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Le fait de vivre une vie conjugale sans enfant rend la santé des couples fragile. Cette valorisation de l‟enfant comme signe de santé signifie pour eux que la santé n‟est pas une finalité, un but en soi, mais plutôt le pilier indispensable de la vie qui prend son sens par rapport à l‟enfant. L‟absence d‟enfant vécue est un obstacle à la santé qui revêt une notion subjective « être bien dans la peau ». Par contre, la maladie est considérée comme une forme élémentaire de l‟événement au même titre que la naissance, la mort. Ce sont des événements biologiques individuels dont l‟interprétation imposée par le modèle culturel, est immédiatement sociale. » (M. Augé, 1984, p : 39). Les travaux sociologiques sur les perceptions de la santé et les interactions entre les patients et le corps médical rejoignent nos préoccupations à propos de l‟infertilité et la PMA. Il faut tout de même rappeler que ces recherches anthropologiques ont contribué, après les travaux précurseurs d‟Augé et d‟Herzlich [1984] à dévoiler les multiples sens du mal, à insister sur la pluralité des significations attribuées à la santé. En effet, C. Herzlich (1969) et Jeanine Perret (1983) se sont intéressées à la santé en distinguant la santé de la maladie : « La santé, ce n‟est pas la maladie. La santé c‟est ce qui est important ». Il existe bien « une pensée « profane» sur la santé et la maladie, répondant à une logique indépendante du savoir des « professionnels » (les médecins) » (Adam et Herzlich, 2004, p : 68). La logique médicale représente le corps des femmes comme un dysfonctionnement de la machine corporelle qu‟il s‟agit de réparer avec une des techniques de la PMA chez les unes, signe légitime pour tenter d‟avoir un enfant.

En raison du manque de signes physiques extérieurs (c'est-à-dire un ventre gros), ces femmes ne réinterprètent pas l'infertilité comme une maladie, mais plutôt comme un état. C'est donc le sort qui est souvent évoqué comme cause de l'infertilité. Dans les discours de certaines femmes, l‟infertilité est dite par les termes de : « Le mal d‟enfant, je suis malade parce que je n‟ai pas eu

d‟enfant », « absence d‟enfant me rend malade ».

Si la maladie est une régression, celui qui s‟en sort, se sent revivre. L‟infertilité, c‟est l‟épreuve par excellence » (Augé, in Augé et Herzlich, 1984, p. 40). Les propos des femmes ancrent l‟infertilité du côté de l‟épreuve. Le recours récurrent à la comparaison de l‟infertilité avec la

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maladie, même si dans certains énoncés affirment qu‟elle ne constitue pas une pathologie, intègre l‟infertilité dans cette logique.

Les représentations de nos interviewées sont également caractérisées par un continuum santé/maladie recouvre le bien et le mal : « pas d‟enfant, pour moi, c‟est un mal ».

Certaines se considèrent malades, d‟autres non. Une patiente peut se qualifier à la fois de malade et de non malade. Elles ne parviennent à se construire une identité de malade, ou celle d‟une personne en bonne santé, oscillant sans cesse entre les deux. Selon, les professionnels, les femmes qui consultent dans le centre de PMA ne sont pas « malades » au sens strict du terme. « La prise en charge qu‟elles reçoivent, vise à les aider pour avoir une grossesse, mais elles ne

sont pas malade». (Médecin gynécologue).

Si la division sociale sexuée repose sur les rôles procréatifs, le fondement de la féminité est presque défini par la capacité de procréer, tout empêchement conduit à un fort sentiment de dévalorisation. Souvent la fécondation in vitro se termine par des fausses couches et des avortements. Ceci renvoie les femmes à un sentiment d‟incapacité de mener à bien leur procréation. Selon Béatrice Jacques : « La spécificité biologique de la femme de « porter l‟enfant » est réaffirmée. C‟est sur elle que le regard se pose, rappelant son rôle essentiel de reproduction de l‟humanité. Cette responsabilité sociale amène alors les femmes à vivre leur grossesse comme un temps « presque obligatoire » de travail sur soi. En effet, les théories psychologiques ont toujours présenté la grossesse comme un moment fondamental du développement de l‟identité féminine et la maternité comme une expérience « conclusive de l‟identité de femme. » Cependant, la médecine n‟interroge l‟infertilité que sur son versant organique et ignore complètement les explications psychiques reliées à plusieurs cas de stérilité (Le Breton, 2005, p. 244).

