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L‟infertilité fait l‟objet de questionnement et de quête de sens. Les femmes parlent de l'infertilité comme d‟une situation de crise. Par conséquent, elles s‟interrogent sur l‟origine de la difficulté d‟enfanter. Elles réinterprètent l‟infertilité à partir de leur expérience vécue en s‟appuyant sur des explications médicales et non médicales, à savoir les facteurs environnementaux, sociaux et psychologiques.

Beaucoup de femmes expriment leur incompréhension de leur état face à l‟absence de l‟étiologie des troubles « Je ne comprends pas cette absence d‟enfant, je n‟avais jamais eu de

problème de cycle ni quoi que ce soit et... au moment où on veut avoir un enfant, on s‟aperçoit que c‟est... difficile, j‟ai une super santé, je n‟ai pas de souci particulier…Je ne comprenais pas...c‟est angoissant, on se pose mille questions… En fait, on se sent seul face à cette incompréhension ». Elles observent leur corps surtout en période d‟ovulation. Le corps est

envisagé comme un phénomène biologique et social. Il est à la fois « socialement construit et organiquement fondé ». La réaction sociale au corps physique infléchit l'expérience corporelle qui, elle-même, affecte en retour le social (Turner, 1992). A partir du biologique, le corps reproducteur est sculpté par le social et rétroagit sur le social. Pour ces femmes, l‟arrivée du cycle mensuel de menstruation se représente comme signe de non grossesse. Cet état constitue une préoccupation majeure pour elles et leur mari. Elles sont contrariées par l‟arrivée de ses menstruations comme un obstacle dont la durée plus ou moins longue, devient insupportable. Elles considèrent que les spécialistes de l'infertilité sont parfois sensibles à leur situation, mais ils appréhendent mal la souffrance de leurs patients. Ils ne disposent pas de données sur d'autres facteurs d'infertilité qui peuvent nuire à leur santé : les fausses couches à répétition, le stress et les conditions de vie, l'environnement et les milieux de travail nocifs.

Certaines femmes mettent l‟accent sur les facteurs médicaux : les conséquences d'une intervention consécutives de la contraception, l'endométriose, les affections des trompes de

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Fallope et des maladies inflammatoires pelviennes. Elles cherchent une explication dans leur passé.

« …Avant de me marier, j‟avais un cycle régulier, et en cas d‟infection je me soigne, et

tout rentre dans l‟ordre mais cela n‟est pas une raison pour me retrouver dans cette situation de stérilité !!!, mais je dois dire que même au sein de notre couple mon mari m‟a fait perdre beaucoup de temps, il a refusé de se soigner ».

L'âge de la conception peut être un facteur de fertilité car l‟infertilité est étroitement liée au temps d'attente qui entre en jeu. Plus le couple consulte précocement, plus il augmente des chances de concevoir naturellement. Le discours des femmes à propos l‟âge est identique à celui des médecins. Ces derniers insistent sur l'âge des personnes en traitement ayant une influence sur leur fécondité : « un couple dans la vingtaine avec une infertilité idiopathique a bien davantage de chances de concevoir un enfant qu'un couple dans la quarantaine ». (Médecin gynécologue, 52 ans).

D‟autres femmes expriment leur conviction que les causes de leur infertilité sont autant sociales que médicales. Le tabagisme, l'exposition à des agents nocifs au travail ou dans l'environnement, l'alcoolisme, le stress que rencontrent leur époux. Ces facteurs d'infertilité reliés aux conditions de travail et à l'environnement sont plus difficilement repérables. En effet, des problèmes d'infertilité font rarement référence d‟une approche sociale. La dimension sociale de la santé est occultée au profit de l'intervention médicale. « Mon mari travaille dans une

boulangerie, tout le temps exposé à la chaleur du four, donc possible ça, ça doit être un facteur d‟infertilité chez l‟homme, et la femme paie ».

