrices importantes dans tout ce processus médical complexe. La temporalité représente un enjeu décisif pour les femmes qui attendent avec impatience les résultats des investigations techniques. C‟est en effet toute leur vie qui est en jeu, plus précisément leurs rapports au sein du couple et de la famille. Sara, disait :

« Je suis mariée depuis trois ans et je ne suis pas encore enceinte. Je ne comprends pas,

171

familles s‟inquiètent aussi. Je n‟en peux plus attendre ! Ça dure. Chaque mois qui passé était une source de désespoir. Est-ce que je suis stérile ? Pourrirons-nous avoir des enfants ? J‟ai fais beaucoup d‟examens, j‟ai pris une collection de traitement, mais mon médecin ne m‟a jamais conseillé l‟AMP. A chaque fois il me disait la même chose je vous conseille d‟essayez ce traitement et on verra ! Et jusqu‟à quand je dois attendre ? Je sais qu‟après un examen clinique, même si en absence d‟anomalie reconnue, il est aussi envisageable de se précipiter sur les techniques d‟AMP».

L‟infertilité pose une question de temps d‟attente pour recourir aux techniques de PMA. Certains gynécologues pensent qu‟il est souhaitable d‟attendre avant d‟y recourir. Il faut parfois simplement un peu de temps pour qu‟une grossesse débute. Selon eux, la femme se croit stérile en débutant rapidement des investigations techniques. Bakhta, âgée de 32 ans. Son bilan médical et celui de son mari n‟ont décelé aucune anomalie. Ils ont tout de même mais malgré cela, ils ont tenté une insémination artificielle et une fécondation in vitro. Sa vie a été profondément modifiée, bouleversée par le traitement. Il lui a fait courir des risques sur le plan psychologique et physique. « Je suis sentie étouffée par sa réponse. Les techniques de la PMA n‟ont pas pu

débuter une grossesse. La technique ne maîtrise pas tout. Il ne s‟agit donc pas d‟attendre pour attendre mais de laisser le temps à la vie».

Certains gynécologues soulignent que certaines femmes impatientes d‟être enceinte mettent de la pression pour accéder à leur demande. Elles seraient persuadées qu‟une fois la « cause » détectée par les examens adéquats, une réponse « médicale» telle que la FIV pourrait résoudre leur problème. Trois temps traversent le vécu des couples. Le premier est le temps de l‟attente. Le deuxième est le temps de la prise de conscience de l‟infertilité et enfin le temps du traitement. L‟attente est progressivement difficile à vivre. Cette attente est à l‟origine d‟un questionnement sur l‟enfant faisant la distinction entre sexualité et procréation. Pendant le temps des investigations, de la découverte de l‟infertilité masculine ou conjugale, le couple est remis en question : « Mais avec le traitement, l‟espoir revient ». C‟est le temps de l‟espoir médicalement assisté. Soumia nous dit : « maintenant on sait, on comprend, donc on doit agir pour avoir un

enfant ». Le couple est actif en recourant à un traitement. Mais il est aussi dépendant d‟une

équipe médicale, qui les renvoie à une position inégale.

La gynécologue souligne qu‟elle est partagée entre deux postures. D‟une part, éluder le problème majeur au sein du couple où le désir d‟enfant serait de colmater une brèche. D‟autre part, ne pas obliger un couple à subir un examen transitoire sous prétexte que l‟enfant désiré n‟est pas venu dans un parcours naturel ou un délai souhaité.

172

L‟interprétation du temps diffère entre les médecins et les patients. Par ailleurs, les représentations des femmes sont celles d‟une temporalité féminine. Celle-ci est associée au cycle de vie féminin est marquée par des processus biologiques d‟où la médicalisation est envisageable plus précocement. Les femmes décrivent que la situation d‟infertilité est très étroitement liée au temps d'attente qui entre en jeu. Si le couple consulte précocement les centres de la PMA, le couple augmente ses chances de concevoir une grossesse par voie « naturelle ». Les médecins de la PMA insistent sur l'âge de fécondité. Ce temps et le délai d'attente procèdent de certaines normes sociales qui donnent à penser que l'infertilité proviendrait d'une déviation de ces normes temporelles.