Dans les centres de PMA étudiés, le mot stérilité est rarement utilisé, et est remplacé par l‟infertilité surtout avec l‟émergence des l‟assistance médicale à la procréation. « L‟infertilité est devenue une maladie, un problème ayant une solution technique » (Tain, 1999, p. 88). D‟ailleurs, le désir de maternité devient l‟objet d‟une prise en charge technique. Si la présence d‟un enfant est signe de santé et de bien être pour un couple fécond, son absence devient une souffrance et un mal-vie pour un couple infertile. Pour Hélène Rouch (1991) : « […] si la présence d‟un enfant est signe de santé pour un couple, l‟absence d‟enfant devient, si l‟on n‟y prend pas garde, «

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anormale » (H. Rouch, 1991, p. 245). « La santé36 est une construction culturelle et elle mérite d‟être étudiée comme représentation. Mais elle est aussi une idéologie dont la société fait usage croissant pour la gérer comme déviance » (Benoist, 2002, p. 150).

Les professionnels nous disent que les femmes engagées dans un protocole de fiv ne se sentent pas pour autant en mauvaise santé. « Nos patients ne sont pas malades au vrai sens du mot, mais

ils sont infertiles ». L‟infertilité est-elle une maladie ? Les hommes et des femmes indiquent

pourtant que les techniques de la PMA participent à la médicalisation de l‟infertilité. Elle est étiquetée comme une maladie ou un dysfonctionnement organique ou hormonal qui nécessitent non seulement des traitements mais aussi une intervention directe sur le corps des femmes. De plus, les femmes sont le plus touchées par la stigmatisation de l‟infertilité car la stérilité masculine est déniée socialement. Fainzang (1989) explique qu‟il s‟agit d‟une nouvelle perception de la maladie qu‟elle appelle « les stratégies paradoxales » permettant de prendre en considération les comportements non seulement du point de vue de la maladie, mais aussi des relations du sujet avec les autres évènements de la vie quotidienne.

La stérilité selon la sociologue L. Gavarini (1989), est un rapport social et la procréation est souvent renvoyée au champ de la maladie (L. Gavarini, 1989, p. 245). C‟est une construction sociale et psychique, « avant d‟être une fatalité biologique, une maladie ou un état » (L. Gavarini, 1989, p. 133). Peu de médecins ont étudié les causes de la stérilité ou se sont penchés sur la signification symbolique du non-enfantement. « C‟est donc le mode de réponse et de gestion de la « maladie » par la médecine, l‟objectivation de ces fameuses « difficultés » qui créent la maladie elle-même » (L. Gavarini, 1989, p. 137).

La Conférence Internationale sur la Population et le Développement (CIPD), tenue au Caire en 1994 introduit le concept de « santé de la reproduction » en y incluant les hommes. L‟objectif est de promouvoir l‟égalité entre les sexes dans toutes les sphères de la vie (y compris la famille et la vie communautaire), et d‟encourager les hommes à assumer la responsabilité de leur comportement sexuel et reproductif. En 1995, les Nations Unies mettent l‟accent sur l‟importance de la participation des hommes en matière d‟hygiène sexuelle et de santé génésique lors de la 4ème Conférence Mondiale sur les femmes. Cette conférence souligne que l‟égalité

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Cette réalité a été appréhendée par la Conférence internationale de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) au Caire en 1994 sur la Population et le Développement. Cette conférence a évoqué la « santé reproductive» ou encore les « droits reproductifs » des femmes. L'infertilité est donc liée aux questions de la santé reproductive et à la maladie.

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entre les femmes et les hommes en matière de sexualité et de procréation implique un partage de la responsabilité des comportements sexuels et de leurs conséquences.

Cette question est fondamentale. La stérilité est traitée comme n‟importe quelle autre maladie. Pourtant elle est différente des autres maladies ou pouvant être la conséquence d‟une maladie. Dans l‟infertilité, il n‟y a pas de douleur. « Les couples se sentent bien, mais ils tournent vers la médecine pour faire reconnaître la stérilité dans le corps en lui donnant une cause » (Maggioni, 2006, p. 105).

Nasrine est âgée de 44 ans et son conjoint est âgé de 48 ans. Les deux sont cadre supérieur. Ils tentent de concevoir un enfant depuis dix ans. Nasrine, interrogée seule, compare l‟infertilité à une maladie. La technologie permettra de fertiliser l‟embryon et après implantation. A contrario, le statut de l‟infertilité demeure controversé parce qu‟en réalité la prise en charge de toute la pratique particulièrement les coûts des actes de médicalisation ne sont pas pris en compte par la sécurité sociale. Certaines refusent de qualifier l‟infertilité de maladie, même s‟ils reconnaissent les douleurs et les déceptions qu‟elle entraîne.

Le couple est dessaisi de son désir d‟enfant. L‟infertilité permet d‟articuler plusieurs thématiques autour de la dimension sociale de la maladie telles que la représentation du mal, le corps, les institutions et les valeurs qui régulent l‟interaction entre sujets.

