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LA POPULATION DU BASSIN DANS LE TEMPS ET L’ESPACE

CHAPITRE 1 : PEUPLEMENT DU BASSIN ET PARCOURS MIGRATOIRES

3. Importance des flux migratoires

Les villages se distinguent par leur implantation dans le bassin, l’origine géographique et ethnique de leurs habitants ainsi que par l’ancienneté de leur installation. L’étude des flux migratoires permet d’établir des ressemblances entre certains villages selon les critères évoqués.

3.1 Lieu de naissance des conjoints et règles de résidence

Le tableau « lieu de naissance des conjoints » [Tableau 12] permet, en supposant que les mouvements migratoires hors mariage concernent surtout les hommes, de voir si le village respecte plutôt la règle d’uxorilocalité (résidence chez l’épouse), s’il y a choix (soit chez l’époux soit chez l’épouse) ou s’il respecte la virilocalité (résidence chez l’époux) [Tableau 12 et Tableau 13]. Les nouveaux villages, déplacés sur une courte (Somsavath) ou une longue distance (Phathao, Phoudindeng), ne comptent encore que très peu d’époux nés sur place [Tableau 13].

A l’inverse, les villages anciens comptent une majorité de couples dont l’un des époux est né au village. Les couples comptant les deux époux nés au village y arrivent en

56 seconde (Sengsavang) ou en troisième position (Phatang, Houay Ngam) du fait de l’importance de l’immigration, en particulier de réfugiés venus en couples dans les années 1960-1970. Dans les deux villages taï, rural et périurbain (Phatang et Houay Ngam), le choix est indifférent, avec une légère tendance pour l’uxorilocalité, ce qui confirme la préférence des populations taï pour la résidence chez l’épouse, du moins au cours des premières années du mariage. En pratique, lorsqu’il y a plusieurs filles dans la maison, une seule d’entre elles, souvent la plus jeune, reste vivre au domicile parental avec son époux. Dans le village situé en centre-ville, Sengsavang, à majorité taï, il y a une plus grande liberté de choix, ce qui montre l’érosion de l’uxorilocalité en ville.

Dans le village yao de Somsavath, déplacé à courte distance, la tendance s’inverse légèrement en faveur de la virilocalité, même si la liberté de choix est assez grande. Il y a néanmoins plus de femmes venant d’autres villages ou districts que d’hommes. Du fait de l’installation récente du village dans la vallée (1988 à 1992), aucun conjoint n’est né au village (mais en revanche dans le même kum, puisque les deux anciens villages yao (Kayso et Nampin) ont toujours fait partie du tasseng Phatang puis du khet Phatang).

Le village hmong de Phathao est exceptionnel du fait de sa création récente (1994) et du fait que plus de 80 % de sa population, à la fois hommes et femmes, viennent du camp de réfugiés de Napho en Thaïlande23. Par ailleurs, environ 10 % de la population est identifiée comme venant de la province de Xieng Khouang. Enfin, le village de Phoudindeng, le plus récent de tous (créé officiellement en 1996 mais existant depuis 1988 dans les faits) possède la particularité d’être pluriethnique. Aucune tendance ne peut être dégagée de mes données du fait de la création récente du village et de la taille de mon échantillon.

Anciens villages Villages déplacés Villages urbains et

périurbains

Proximité Longue distance Ban Phatang Ban Houay Ngam Ban Sengsavang Ban Somsavath Ban

Phathao Phoudindeng Ban

Les deux conjoints sont

nés dans le village 11,6 15,9 29 1,3 0 2

Un conjoint est né hors

du village 64,9 60,2 57,8 3,9 0 0

Les deux conjoints sont

nés hors du village 23,5 23,9 13,2 94,8 100 98

Total 100 100 100 100 100 100

Tableau 12 : Lieu de naissance des conjoints

23 Il n’a pas été possible de retrouver le lieu de naissance de chaque personne, plusieurs époux sont nés dans le camp de Thaïlande, c’est pourquoi le tableau « lieu de naissance des villageois » comporte une réponse « inconnu ».

