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LA POPULATION DU BASSIN DANS LE TEMPS ET L’ESPACE

CHAPITRE 1 : PEUPLEMENT DU BASSIN ET PARCOURS MIGRATOIRES

1. Les débuts du peuplement taï

Selon des sources orales, une première vague de peuplement taï9

a conduit à la fondation de villages au nord du bassin et en amont de la Nam Xong et de la Nam Noy, par des Phouane chassés de Muang Kham (au nord-est de la province de Xieng Khouang). La période exacte de cette première vague de migration taï se situe vers le milieu du 19ème siècle et il est fort probable qu’elle ait été suivie de plusieurs autres. En effet, plusieurs fois au cours du 19ème siècle, la population de Muang Kham a été déplacée ou s’est enfuie vers le sud. En 1833, les Siamois déplacèrent toute la population de Muang Phouane à Sa Ngo Ho Kham puis au sud du Mékong (Archaimbault, 1967 p. 629). En 1873, les Hô envahirent Muang Phouane et tous les

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Traduit de l’anglais par l’auteur.

9 J’ai fait le choix, dans cette thèse, de désigner comme « Taï », l’ensemble des groupes de la famille ethnolinguistique Lao-Taï peuplant le bassin de Vang Vieng, c'est-à-dire principalement les Taï Neua, les Phouane, les Taï Deng et les Taï Dam. Tous ces groupes parlent en effet des langues proches les unes des autres et peuvent se comprendre, ce qui montre que le critère linguistique ne permet pas à lui seul de rendre compte de la profusion des ethnonymes relevés sur le terrain (Evrard, Goudineau, 2005 p. 39). Les groupes taï, malgré leurs différences (religieuse notamment), se rapprochent également par leur structure politique généralement considérée comme « féodale » (ibid. : 42) et par une organisation traditionnelle en principautés ou chefferies (muang). Le fait que de nombreux villageois se soient présentés spontanement comme « lao loum » (lao d’en bas), expressement pour se distinguer des « lao theung » (lao du dessus) et des « lao soung » (lao du haut), ou plus précisément comme phouane, taï neua ou taï deng, et non comme « lao », bien que ce nom leur convienne aussi, a influencé mon choix, ayant l’avantage de comprendre tous les groupes lao-Taï, alors que le terme « lao » excluait notamment les Taï Deng et les Taï Dam, assez fortement représentés dans le centre et le sud du bassin.

29 habitants s’enfuirent (ibid. : 634). En 1875, les Siamois déplacèrent une nouvelle fois toute la population de Muang Phouane (soit 6900 familles), accusée de fournir les Hô en armes (ibid. : 636). Plusieurs récits estiment la fondation de Ban Phatang à plus de 300 ans. Il semble cependant que ces estimations soient fantaisistes et liées à une manière de parler peu scrupuleuse des dates de la population locale. Il semblerait que les plus vieux villages taï du bassin n’aient pas plus de 150 ans. En effet, plusieurs anciens de ces villages affirment que leurs arrières grands-parents étaient les fondateurs de ces villages.

Une deuxième vague de peuplement a eu lieu au début des années 1880, au sud du bassin, par un groupe d’environ 200 familles taï neua, originaires de Hua Phanh (province de Sam Neua) (Raquez, 1902 pp. 139-140). Selon les récits populaires (Muonglao), Thao Tengtai naquit en 1850 à Houa Phanh. Il était le quatrième enfant de Pha Nya Gnom et le neveu de Pha Nya Soulintha. Le père de Thao Tengtai lui conseilla de chercher une place où son peuple (Taï Neua) pourrait vivre en paix. Thao Tengtai passa 22 ans à chercher avant d’arriver à Ban Phone Nhang, dans la région de Toulakhom. Son peuple y demeura durant neuf ans alors que Thao Tengtai était retenu à Louang Phrabang pour être formé par l’administration siamoise (ayant envahi le Lane Xang en 1874) aux fonctions d’administration et recevoir l’Ordonnance royale. Durant ce temps, Thao Tengtai demanda au chef de Toulakhom de veiller sur son peuple.

A la fin de sa « formation », il retourna auprès de son peuple à Toulakhom et le fit déplacer vers le nord, remontant la Nam Lik et la Nam Xong. Lorsque Thao Tengtai et son peuple arrivèrent à Ban Hin Khanmak, sur le site de l’actuelle cimenterie, ils passèrent une année à construire leur ville. Mais ils réalisèrent que cette situation était peu propice et déplacèrent la ville au bord de la rivière, un peu plus au nord, où il restait des traces d’une ancienne cité10, et l’appelèrent Muang Xong. Thao Tengtai fût nommé chef de la ville (chao muang). Après une nouvelle formation de trois ans à Bangkok, il reçu le titre honorifique de Pha Nya Isane Outaitesa Saysanaxongkham. De 1893 à 1899, alors que le Royaume du Laos était sous l’administration française, P. Morin, représentant du gouvernement français, reconnu officiellement la ville le 16 mai 1899, nomma Thao Tengtai, connu aussi comme Pha Nya Isane, chef du district et changea le nom de Muang Xong pour l’appeler Vang Vieng. Le nom de Vang Vieng signifierait « enceinte des palais » (Raquez, 1902 p. 143), mais cette traduction est contestée par certains habitants pour qui Vang Vieng signifierait « la ville au bord de la rivière profonde ». Les deux interprétations sont correctes puisque « vang » signifie à la fois « l’endroit où l’eau de la rivière est profonde » et « palais ». Lorsqu’il suit le préfixe « phrarasa », il signifie palais royal (phrarasa vang). « Vieng » signifie « ville » ou « enceinte ».

Les autorités françaises forcèrent les villageois à contribuer aux travaux collectifs et notamment à la construction de la route 13 en 1933.

10 Les fondations en briques d’une ancienne enceinte auraient été retrouvées dans la ruelle qui longe la rivière ainsi qu’un ancien that. Cette ancienne cité a pu être détruite par les Ho quelques années avant l’arrivée des Taï Neua.

30 Le peuplement taï du bassin s’est donc constitué à partir de deux migrations : celle des Taï Neua par le Sud et celle des Phouane par le nord. Les plus vieux villages se trouvent dans les lieux les plus appropriés pour la riziculture humide : les fonds de vallées les plus larges et traversés par la rivière ainsi que plusieurs ruisseaux. A partir de ceux-là, de nouveaux villages furent créés, généralement en aval de la rivière. Certains disparurent suite à des épidémies ou à l’insuffisance de main-d’œuvre qui a pu pousser à l’abandon des rizières et au déplacement des villages.

Au début du vingtième siècle, le bassin a connu une troisième vague de peuplement avec l’arrivée de groupes Yao et Hmong qui créèrent des villages sur les montagnes. La carte de K. Iwata donne un aperçu du nombre important de villages, de leur diversité ethnique, et de leur répartition spatiale au début des années 1960 [Figure 2]. On y voit notamment trois villages yao et une dizaine de villages hmong sur les hauteurs entourant directement le bassin. Les villages khmou sont plus nombreux mais situés aux marges du bassin, signe de leur antériorité et de leur expulsion par les Taï.

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● Taï ■ HmongYao Khmou

Figure 2 : Distribution des groupes ethniques dans le bassin de Vang Vieng en 1961 d’après la carte “Ethnic Distribution in the Valleys of the Nam Song and the Nam Lik” (Iwata, 1961)

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