« Depuis plusieurs années j‟ai consulté le médecin pour avoir au moins un enfant, je devenais malade à cause de ça, mais mon mari s‟en fiche, par contre moi, je souffrais et j‟endurais encore. Je suis devenue malade alors que c‟est lui qui est atteint…. ».

On s‟aperçoit qu‟il peut y avoir un symptôme porté par l‟un du couple mais qu‟en réalité c‟est le couple qui est malade et c‟est le couple qu‟il faut prendre en considération. « Si on ne fait que s‟attacher au symptôme, celui-ci peut s‟améliorer et même disparaître, mais la souffrance du couple, elle, ne disparaît pas et se manifeste par un autre symptôme et bien souvent chez le partenaire que l‟on croyait saint jusqu‟alors ». (Vanden Bossche M-C, 1996).

Le mal est compris ici au sens de malheur, événement indésirable ainsi que toute forme de souffrance individuelle ou collective. Dans la perspective de Marc Augé, l‟infertilité renvoie à un fait biologique dont l‟interprétation est imposée par le modèle culturel et immédiatement social, se retrouve enserrée dans les incorporations qui déterminent un statut social. La « dimension sociale du malheur » (M. Augé et C. Herzlich, 1984) est nettement retrouvée chez ces femmes qui considèrent l‟infertilité comme un événement complexe et crée une perturbation physiologique, psychique et sociale qui affecte tout le couple.

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Marc Augé a énoncé certaines réflexions sur la dimension sociale de la maladie, qui éclairent nos propos sur la fertilité et la stérilité. : « C‟est bien le paradoxe de la maladie qu‟elle est à la fois la plus individuelle et la plus sociale des choses. Chacun d‟entre nous l‟éprouve dans son corps et parfois en meurt, de la sentir en lui menaçante et grandissante. Un individu peut se sentir coupé de tous les autres, de tout ce qui faisait sa vie sociale ; en même temps tout en elle est social, non seulement parce qu‟un certain nombre d‟institutions la prennent en charge aux différentes phases de son évolution, mais parce que les schémas de pensée qui permettent de la reconnaître et de la traiter sont éminemment sociaux : penser sa maladie c‟est déjà faire référence aux autres ». (Augé, Herzelich, 1984).

En outre, l‟entrée sur la scène sociale de l‟infertilité s‟opère par sa médicalisation. Pour Fassin, (1998), « On peut ainsi parler de « médicalisation » de la vie sexuelle et reproductive en ce sens où la médicalisation est une transformation socioculturelle qui « consiste à conférer une nature médicale à des représentations et des pratiques qui n‟étaient jusqu‟alors pas socialement appréhendées dans ces termes.» (Fassin, 1998, p. 11). Certaines de nos enquêtées se disent gênées par l‟usage autre de « maladie ». « Je trouve que l‟infertilité n‟est pas comme d‟autres

maladies, encore lorsqu‟elle est traitée en fiv , comme le cancer ou autre maladie chronique…[silence] ce n‟est pas la même chose : le cancer, le sida, les gens peuvent le comprendre parce qu‟ils savent ce que c‟est (les médias en parle assez), alors que l‟infertilité, ça, ça reste quand même un sujet tabou, c‟est un peu plus intime. Les gens qui ne connaissent pas cette chose-là…si on leur dit que j‟ai été en arrêt de maladie parce que j‟ai fait une fiv », ils vous diront : « Mais pourquoi ? Tu n‟es pas malade ! [Silence]», Explique Nadira (38 ans,

enseignante).

Cette notion d‟infertilité est « relativement récente tend à dissoudre la notion plus ancienne de stérilité, d‟autant plus que les techniques de manipulation de gamètes et d‟embryons projettent l‟idée qu‟il n‟y a plus de stérilité incontournable. Il est, en effet, de plus en plus rare qu‟une personne ou un couple se voit donner un diagnostic de stérilité » (Ouellette 1993, p. 239). « L‟infertilité réfère à un état médical et social liminal dans lequel la personne affectée navigue entre la capacité et l‟incapacité reproductive : « l‟infertile » est la personne qui n‟est pas encore enceinte mais qui souhaite mener une grossesse à terme et avoir un bébé » (De Lacey et Sandelowski, 2002, p. 35).

L‟idée de ne pas pouvoir tomber enceinte, conduit les femmes à considérer l‟infertilité comme une maladie. « Je ne suis pas malade, c‟est mon mari qui a un problème de spermatozoides mais

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puisque je suis ici, et je prends du traitement c‟est comme si je suis malade parce que je n‟ai pas pu encore mettre un enfant au monde comme toutes les femmes ».

Selon les propos des femmes, il semble que la notion de stérilité est mal définie dans le contexte de la procréation médicale assistée et peut recouvrir de multiplicité de phénomènes.