57

Somsavath Phatang Houay Ngam

Sengsavang Phathao Phoudindeng H F H F H F H F H F H F Village 35,5 45,2 40,8 50,7 58,7 58,7 2 Même kum 87,1 78,7 2,7 3,1 6 8 1,6 0,8 11,8 2 Sous-total 87,1 78,7 38,2 48,3 46,8 58,7 60,3 59,5 0 0 11,8 3,9 Même district (villages) 3,2 7,1 28,9 26,6 2 7 5,8 8,3 1,8 21,6 21,6 Même district (ville de Vang Vieng) 1,3 2,3 1,9 4,5 0,5 3,9 5,9 Sous-total 3,2 8,4 31,2 28,5 6,5 7,5 5,8 8,3 0 1,8 25,5 27,5 Même province (villages) 2,6 6,4 8,9 12,3 5,5 6,5 6,6 9,1 11,8 19,6 Même province (ville de Phone Hong) 1,6 0,4 2 2,5 2,5 Vientiane Municipality 0,6 8,1 1,5 5 1 9,9 4,9 2 Sous-total 3,2 6,4 18,6 14,2 12,5 7,5 19 16,5 0 0 13,8 19,6 Attapeu Bokeo 1 0,8 Borikhamxay 0,4 1 0,5 1,6 0,8 2 Champassack 3,1 0,4 2 1,5 1,6 1,6 Hua Phanh 2,6 0,6 1,5 1,9 7 7,5 0,8 2,5 2 2 Khammouane 0,4 2 0,5 1,6 Louang Phrabang 1,3 1,9 0,8 1,6 2 3 2,5 2,5 1,8 1,8 19,6 21,6 Louang Namtha 0,5 Oudomxay 1,5 Phongsaly 0,8 0,4 2 Saravane 0,8 1,6 0,5 0,8 Savanakhet 0,8 1,6 4 0,5 1,6 1,6 2 Sayaboury 0,8 2,5 1,5 Sékong Xaysomboune 0,6 1,2 0,8 1 3,7 5,5 3,9 Xieng Khouang 1,2 1,5 9,9 8,9 3,3 4,1 11,1 9,2 13,7 13,7 Sous-total 3,9 3,1 11,8 9,8 34,4 26,4 12,2 17,5 16,6 16,5 39,3 41,2 Etranger 2,6 3,2 0,4 0,4 2,5 9,8 7,8 Inconnu 83,3 81,5 Sous-total 2,6 3,2 0,4 0,4 0 0 2,5 0 83,3 81,5 9,8 7,8

58 3.2 Distribution de la population selon le lieu de naissance

Pour la distribution de la population selon le lieu de naissance [Tableau 14], trois cas de figure se présentent : les villages anciens comptant environ deux tiers de leurs habitants nés dans le village ou dans le même kum et ayant par ailleurs accueillis de nombreux réfugiés du district et d’autres provinces dans les années 1960-80 (Phatang, Houay Ngam et Sengsavang) ; les villages déplacés à l’intérieur du même kum dans les années 1970-1980 (Somsavath) ; les nouveaux villages dont la population adulte provient essentiellement d’autres provinces ou de Thaïlande (Phathao et Phoudindeng).

Les villages anciens (peuplement taï)

A Phatang, près des deux tiers (62 %) des habitants viennent du village et du kum et 15 % des villages du district, ce qui s’explique par la vague d’immigration qui a eu lieu dans les années 1970 en provenance des villages du nord-est du district (vallées de Muang Noy et de Tin One). Il faut noter par ailleurs la relativement forte immigration en provenance des autres districts et provinces (13 %), liée à la fois aux déplacements des militaires des deux camps durant les années de guerre et à son statut de village-centre qui lui attire de nouvelles familles et des travailleurs agricoles, fonctionnaires ou artisans.

Houay Ngam connaît une situation similaire avec un peu plus des deux tiers des villageois originaires du village et du kum, mais à peine la moitié des époux originaires du village, en raison de l’importante vague d’immigration des années 1980 (16,4 %). En revanche, cette vague d’immigration n’est pas issue du district comme dans le cas de Phatang, mais des provinces du nord-est, telles que Hua Phanh et Xieng Khouang. Il s’agit pour l’essentiel de familles taï deng.

Sengsavang compte également une forte proportion (60 %) de personnes originaires du village et du kum et a connu lui aussi une vague d’immigration dans les années 1970, en provenance du sous-district voisin de Napho (3,6 %). La particularité du village vient de la présence de plus de 17 % de personnes d’autres districts et provinces, à la fois du nord et du sud, et de la capitale, en raison de l’attraction de la ville et de son essor économique, en particulier dans le domaine du tourisme qui attire de nombreux investisseurs.

Les villages déplacés dans le même kum

Au contraire, Somsavath compte une population très majoritairement née dans le même kum (anciens villages yao) (91 %), ce qui révèle une assez forte endogamie entre les trois seuls villages yao du nord du district. Il faut signaler cependant que le phénomène d’adoption à l’extérieur du village, assez important, n’est pas pris en compte dans les tableaux. Du fait d’un manque d’information, le lieu de naissance des personnes qui ont déclarées être adoptées est considéré comme « inconnu » dans les tableaux. Il faut noter enfin l’installation récente au village de familles du district voisin de Kasi, de la province de Louang Phrabang et de Thaïlande (5,1 %), à la recherche de terres cultivables et venant rejoindre des parents déjà sur place.

