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CHAPITRE 5 DISCUSSION

5.1 Thèmes et patterns autour de l'approche d'enseignement pour l'alphabétisation

5.1.1 L'ordinateur XO comme un outil ou comme un objet d'apprentissage?

Au regard de l'approche d'enseignement visant l'alphabétisation technologique, on pouvait s'attendre à ce qu'une certaine place à l'intérieur des discours soit accordée à l'apprentissage et à l'utilisation des TIC comme objet de connaissances. Que ce soit en se référant à un apprentissage de logiciels bureautiques (le traitement de texte, le tableur, les outils de présentation assistée par ordinateur, etc.), de la programmation ou de connaissances liées à l'informatique et aux TIC, nous avions anticipé en regard des approches d'enseignement identifiées par Law & Plomp (2003), qu'il eut été aussi question d'utilisations visant l'apprentissage des TIC en tant qu'objet. Il nous semble donc essentiel de nous questionner pour tenter de comprendre les raisons qui expliqueraient que ce volet d'apprentissage des TIC, souvent au centre des représentations communes en matière d'utilisation des TIC en contexte scolaire, fasse défaut.

En effet, dans leurs discours, nous pouvons dire que les décideurs pédagogiques ne font que très rarement référence à l'apprentissage ou à l'enseignement de l'informatique, du moins en ce qui concerne l'élève. Le participant 2 a été le seul à soulever directement l'initiation de l'outil informatique par l'utilisation de l'ordinateur XO.

L'outil XO, quand il sera là va contribuer à la fois non seulement à initier l'enfant à l'usage de l'outil informatique qui est inscrit dans le programme d'enseignement, mais aussi, une possibilité de créer son... de matérialiser son inventivité, son esprit d'invention et tout en répondant aux besoins du système qui est de former un enfant qui est ouvert au monde, mais toujours étant créé dans sa culture. (P-2)

Il en va autrement pour l'alphabétisation technologique des enseignants et la maîtrise des fonctionnalités des activités de l'ordinateur XO. Cette question de l'appropriation des outils technologiques par les enseignants sera abordée plus loin dans le présent chapitre.

Il faut comprendre que tant dans le programme national des technologies de l'information et de la communication des écoles maternelles et primaires (2008) que dans le programme de formation des enseignants en technologie de l'information et de la communication (2007), la grande majorité des objectifs d'apprentissage sont formulés dans une approche

axes suivants : la découverte, l'analyse et l'exploitation, la confrontation, la récapitulation de l'art et médiation et l'évaluation progressive. Des axes qui selon nous s'aligneraient avec l'approche d'enseignement pour l'approfondissement des connaissances comme la définit l'UNESCO (2011). Cependant, on constate que certains objectifs et contenus d'apprentissage sont davantage centrés sur la maîtrise et la connaissance des fonctionnalités des outils plutôt que sur leur utilisation en contexte. Comme il est formulé dans le programme national (2008), les objectifs d'apprentissage consiste surtout à nommer, identifier et manipuler une technologie. Voici quelques exemples :

 Nommer les outils TIC

 Identifier et donner leurs fonctions et usages essentiels dans l’environnement (école, maison, etc.)

 Mettre en marche et arrêter les outils usuels

 Bouger la souris pour pointer un objet sur le bureau

 Utiliser les périphériques d’entrée (souris clavier CD- Rom, scanner, appareils photos...) et de sortie (imprimante) pour stocker (CD-ROM, Flash Disk, Disquettes) Il nous semble plausible d'effectuer un rapprochement entre ces objectifs d'apprentissage et l'une des perspectives du rôle des TIC définies par Law & Plomp (2003), soit apprendre les TIC. Cette mouture du programme national de l'enseignement des TIC au primaire, comme son nom l'indique, accorde une grande place aux connaissances spécifiques à l'utilisation d’outils informatiques.

Toutefois, dans leurs discours, les sujets ne réactivent pas ces visées pédagogiques et semblent davantage se soucier d’autres types d’apprentissage (créer, accéder à des sources d'information, communiquer, collaborer, résoudre des problèmes, etc.). Nous reviendrons autour de ces thèmes émergents et les approfondirons tout au long de ce chapitre. Lorsque nous avons catégorisé les discours de manière à les organiser autour des interactions envisagées entre l'ordinateur XO et les élèves, nous avons remarqué la quasi-absence dans leurs discours de la valorisation de l'apprentissage de l'informatique ou de l'utilisation des TIC en soi. Aussi, ce n'est qu'à de rares occasions qu'ils abordent l'étape cruciale et charnière où l'enfant a à s'approprier les fonctionnalités des activités.

