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LA POPULATION DU BASSIN DANS LE TEMPS ET L’ESPACE

CHAPITRE 3 : HABITAT ET INFRASTRUCTURES VILLAGEOISES

2. Organisation sociale villageoise

L’organisation sociale villageoise est traditionnellement fondée sur les relations de parenté, de voisinage, et les groupes fonctionnels tels que les groupes d’entraide, les associations religieuses (monastère) et laïques (école) (Taillard, 1977 p. 76). La division institutionnelle des villages sur le modèle des groupes de voisinage, appelés « nouey », mise en place par le gouvernement à la fin des années 1970 dans le but de resserrer son contrôle sur la population, permet également à un village d’éviter la scission en deux qui se produisait anciennement lorsque la population atteignait un

74 certain nombre de maisonnées, bloquant le rassemblement du consensus, en favorisant la création des nouveaux villages dans le voisinage. Ainsi les habitants de Phatang ont participé à la création des villages de Natane, Tham Xang et Phahom. Aujourd’hui, les représentants de chaque nouey établissent un « relai administratif » entre la population et le chef de village (Formoso (éd), 1997 p. 190). Pour des raisons administratives autant que de facilité d’encadrement de la population, tous les villages sont divisés en nouey comptant de 14 à 28 maisonnées26. Par ailleurs, 4 des 6 villages étudiés se sont équipés d’un bâtiment réservé à l’administration du chef de village et de ses adjoints entre 2006 et 2007. Je n’ai pas encore pu constater l’effet de cette innovation, qui pourrait être longue à porter ses fruits étant donnée l’habitude des villageois de consulter le chef à toute heure du jour ou de la soirée. Aussi bien à Phatang qu’à Phoudindeng, les bureaux du chef de village n’ont jamais été utilisés. Ces bureaux de villages, sorte de « mairies », révèlent de la part des autorités du district une volonté d’affirmation locale de l’autorité administrative et territoriale.

La difficile mise en place de cette organisation illustre bien la permanence de deux logiques qui se rencontrent : la logique verticale descendant du pouvoir central et la logique horizontale et remontante du pouvoir local traditionnel. G. Condominas parle d’une « société globale très hiérarchisée » à propos du royaume de Louang Phrabang et au contraire, d’une paysannerie, qui en supporte le poids et qui « mène au contraire au niveau du village une vie de type démocratique : les décisions concernant la collectivité ne découlent pas du bon vouloir d’un chef, mais d’une discussion collective où joue la règle de l’unanimité » (Condominas, 1980 p. 61). En effet, l’exercice du pouvoir dans les villages lao respecte deux principes également décrits par Ch. Taillard : le principe de recherche de consensus, fonction traditionnelle du chef de village et le principe de contrôle des fonctions exercé par la population. Au cours de débats publics, le chef de village s’efforce, de présenter des propositions susceptibles de recueillir l’unanimité, puis veille à leur application. Dans le même temps, la population choisit son chef et a le pouvoir d’en changer à tout moment (Taillard, 1977 pp. 81-82). La mise en œuvre de ces deux principes d’organisation traditionnelle du pouvoir local se module en fonction des instructions reçues de l’administration du district ou de la province que le chef de village doit aussi faire appliquer. D’autre part, le chef de village ne peut être qu’un sympathisant ou membre du Parti, proposé par les dirigeants du district et élu ensuite par la population. Cette pratique conduit bien souvent à l’élection forcée de chefs de villages désignés par les autorités du Parti et qui sont peu motivés par leur tâche ou encore peu scrupuleux et indifférents au sort du village27. Aussi leur fonction risque-t-elle souvent d’être assimilée à celle d’ « agent du gouvernement » et non pas à celle de représentants de la communauté, comme le soulignait déjà G. Condominas en 1962, alors que certains chefs administratifs demandaient aux chefs de villages de dénoncer les opinions « subversives » (Condominas, 1962 p. 129).

26 Phatang est divisé en 13 nouey, Somsavath en 6, Phadeng en 3, Phathao en 12, Sengsavang en 8, Houay Ngam en 8 et Phoudindeng en 11 dont trois quartiers ethniques.

27 Rappelons que durant la guerre, la région de Vang Vieng a été le bastion des forces neutralistes et que de ce fait les habitants ne se sont pas massivement déterminés pour l’une ou l’autre des parties rivales.

75 Le dynamisme du chef de village et sa popularité se mesurent d’ailleurs à la fréquence et à la participation aux réunions publiques et aux travaux collectifs qu’il organise [photo 3]. Alors qu’à Phatang les réunions de chefs de quartiers aussi bien que les assemblées villageoises sont très fréquentes (au moins deux réunions en tout genre par semaine), à Phoudindeng, village pluriethnique, le chef de village a avoué n’avoir organisé aucune réunion publique au cours de l’année écoulée. Le dynamisme et la popularité du nouveau chef de Phatang (le chef et ses deux adjoints ont un niveau d’études supérieures), descendant de l’une des familles fondatrices du village, contraste avec celui de son prédécesseur qui, arrivé au village dans les années 1970 et désigné par le district pour son appartenance au Parti, fut destitué de ses fonctions par la population après la découverte de la location de terres communales à son profit. Le pouvoir de contrôle des villageois perdure donc.