59 Les nouveaux villages

Hormis les enfants nés au village après 1994 (47 % de la population), les habitants de Phathao viennent en majorité de Thaïlande (38 %), encore une fois, leur lieu de naissance au Laos n’est pas pris en compte, mais quelques familles sont arrivées des provinces de Xieng Khouang, Xaysomboune et Louang Phrabang (14,2 %). Certaines auraient d’ailleurs été installées dans ce village pour y jouer un rôle politique d’encadrement à l’initiative du gouvernement.

Enfin, Phoudindeng, village pluriethnique, possède une population d’origines très diverses. Un peu plus de la moitié des habitants viennent du même district, dont les enfants nés au village (40,5 %) et les adultes nés dans les villages de la vallée de Nakhè (5 %). Un quart de la population est originaire d’autres provinces dont principalement celles de Louang Phrabang et de Xieng Khouang. Il s’agit de familles hmong à la recherche de terres cultivables, venues rejoindre, grâce à un réseau de connaissances, d’autres familles hmong déjà installées, processus structurel propre à la mobilité des espaces de peuplement hmong (Taillard, 1977b p. 89).

60

Phatang Houay

Ngam Sengsavang Somsavath Phathao Phoudindeng Village 683 (60,6%) 631 (69,7%) 456 (60%) 151 (46,9%) 107 (40,5%)

Même kum 14 (1,2%) 23 (2,5%) 390 (73,6%) 223 (29,3%) 13 (4,9%)

Sous-total 697 (61,9%) 654 (72,3%) 390 (73,6%) 679 (89,3%) 151 (46,9%) 120 (45,4%)

Même district

(villages) 167 (14,8%) 25 (2,8%) 19 (3,6%) 26 (3,4%) 26 (9,8%)

Même district (ville

de Vang Vieng) 12 (1,1%) 10 (1,1%) 1 (0,1%) 2 (0,7%) Sous-total 179 (15,9%) 35 (3,9%) 19 (3,6%) 27 (3,5%) 0(0%) 28 (10,5%) Même province (villages) 60 (5,3%) 37 (4,1%) 25 (4,7%) 12 (1,6%) 23 (8,7%) Même province (ville de Phone Hong) 5 (0,4%) 3 (0,3%) Vientiane Municipality 27 (2,4%) 19 (2,1%) 33 (6,2%) 1 (0,1%) 2 (0,6%) 7 (2,6%) Sous-total 92 (8,1%) 59 (6,5%) 58 (10,9%) 13 (1,7%) 2 (0,6%) 30 (11,3%) Bokeo 2 (0,2%) 1 (0,2%) Borikhamxay 1 (0,09%) 3 (0,3%) 2 (0,4%) 1 (0,4%) Champassack 10 (0,9%) 6 (0,7%) 1 (0,2%) 1 (0,4%) Huaphanh 10 (0,9%) 34 (3,7%) 3 (0,6%) 5 (0,6%) 2 (0,7%) Khammouane 1 (0,09%) 6 (0,7%) 2 (0,4%) Luang Phrabang 5 (0,4%) 11 (1,2%) 10 (1,9%) 4 (0,5%) 5 (1,5%) 29 (11%) Louang Namtha 1 (0,1%) Oudomxay 2 (0,2%) Phongsaly 3 (0,3%) 4 (0,4%) Saravane 5 (0,4%) 1 (0,1%) 1 (0,2%) Savanakhet 8 (0,7%) 9 (1%) 4 (0,7%) Sayaboury 3 (0,3%) 9 (1%) 1 (0,1%) Xaysomboune 8 (0,7%) 3 (0,3%) 1 (0,1%) 12 (3,7%) 5 (1,9%) Xieng Khouang 8 (0,7%) 59 (6,5%) 9 (1,7%) 27 (8,4%) 27 (10,2%) Sous-total 62 (4,6%) 150 (16,4%) 33 (6,3%) 11 (1,3%) 44 (13,6%) 65 (24,6%) Etranger 2 (0,2%) 4 (0,7%) 16 (2,1%) 10 (3,8%) Inconnu 94 (8,3%) 7 (0,8%) 26 (4,9%) 14 (1,8 %) 125 (38,8%) 11 (4,2%) Sous-total 96 (8,5%) 7 (0,8%) 30 (5,6%) 16 (2,1%) 125 (38,8%) 21 (8%)