Parfois les femmes de moins de 37ans peuvent réussir la FIV. Mais cette réussite baisse plus rapidement à partir de 40 ans. Les fausses couches et les avortements à répétition surgissent. Un médecin du secteur public avance qu‟il est important de déconseiller le recours à la PMA pour les femmes âgées de plus de 38 ans en raison des risques sur la santé de la femme (grossesses gémellaires ou triplés) et de l‟enfant (malformation). La grossesse d‟une femme qui a plus de 40 ans est plus risquée que celle d‟une femme plus jeune. Lowy (2009) suppose que l‟écart de fertilité entre hommes et femmes soit ancré dans la biologie de l‟espèce humaine et ne puisse être éliminé par les progrès de la médecine. Il n‟en possède pas moins de multiples significations culturelles et sociales. Les femmes perdent en moyenne leur capacité reproductive plus tôt que les hommes, un « fait biologique » qui a contribué à la dévalorisation de la femme vieillissante. Par contre, elles vivent en moyenne plus longtemps que les hommes, un « fait biologique » qui n‟a nullement servi pour dévaloriser les hommes vieillissants. Pourtant la perte plus précoce de la fertilité féminine est perçue comme un événement sans grande importance. La construction du déclin de la fertilité comme principale différence biologique entre hommes et femmes âgés, illustre de façon éloquente l‟utilisation sélective des différences biologiques dans la reproduction des inégalités.

L‟expérience des femmes illustre le poids de représentations sociales liant de manière nécessaire féminité et fécondité. Les résultats de notre enquête montrent que le fait d‟être infertile avant l‟âge de la ménopause constitue pour ces femmes, un vrai problème ébranlant la norme sociale. Chez l‟homme l‟andropause n‟est pas une notion clairement définie que la ménopause. La question d‟âge et du genre sont des catégories de production de l‟ordre social qui véhiculent l‟idée que la fertilité des femmes est fragile, alertée et devient limitée dans le temps. Par contre celle de l‟homme est stable et illimitée (Löwy, 2009, p. 109). La fécondité et stérilité

173

relèvent du registre normatif différent comme l‟a souligné Bessin : « les hommes et les femmes sont assignés à un calendrier de vie différent, soumis à des temporalités inégales et asymétriques » (Bessin, 2009, p. 94).

« Après l‟hôpital, j‟ai vu Dr X, médecin gynécologue privé, il m‟a parlé des étapes, il a

vu que j‟étais un peu âgée, peut être j‟aurais la possibilité d‟avoir au moins un , je suis mariée à l‟age de 36 – 37,et il faut faire vite je veux avoir un bébé…ce n‟est pas comme l‟homme, il faut courir dès le début, c‟est un combat contre le temps biologique et vu aussi que je suis chimiste , scientifique, je suis dynamique et active je ne laisse pas les choses traînés, j‟ai fais toutes choses en parallèle….par exemple, le trois juin on est rentré de la Mecque pour voyage Omra, le quatre juin j‟ai eu mon cycle, le cinq juin je suis allée à la clinique, imagine qu‟après un voyage pareil, la fatigue….malgré cela j‟ai poursuivie mes démarches médicales, ma famille ne savait pas que je tente une pma… ». (Ouarda, 39 ans, Enseignante)

L‟entrée dans la quarantaine est la sortie de la norme féminine et procréative. Dévier les normes d‟âge en matière de fécondité constitue ainsi une rupture dans l‟ordre établit. Au-delà du biologique, la grossesse et la maternité sont socialement considérées comme peu compatibles avec la « vieillesse », contrairement à la paternité (Löwy, 2009).