L’ancienneté de l’implantation de la famille, la connaissance et la richesse ne sont d’ailleurs plus les seules à peser sur l’élection d’un chef de village, qui dans un sens se démocratise. Les nouveaux arrivants ont maintenant accès aux fonctions de direction à partir du moment où ils sont membres du Parti. Ainsi, pour beaucoup, l’entrée dans le Parti n’est pas une affaire de conviction politique mais la condition sine qua non pour pouvoir jouer un rôle décisionnel dans le village. Lorsque le chef de village ne satisfait plus les villageois, il arrive que ceux-ci se choisissent officieusement un autre représentant, qu’ils consultent pour les aider à régler les problèmes courants du village ou des familles. Celui-ci agit officiellement comme un adjoint, mais prend effectivement en mains la direction du village en organisant les réunions, en recevant chez lui les villageois et même les officiels. Ainsi, lors de mon premier séjour à Phatang, en 2003, l’homme qui m’a été présenté comme le chef de village, et qui agissait effectivement comme chef de village, n’était en réalité que son adjoint. Le vrai chef lui, fut destitué par la population en 2005 à la suite de l’affaire évoquée plus haut. Les réunions de comités se tiennent chez le chef de village alors que les assemblées se tiennent au monastère ou, dans le cas des villages non bouddhistes, à l’école (Somsavath, Phathao) ou en différents lieux prévus spécialement à cet effet (Phoudindeng). Notons cependant qu’à Phoudindeng, les bâtiments destinés au chef de village ainsi qu’aux réunions publiques, construits par une association locale « Organic Farm » avec le soutien d’aides internationales et inaugurés en 2004 par le Gouverneur du district, n’ont jamais été utilisés à cet effet. Selon plusieurs villageois, l’une des causes de cet abandon serait liée au manque de capacité et de motivation du chef actuel pour assumer son rôle. Pour d’autres, une certaine suspicion envers les Hmong et la localisation de ces bâtiments, dans le « quartier hmong » serait un obstacle à la bonne direction du village28. En dehors des réunions publiques et du

28 Depuis 2003, plusieurs attaques perpétrées contre des civils et des militaires dans le district de Vang Vieng sont attribuées à un groupe armé, anti gouvernemental, de Hmong retranchés dans la forêt. La présence permanente de postes de surveillance militaires disséminés dans le district renforce le climat de crainte et de suspicion envers les villageois hmong. A Ban Phoudindeng, les chefs de village ont successivement été, depuis 1997, lao, hmong, khmou, et lao deux fois de suite. L’absence de changement de chef de village lors de la dernière élection en faveur du groupe hmong est sans doute un signe de la réticence du district à faire élire un chef de village hmong durant cette période.

76 comité villageois composé des chefs de nouey, chaque village se doit d’organiser des associations de masse telles que celles des femmes, des jeunes, des personnes âgées (néo houm). Cette dernière est consultée lors de l’organisation des fêtes de village ou du monastère mais aussi pour aider à résoudre des problèmes familiaux ou fonciers dans lesquels le chef de village ne souhaite pas intervenir. Si une affaire ne parvient pas à se résoudre après l’intervention du néo houm, un tribunal villageois, constitué du chef et des notables du village, notamment d’anciens instituteurs, possède le pouvoir de jugement et veille à son application.

Enfin, chaque village possède une petite « milice » armée de quelques fusils, composée d’hommes volontaires chargés de la sécurité du village de jour comme de nuit. Les milices villageoises sont plus ou moins organisées et actives, ce qui dépend à la fois des villageois et du contexte général de sécurité. Les miliciens sont rétribués par la population qui cotise à cet effet de 1000 à 2000 kips par mois et par maisonnée. Cette somme ne constitue en rien un salaire mais plutôt une rétribution symbolique pour le milicien qui reçoit au maximum 20 000 kips par mois. Des tours de garde sont organisés par le chef de village ou le chef de la milice, souvent un ancien militaire, durant la journée et la soirée. La surveillance est renforcée à l’entrée des différentes voies d’accès des villages. Selon les époques, ces milices ont joué un rôle réel de défense du village, ou plus souvent, ont contribué à impliquer les jeunes dans le système de surveillance politique et militaire de la région et ceci aussi bien sous l’ancien que sous le nouveau régime29. Durant les années 2003 à 2007, la surveillance a plusieurs fois été accrue dans les villages du district en raison des troubles évoqués plus haut. Certains villages ont alors organisé des tours de garde 24 heures sur 24.