Tableau 14 : Lieu de naissance des villageois, tous âges confondus (y compris les enfants nés dans le village)

61 3.3 Les migrations pendulaires vers la ville

Les relations de travail entre les villages et la ville concernent essentiellement les villages proches de Vang Vieng : Houay Ngam et Phoudindeng. Les ménages salariés et artisans de Houay Ngam trouvent des emplois à Vang Vieng dans le domaine de la construction et des services (ouvriers de chantier, employés de ménage, cuisine). La proximité de la ville leur permet de se déplacer par leurs propres moyens (bicyclette, motocyclette). D’autres personnes se spécialisent dans la revente au village de plats préparés achetés au marché de Vang Vieng. Cette activité nouvelle connaît un certain succès du fait de la proximité des cimenteries et de l’absence de marché dans le village, d’où une clientèle assurée.

A Phoudindeng, les relations avec la ville sont essentiellement commerciales. Les femmes hmong et khmou du village vendent des produits agricoles au marché de Vang Vieng (Houay Sa Ngao), situé à seulement un kilomètre, ce qui leur permet de s’y rendre à pieds pour la matinée ou la journée entière. Un taxi pick-up du village passe néanmoins tous les jours à quatre heures du matin afin de transporter les marchandes et les produits qu’elles vont vendre au marché. Certaines marchandes hmong revendent des légumes achetés à des intermédiaires du même groupe en provenance de la province de Louang Phrabang, qui s’arrêtent avec leurs camionnettes à hauteur du village en allant vers Vientiane. Certaines femmes khmou cueillent des produits forestiers (essentiellement des pousses de bambou et du rotin) qu’elles conditionnent et vendent aux grossistes du marché de Vang Vieng très tôt le matin. Enfin, des femmes khmou et taï des villages voisins (Phoudindeng, Viengsamay) vendent du bois de cuisson aux citadins de Vang Vieng et aux restaurants.

Toutes ces migrations de travail sont essentiellement pendulaires et concernent plus particulièrement les commerçants, les artisans et les salariés des villages proches de Vang Vieng. Elles touchent également les commerçants de produits agricoles de Phatang qui gagnent Vientiane un jour sur deux. D’autres migrations, de plus longue durée et vers d’autres districts ou provinces, commencent à apparaître et concernent essentiellement les hommes jeunes de tous les villages, engagés sur des chantiers de construction dans la capitale ou dans d’autres districts. J’ai par exemple rencontré des habitants du bassin travaillant régulièrement pour les mines d’or et de cuivre du district de Xaysomboune. Le phénomène va certainement s’intensifier au fil des années avec l’augmentation de la pression foncière. Les migrations saisonnières vers la ville caractérisent pour le moment les étudiants de l’Université nationale et des diverses écoles techniques de Vientiane. Ceux-ci regagnent le village durant les vacances, qui correspondent à l’époque du repiquage puis des travaux d’entretien des rizières et des hay.

*

Les données démographiques révèlent des différences entre les villages, liées à l’ancienneté de leur implantation, à leur origine géographique (dans le même district ou en dehors) et à leur origine ethnique.

Au cours de ces quarante dernières années, la population du bassin a connu un accroissement important, causé d’une part par une forte immigration, et d’autre part

62 par le développement des soins de santé. Ainsi, la croissance démographique est plus importante dans les villages ayant accueillis des réfugiés et dans ceux ayant un meilleur accès aux services. Aussi, la baisse de la natalité et le recul de l’âge du mariage sont apparus plus marqués dans les plus anciens villages, dotés ou proches de centres de santé et d’écoles. Enfin, la diminution de la taille des maisonnées, observée dans ces mêmes villages, s’explique par la multiplication des maisonnées mononucléaires, indicateur d’un développement économique.

La population est essentiellement composée de personnes originaires du même kum dans les anciens villages et dans les villages déplacés à courte distance. Ces villages comprennent néanmoins une part de personnes nées dans d’autres kum (Phatang, Sengsavang), ou provinces (Houay Ngam, Somsavath). En revanche, la population des nouveaux villages, déplacés sur une longue distance, possède des origines plus variées, à l’échelle nationale (Phoudindeng) et internationale (Thaïlande à Phathao). De même, le village urbain connait une immigration économique en provenance de Vientiane et de l’étranger.

Enfin, la structure par familles ethno-linguistiques du district de Vang Vieng, où l’on constate que les minorités ethniques sont fortement représentées dans les kum du nord et du sud-est, plus montagneux, est caractérisée par la zone de transition entre la vallée du Mékong et de ses affluents à large dominante taï, et les montagnes à large dominante minoritaire (Taillard et Sysouphanthong, 2000).