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Les villages de minorités ethniques déplacés après 1975

LA POPULATION DU BASSIN DANS LE TEMPS ET L’ESPACE

CHAPITRE 1 : PEUPLEMENT DU BASSIN ET PARCOURS MIGRATOIRES

3. Les villages de minorités ethniques déplacés après 1975

Figure 3 : Provenance des vagues migratoires dans le bassin de Vang Vieng

35 La fondation de la République démocratique populaire lao (RDPL) en 1975 a provoqué le départ hors du pays de villageois qui s’étaient trouvés engagés contre le Pathet Lao. Alors que le bassin se vidait d’une partie de sa population, certains villages de montagnes des minorités ethniques yao, hmong et khmou, furent déplacés dans la vallée. Ces déplacements forcés furent initiés par le nouveau gouvernement à partir des années 1980. Ils étaient censés s’inscrire dans une « politique d’action sociale » (Goudineau, 2000 p. 26) visant à rapprocher les villages éloignés, géographiquement et culturellement, des services de l’Etat (routes, écoles, dispensaires) tout en mettant un terme à la pratique de défriche-brûlis et à l’habitat jugé « nomade » des essarteurs (ce qui n’est pas le cas des Khmou et des Taï qui pratiquent une rotation des essarts cultivés).

De nombreux villages furent ainsi délocalisés et sédentarisés dans le bassin. Parmi ceux-ci, Ban Somsavath, fondé dans la vallée de la Nam Pamome en 1988 à la suite de la délocalisation des trois villages yao installés dans les montagnes au nord de Phatang : Ban Nampin, Ban Kayso et Ban Phalouang [Figure 4]. Il est probable que le village yao de Phalouang ait été fondé à la fin du 19ème siècle ou au tout début du 20ème siècle. Ses habitants, venus de la région de Sam Neua, se déplaçaient régulièrement vers le sud pour s’éloigner des invasions des Hô ou des attaques des Pavillons Noirs et pour défricher de nouveaux essarts11 : en effet chez les Yao comme chez les Hmong, les pratiques d’essartage plusieurs années de suite dans les hay d’opium provoquent la destruction des sols et nécessitent donc le déplacement fréquent des villages. Les Yao de Phalouang ont ensuite fondé Ban Kayso et Ban Nampin dans les années 1940, où ils ont été rejoints par d’autres communautés yao.

Il est intéressant de noter que le déplacement des villages montagnards yao, opéré par l’Etat, a d’abord été orienté vers des villages taï (Phatang et Phahom). Dans les deux cas, les Yao n’y sont restés qu’une année avant de se déplacer, cette fois, vers des sites de leur choix, plus près de leurs essarts. Après leur déplacement forcé en 1988, les habitants de Kayso se sont assez rapidement fixés à Somsavath, près des rizières et des vergers qu’ils cultivaient déjà à petite échelle. Au contraire, les habitants de Nampin ont cherché durant quatre ans un lieu propice à leur établissement, en se déplaçant quatre fois. Ces déplacements successifs des villages Yao dans la vallée, entre 1988 et 1992, sont révélateurs de la difficulté à s’installer dans les basses terres pour les villages montagnards12.

11 Avant son installation à Phalouang, cette communauté yao, originaire de Muang Hiem (province de Hua Phanh), a vécu successivement dans les villages de Phadeng, Phalay et Phano.

12 Les déplacements contraints vers les terres basses existaient aussi sous l’ancien régime. Ban Kayso a ainsi été déplacé dans la vallée durant près d’un an au début des années 1970 avant d’obtenir l’autorisation de regagner son emplacement d’origine dans la montagne.

36 Figure 4 : Les déplacements des villages yao de 1987 à 1992

Houay Ngam est un village taï neua qui a accueilli, dans les années 1980, des Taï Deng de Xieng Khouang et Hua Phanh ayant été chassés de leurs terres en raison de la politique de déplacement des villages montagnards. Leur hameau, Hat song khon, fut rattaché administrativement à Houay Ngam en 1990.

Durant les années 1990, une nouvelle vague de population arriva en provenance de la « zone spéciale » de Saysomboune, fuyant la guérilla hmong. Parmi les réfugiés, plusieurs familles hmong et khmou, originaires de la vallée de Nakhè, vinrent grossir le hameau taï de Phoudindeng, situé au nord de l’agglomération de Vang Vieng. Le village a été reconnu officiellement en 1996 [Figure 3]. D’autres familles khmou, originaires de Muang Sui dans la zone de Saysomboune, s’installèrent notamment dans les villages de Viengsamay et de Phadeng.

Le village hmong de Phathao, situé au centre du bassin, a été créé en 1994 par le gouvernement laotien avec l’aide de l’Union Européenne, dans le cadre d’un programme de réinsertion au Laos des Hmong réfugiés, dans les années 1970 à 1980, dans les camps de Napho et Vinay (province de Nakhon Phanom) en Thaïlande. N’ayant pas pu partir aux Etats-Unis, ils ont été réinstallés au Laos de gré ou de force. Leur insertion dans le district de Vang Vieng a été favorisée par la construction d’un

37 canal d’irrigation permettant la création de rizières, attribuées à chaque ménage, en plus de l’allocation d’une parcelle d’habitation et de matériaux de construction.

Notons enfin le déplacement du village de Vang Xong au sud du district en 1995, en lien avec la création du barrage de diversion de la Nam Xong, financé par la Banque de Développement Asiatique afin de dévier la plus grande partie des eaux de la rivière vers le réservoir de la Nam Ngum. Aujourd’hui ce barrage a presque complètement détourné la Nam Xong de la Nam Lik, autrefois l’axe de circulation majeur des commerçants de sel.

Le bassin de Vang Vieng connaît jusqu’à aujourd’hui un important brassage de populations lié au maintien d’anciens habitants, au départ d’autres à l’étranger, à l’arrivée de réfugiés et de déplacés et, plus récemment, de nouveaux venus attirés par la prospérité du bassin. La diversité du peuplement porte à la fois sur l’origine géographique et sur l’origine ethnique, ce qui constitue une véritable richesse pour le bassin. En revanche, l’apparition de villages pluriethniques comme à Phoudindeng a été source de difficultés de cohabitation, aggravées souvent par la saturation de l’espace cultivable du bassin [cf. infra]. Si la diversité culturelle est un aspect normal de la vie sociale pour ces populations vivant en interactions depuis longtemps, leur proximité géographique, depuis leur implantation dans les basses terres et au bord de la route nationale, n’a jamais été si grande. Pour le district, cette diversité du peuplement représente tout autant une difficulté qu’une richesse et demande une politique adaptée, surtout dans les villages pluriethniques.