Une autre femme disait : « mon mari est trop maniaque à la propreté, chez nous, il y a une

collection des marques de produits détergents, il faut à tout moment nettoyer la salle de bain, les toilettes… c‟est trop ça devient une obsession, même propre, il me dit de renettoyer, et souvent je lui ai dit en plaisantant que peut être ces produits qui tuent tes spermatozoides sans le savoir, et lui il se mette en colère, il ne veut pas… ».

Certaines femmes n‟excluent pas les causes sociales et psychologiques vécues dans la sphère individuelle (couple) et collective (familles et proches). Elles pensent que leur infertilité résulte de leur propre trajectoire faites de pressions familiales. Selon Mauss (1934), la transmission par le corps s‟effectue différemment dans chaque culture. Elle assure une fonction symbolique. M. Godelier (1996) a repris cette réflexion de Mauss sur le don et explique qu‟à côté des choses données, il y a aussi celles qu‟on garde ou que l‟on transmet (objets de famille). Ce qui explique,

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à notre sens, la forte pression exercée par les familles sur les couples pour qu‟ils procréent en les rappelant à l‟ordre. L‟enfant symbolise ce contre don que les couples doivent à la famille et à la société. Par conséquent, l‟enfant est au centre des priorités du couple et une quête qui multiplie les tentatives de fécondation in vitro en PMA.

Radhia est âgée de 39 ans. Elle est divorcée en raison de son infertilité. Elle s‟est remariée. Sa nouvelle belle famille avait vécu huit ans sans enfant. Sa belle mère a eu un garçon et fille avant qu‟elle se fasse traitée pour un problème d‟infection génitale en faisant l‟ablation d‟une trompe.

Radhia nous a confié son expérience dès son premier mariage jusqu‟à la réalisation de son projet d‟enfant. Au début de son mariage, le couple a décidé de faire un enfant, après trois ans de vie de couple. La belle famille va mettre de la pression sur le couple pour le pousser à enfanter. Le couple consulte le médecin. Il s‟avère que l‟homme a un problème d‟azoospermie. Aussi bien que les femmes, les hommes sont responsables des problèmes de fertilité dans le couple (de La Rochebrochard, 2001). Or l‟infertilité masculine même prouvée scientifiquement, n‟est pas admise. Elle est cachée au père et à la mère de l‟époux, touchés par l‟annonce des difficultés à engendrer de leurs enfants respectifs. Le secret de l‟infertilité est protégé par le couple, la mère de Radhia et son médecin.

« Au début j‟étais très heureuse dans ma vie conjugale…. Mais l‟absence d‟enfant a fait de sorte qu‟elle a perturbé notre relation conjugale et a eu effet sur la relation avec nos familles respectives… Je me rappelle…dans ma première insémination artificielle, j‟avais ressenti que mon mari était psychologiquement détruit Personne de sa famille ne savait que le problème vient de mon mari… et même ma mère, elle me demandait de divorcer et se remarier…. [Elle pleure, silence] … ».

La femme n‟échappe pas aux multiples pressions familiales et sociales. Le désir d‟enfant est bien sous l‟emprise de la famille. La stérilité masculine est encore difficilement avouable. L‟infertilité provoque des conflits et des tensions au sein de la famille. Face à leur entourage, beaucoup de femmes cachent l‟infertilité de leur mari en invoquant des justificatifs. Elles gardent en secret l‟infertilité masculine pour protéger l‟homme des regards, du jugement et de l‟intervention de la famille de l‟épouse. L‟infertilité masculine devient pour l'entourage familial, une infertilité féminine. Vis-à-vis du genre masculin, la représentation sociale associe infertilité et impuissance sexuelle. Vis-à-vis du genre féminin, nous sommes confrontés à la représentation d'un corps féminin considéré comme passif, diminué et vide. Autant de caractéristiques qui rendraient la femme « apte » à supporter tous les malheurs. Löwy (2006) précise que les femmes