Bien que les hommes soient tout aussi susceptibles d‟être stériles que les femmes, ce sont elles qui sont le plus souvent montrées du doigt lorsque les couples ne parviennent pas à avoir d‟enfant. La notion d‟andropause43

prend lentement son essor mais la production scientifique reste restreinte sur cette question de l‟andropause. Les instances internationales, en 1999, décrivent l‟andropause comme une baisse de testostérone chez les hommes vieillissants qui a un impact sur les capacités physiques et vasculaires, qui peut causer des troubles métaboliques, du sommeil, de l‟humeur. Ces symptômes renvoient à la ménopause. On accorde néanmoins beaucoup moins d‟importance au corps masculin qu‟au corps féminin. Avant, l‟idée était que l‟homme était plus séduisant en vieillissant. C‟est plutôt la valeur de la performance qui pèse le plus sur le corps des hommes (montée des ventes de viagra). Foucault (1976) explique qu‟on assiste à une médicalisation de la vie, à une extension du gouvernement de la vie sur la population et sur les corps et à une perspective d‟extension d‟une biopolitique. Cela illustre les manières dont les savoirs et théories scientifiques sont toujours emprunts de représentations qui

43

La notion d‟Andropause émerge en 1952. Un psychiatre, Antoine Porot, va définir l‟andropause comme l‟arrêt de la fonction sexuelle chez l‟homme.

174

ont à voir avec les éléments culturels et croyances acceptées d‟emblée (place de la femme, du corps féminin dans la société). La culture pénètre le discours scientifique et devient un discours culturel.

Les femmes ne sont pas les seules à être dépendantes de leur horloge biologique. Touraille (2011) dans son article « Du désir de procréer : des cultures plus naturalistes que la nature », montre la façon dont le concept d‟«horloge biologique» est interprété dépasse largement la définition biomédicale. La femme et l‟homme reconnaissent davantage les périodes de la vie où il est possible de concevoir un enfant. En revanche, il s‟agit d‟un « appel à procréer venant du fond d‟un « désir hormonal d‟enfanter» (Touraille, 2011, p. 53). Autrement dit, ce sont « les hormones qui souhaiteraient avoir un enfant». Le concept ainsi popularisé ne renverrait donc pas à la prise de conscience de la temporalité. Si le couple veut un enfant, il faut y penser avant qu‟il ne soit trop tard.

En outre, cette nécessité d‟avoir un enfant est ressentie douloureusement car la femme se voit avancer dans âge. En effet, l‟occupation professionnelle, les aléas de la vie amoureuse, l‟investissement familial (prendre en charge sa famille en difficulté) et parfois le choix d‟un « bon » mari, semblent contradictoires avec le désir d‟avoir un enfant. Dans certains témoignages des hommes, l‟image de la femme qui s‟intéresse à sa carrière professionnelle au détriment de faire un enfant et une famille n‟est pas valorisée. Une femme ne se sent pas adulte si elle n‟a pas d‟enfant. Et ne pas avoir d‟enfant devient très angoissant pour une femme qui approche la quarantaine. Certaines femmes âgées entre 30 et 40 ans évoquent de n‟avoir pas séparé le temps de la sexualité et le temps de la fécondité. Elles se comparent avec les femmes du même âge et déjà mères de plusieurs enfants pour qui une naissance supplémentaire n‟était pas désirée (Knibielher, 1999).

Cela va de paire avec les normes que préconisent les médecins dans leurs discours. Les médecins admettent le « bon » âge acceptable pour avoir des enfants. Les chances de réussite de la PMA sont souvent liées à la limite d‟âge. Et malgré cela, dans le centre de PMA étudié, les médecins reçoivent des femmes de plus de 43 ans dans l‟espoir d‟obtenir une grossesse.

Cette notion d‟«âge de procréer» a été introduite par le législateur à propos des couples souffrant de stérilité et souhaitant bénéficier des techniques d‟assistance médicale à la procréation. Elle est l‟une des conditions légales et « rationnelle » du recours à de telles techniques.