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L‟infertilité ne se réduit pas à sa dimension médicale et physiologique. Les femmes ne parlent pas de leurs difficultés procréatives de façon mécanique. Elles sont appréhendées sous un triple aspect : identitaire, familial et social. Elle renvoie donc à un état social. L. Gavarini (1989), lorsqu‟elle disait que la stérilité est une construction sociale et psychique, « avant d‟être une fatalité biologique, une maladie ou un état » (Gavarini (1989, p. 133). Elle précise, dans le contexte occidental, que peu de médecins ont étudié les causes de la stérilité ou se sont penchés sur la signification symbolique du non-enfantement. « C‟est donc le mode de réponse et de gestion de la « maladie » par la médecine, l‟objectivation de ces fameuses « difficultés » qui créent la maladie elle-même » (Gavarini, 1989, p. 137).

Par conséquent, la stérilité est traitée comme n‟importe quelle autre maladie. Elle est pourtant différente des autres maladies, d‟être la conséquence d‟une pathologie antérieure. En effet, Jennifer Merchant (1998) dans son article portant sur les enjeux et les politiques de la procréation médicalement assistée dans la société américaine, montre que dans la littérature médicale du xxe siècle, le couple sans enfant incarnait une «maladie de société», un «désordre et dysfonctionnement civilisationnel » impliquant des «actes d'omission de la part des femmes ».

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Elle explique aussi qu‟il y a une confusion entre la notion de stérilité (incapacité totale de procréer) et celle (difficultés ou délais à concevoir). Ces délais sont plus ou moins longs et dépendent des moyens utilisés avant que l'on ne se décide d'avoir un enfant. Par exemple, une se déclare en moyenne au bout de 48 mois après arrêt de la pilule, 24 mois après, le retrait du stérilet et 12 mois après le retrait du diaphragme et non-utilisation du préservatif. Cependant, l'infertilité est généralement diagnostiquée comme stérilité avant même que soient écoulés les douze mois requis en moyenne pour concevoir sans utilisation préalable de contraception. Confronté à un tel diagnostic, un couple a volontiers recours sans tarder à la PMA, perçue comme étant un « soin médical». « Ni la stérilité ni l'infertilité ne sont en fait définies comme des maladies » (Merchant Jennifer, 1998, p. 50). La réaction du couple semble résulter, d'une part, de la « publicité » au jour des nouvelles technologies et d'autre part, d'une réaction psychologiquement compréhensible face à un problème que seule la médecine semble en mesure de résoudre.

Actuellement, la médicalisation traite « le défaut d‟enfant » (Élise de La Rochebrochard, 2006) comme un symptôme organique et dont la médecine peut en principe à y remédier. Les spécialistes parlent d‟infertilité de couples dont les traitements sont essentiellement médicalisés, même si dans bien des cas sont déclarés comme idiopathiques (non expliquées à l'aune des examens médicaux. Ceci inquiète les couples et les culpabilise d‟avantage. Il s'agit alors pour eux de s'engager dans une médicalisation marquée par une série d'interventions chirurgicales et hormonales sur le corps féminin, qui, le plus souvent se termine par des échecs. En effet, l‟expérience des couples vécue douloureusement donne à voir une situation plus complexe où se conjugue un ensemble d‟explications donné à l‟infertilité. Celle-ci est perçue comme un marqueur social négatif, voire humiliant et stigmatisant pour les couples et particulièrement les femmes. Elle peut également susciter une forte pression sociale venant de l'entourage. Elle continue d‟être une source de stigmatisation sociale malgré les progrès médicaux. Le concept de stigmatisation de Goffman (1959) reflète clairement les conséquences sociales qui se déclenchent quand un individu ne peut pas répondre aux spécificités assignées à son rôle social. Le stigmate social est donc présent tout le long d'une vie et influence toutes les relations sociales de l'individu. Il est difficile pour ces femmes de répondre aux attentes et exigences sociales liées au genre féminin. Elles sont souvent placées dans une « autre catégorie ».

Dans les différents entretiens réalisés auprès des hommes et des femmes, celles-ci déclarent être contre les règles sociales. L‟infertilité déstabilise et fragilise la qualité des relations conjugales et sociales. Son traitement par PMA, devient un évènement social qui s‟ajoute à la

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souffrance et au désespoir des couples. La femme infertile ne peut se faire « femme » et se retrouve donc dans une catégorie « autre » (Inhom, 1996 ; 2003). La stérilité, comme la mort des enfants (Héritier, 1985) est, dans cette optique, conçue comme le malheur biologique suprême. Mais dans presque toutes les sociétés humaines, la stérilité est avant tout la responsabilité des femmes. Qu'il en aille ainsi n'est pas étonnant, la gestation n'étant évidente que dans une période marquée concrètement par l'apparition et la disparition des cycles des femmes, et parce que le processus biochimique de la fécondation est inconnu.