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sont toujours perçues pour être inséparables de la relation à l‟autre sexe (masculin), à la maternité et à une certaine intériorité. Ces conflits se déplacent du cadre conjugal à celui le la famille. La belle fille est toujours étrangère. Elle intègre la famille du mari. Selon Lacoste Dujardin : « Il faut donc que les jeunes filles soient préparées à leur « futur état de jeunes mariées dans la maison qui va les recevoir et où elles auront à se mettre au service de tous, à se plier en particulier à une autre domination féminine celle de leur belle-mère » (Lacoste-Dujardin, 1985, p. 68). La famille patriarcale est une variable importante dans le problème de l‟infertilité masculine. En effet, les travaux de l‟anthropologue Inhorn (1996) ont souligné l‟importance de la réaction de la famille et de la belle-famille à l‟annonce du diagnostic d‟infertilité, et des pressions familiales faites sur la femme. « Les belles-mères agissent en agent de la domination masculine dont elles se font ainsi les complices. Les pressions faites sur la femme fille est donc imposé par les hommes, mais exécuté par les femmes qui relaient et exercent à chaque instant la domination patriarcale sur les filles » (Lacoste-Dujardin, 1985, p : 71).

Dans plusieurs situations, l‟implication de la famille devient problématique en raison de l‟infertilité. Le conflit créé par l‟infertilité peut aboutir à un divorce envisagé par la belle famille mais également par la famille de la belle-fille. Radia est contrariée au divorce mais après une année, elle se remarie avec un jeune homme dont ses parents ont connu la stérilité secondaire. Après des recours aux soins thérapeutiques traditionnels et médicaux, les beaux parents ont une fille (Amina) et un garçon (Mohamed). Radhia, est soutenue par ses beaux parents. Cette jeune femme décrit le lien avec eux comme étant un « lien de parent biologique » recevant l‟amour et la chaleur familiale. Dans son récit de vie, elle indique la forte complicité avec ses beaux parents. Radia est fortement influencée par l‟histoire de sa belle famille, craignant le même sort qu‟elle. Elle est contrainte de s‟engager dans un parcours de la PMA pour une seule raison. « Je voulais à

tout prix recourir à l‟AMP quitte à l‟étranger, pour avoir un enfant longtemps désiré et attendu, je voulais effacer l‟étiquète de « Agra matadniche » qu‟on m‟a collé sur le dos, alors que c‟est mon ex qui ne pouvait pas enfanter…. ».

Le couple a ainsi du mal à s‟affirmer face aux exigences familiales. L‟interdiction sociale est très forte concernant le non-désir d‟enfant. La décision de procréer n‟appartient pas aux couples mais aux familles, car l‟enfant est une dette que les couples doivent aux familles.

« On ne s‟imagine pas stérile, c‟est une idée qui est rejetée, réfutée.

Souvent, on accuse la femme avant même que les bilans médicaux viennent à le confirmer ou l‟infirmer. Consulter un spécialiste, dans ce cas, devient une

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démarche nécessaire même si elle est souvent difficile lorsque l‟homme est mis en cause et qu‟il se voit, lui aussi, contraint de se soumettre aux analyses et autres consultations pour soigner sa stérilité ». (Radhia, 39 ans).

Les femmes plus que les hommes n‟envisagent pas leur existence sans enfant. Le désir d‟enfant est inégal chez les deux membres du couple. Suite aux échecs des traitements d‟infertilité, certaines femmes évoquent le risque d‟effondrement au couple (le divorce).

L‟expérience de l‟infertilité par les hommes (d‟autant plus quand ils sont responsables de l‟infertilité du couple comme dans les deux derniers exemples) serait moins dicible. La mise en mots de cette expérience étant en partie conditionnée par les constructions sociales des attributs allocutifs féminins et masculins (Cresson, 2006). Ces différences entretiennent la dimension taboue de l‟infertilité masculine du couple. Autre illustration de ces différentes formes d‟expression genrées : les nombreux forums de discussions qui permettent d‟échanger sur les expériences de l‟infertilité et de la PMA sont mobilisés principalement par des femmes.