L‟infertilité masculine n'a été reconnue que depuis peu de temps. L‟homme était, par définition, fertile. Aussi n'est-il pas paradoxal de voir bien souvent attribuer à la femme à la fois la responsabilité de l‟infertilité et, dans la procréation, un simple rôle de gestatrice. L‟infertilité masculine a été reconnue que depuis peu. Le sperme était, par définition, toujours fertile » (Héritier, 1996, p. 262). Elle est renvoyée sur les femmes car elles sont perçues comme unique responsables de la reproduction. Pour Françoise Héritier à savoir que «, la stérilité s‟entend spontanément au féminin, partout et toujours ». Or cet aspect sexué est toujours d‟actualité. L‟appropriation du pouvoir de fécondité des femmes est vital pour la constitution et la survie de toute société. Elle s‟accompagne du confinement des femmes dans le rôle maternel ». Butler a clairement posé la procréation comme question qui justifie le système entier de domination sociale fondé sur la fonction de la reproduction obligatoire pour les femmes et sur l‟appropriation de cette reproduction.

En outre, l‟infertilité est vécue de façon différente selon que l‟on est une femme ou un homme. Les hommes la ressentent comme une forme d‟impuissance. Il est plus difficile à accepter pour l‟homme qui vit l‟infertilité. Pour les femmes, elle est perçue comme un malheur affectant leur identité féminine. Elles disent ne plus se « sentir réellement femmes » (Fine, in Knibiehler, 2001, p. 67).

Les femmes se comparent à des « terres sans récoltes» ou encore à des « arbres sans feuilles ». Saida a 40 ans. Elle est enseignante. Elle tente d‟avoir un enfant depuis trois ans, nous explique que : « nous les femmes, être fertile c‟est être productive, comme la terre, mais être

infertile c‟est comme la terre mais sèche, elle n‟est pas productive ».

Notre interlocutrice établit très clairement un lien entre production et reproduction, faisant de façon métaphorique l‟association entre la stérilité des femmes et la stérilité de la terre. Les femmes seraient contraintes de reproduire. L‟anthropologue Odile Journet (1985) note, en à référence à certaines sociétés africaines que : « L‟association procréation/fertilité des terres se trouve directement mise en actes par des pratiques rituelles qui puisent leur efficacité dans le

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corps même des femmes : danses à forte connotation sexuelle […] pour écarter les mauvais esprits qui menacent enfants et récoltes […]. Ainsi la force de travail féminine est-elle revêtue d‟un corps idéologique, qui la situe à une position stratégique dans le cycle de la production 34

» (Journet, 1985, p. 21).

Dans un autre entretien, Saida nomme l‟ensemble des personnes ayant recours à la PMA à « des

handicapés de la procréation ». Cet « handicap » tient au fait, de ne pas pouvoir répondre à la

contrainte normative de « faire » des enfants, est d‟autant plus mal vécu qu‟il est très fréquemment et régulièrement rappelé par l‟entourage. Saida explique : « On n‟est pas

tranquille, une femme sans enfant, lui manque quelque chose, elle ne remplit pas « sa fonction de femme (…), celle qui féconde, qui donne naissance ».

Le fait de ne pas avoir d‟enfants, les disqualifie en société, lors de leur interaction avec autrui 35

(Goffman, 1975). Si la reconnaissance sociale des hommes passe le plus souvent par leur réussite professionnelle et matérielle, elle est soumise encore à la maternité pour les femmes. Les femmes sont prisonnières des normes associées à leur âge et à leur situation conjugale. Elles se définissent elles-mêmes comme « déviantes » par rapport au « normal », qui est de « faire » des enfants. Fatiha explique qu‟avant d‟être enceinte, on lui demandait de façon persistante à quel mois est la grossesse allait : « …à un certain moment, les gens vous posent automatiquement la

question, vous vous y mettez quand ? Sinon, on vous dit : « quand est-ce que vous faites des enfants ? ».

Ce sont toujours les femmes qui sont tenues responsables de leur sort. Les hommes sont plus restés dans un état silencieux et honteux. En effet, la virilité est associée à la capacité reproductive. Elle touche directement l‟identité masculine. Socialement, le sperme représente plus qu‟un simple matériel reproductif. Il est une semence essentielle à l‟enfantement. Cela symbolise la performance masculine: « Il est bien difficile pour un couple de devoir faire face à la stérilité d‟un des conjoins et cela est encore plus vrai pour l‟homme qui vit toujours plus ou moins l‟association symbolique entre infertilité et impuissance sexuelle » (Delaisi de Parseval 2002, p. 279). Lorsque le sperme est « non performant », l‟homme est symboliquement associé à une réduction de la virilité et à une sexualité brisée. Le sperme pose l‟inévitable connexion entre sexualité, reproduction et masculinité. Dans l‟ensemble, les idées préconçues liées à l‟incapacité d‟enfantement n‟ont pas disparues.

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Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à être inquiètes. L‟infertilité demeure ancrée dans leur corps. Elle est associée à la sexualité qui relève symboliquement de la sphère privée et intime. Pour les femmes, elle est donc synonyme de stigmatisation et de marginalisation. Face à cette situation, certaines femmes inscrivent la médicalisation d‟avoir un enfant dans la sphère strictement conjugale et privée.