Suite à notre analyse des discours des décideurs pédagogiques, plusieurs pistes d'explication nous semblent possibles à explorer72. Qu'est-ce que les enseignants auront besoin de savoir pour une utilisation pédagogique de l'ordinateur XO? Que feront les élèves en classe avec l'ordinateur XO? Que feront les instituteurs en classe où les XO seront utilisés? Voici des questions qui ont été posées. Il est peut-être vrai que, formulées autrement, les questions auraient amené le discours ailleurs. Par exemple, qu'est-ce que les élèves apprendront en utilisant l'ordinateur XO? Néanmoins, nous pensons qu'il aurait été tout à fait normal que les décideurs pédagogiques abordent l'enseignement de l'informatique ou l'utilisation des logiciels bureautiques, des thèmes usuels des discours politiques en contexte de déploiement d'ordinateurs au sein d'un système éducatif. Il se peut toutefois que la quasi-absence de cette dimension dans leurs discours soit tout simplement due à l'évidence que l'introduction de petits ordinateurs au sein des classes entraînerait, par l'usage, une alphabétisation technologique. L'ordinateur étant peut-être déjà perçu comme vecteur de la culture numérique, le nœud de la problématique serait plutôt de contextualiser son utilisation pour enrichir les apprentissages plutôt que de s'en servir pour enseigner l'informatique.

Il se peut qu'en amont, le design de l'ordinateur XO et de son interface graphique oriente déjà vers une utilisation de cet outil en support à des apprentissages divers et à un potentiel d'approfondissement des connaissances comme l'entend l'UNESCO. Car tout au long de leurs discours, lorsque les décideurs pédagogiques abordent l'utilisation de l'ordinateur par les élèves, celle-ci est déjà située en contexte disciplinaire (autre que l'apprentissage des TIC pour elles-mêmes). Ils y parlent de productions diverses liées à d'autres domaines disciplinaires que celui de l'apprentissage des TIC :

Produire des écrits. Produire des objets artistiques par exemple. Donc, si nous allons étape par étape. Prenons les langues par exemple. L'élève va produire quoi? Il va produire du texte, il va produire des phrases, il va produire des paragraphes il va produire des mots qui devraient avoir un sens pour pouvoir communiquer. Si nous allons dans un domaine comme les mathématiques l'élève va produire (…) La résolution des problèmes mathématiques qui

relèveraient d'une pensée, d'une idée devra se concrétiser de façon visible par un écrit qui est en réalité le processus de résolution d'un problème. Donc, l'élève va produire une résolution de problème. (P-7)

Aussi, l'autonomie des élèves à laquelle les décideurs pédagogiques se réfèrent à l'intérieur de leur discours peut aussi concerner l'appropriation possible des fonctionnalités des activités par l'intermédiaire d'une pédagogie orientée sur l'exploration. Ainsi placés en contexte de production ou de recherche d'informations, les élèves découvriraient par leurs manipulations les possibilités des activités qui leur sont offertes :

Je disais que nous on croit même qu'il faut travailler beaucoup pour comprendre ce qui est dans cet environnement, nous-mêmes, parce que nous avons, nous croyons que quand nous allons donner ça aux enfants, ils vont découvrir les choses que nous-mêmes on a pas encore découvert, parce que c'est un environnement tellement riche, les activités. (P-1)

Il est également possible que le design de l'interface graphique, par sa convivialité et surtout parce qu'elle a pour destinataire premier l'enfant, suggère un apprentissage de son fonctionnement par l'exploration. Nous comprenons que bon nombre de décideurs pédagogiques considèrent le design de l'interface graphique de l'environnement Sugar comme adapté aux enfants et qu'il facilite son appropriation par des icônes et des représentations d'objets qui leur sont communes.

Par exemple, ils ont et ils manipulent les objets chez eux à la maison et avec les camarades à l'école quand ils jouent même. Avec l'environnement Sugar, ils vont voir certaines activités qui ressemblent à des objets; qui ressemblent à ce qu'ils jouent souvent avec, et donc ces objets ne seront pas tellement étrangers, là ils vont essayer de cliquer partout et voir ce que ça va donner [...] (P-1)

Mais il se peut aussi que précisément à cause de son interface graphique conçue spécifiquement pour une utilisation par les enfants, l'ordinateur XO ne soit pas considéré comme un outil servant à apprendre l'utilisation des TIC et l'informatique comme les représentations sociales nous laissent le croire. Certes, à l'exception d'un logiciel de traitement de texte, l'activité Écrire, l'ordinateur XO n'est pas distribué par défaut avec ce type d'outils numériques spécifiquement conçus pour une utilisation bureautique. Peut-être est-ce même le choix de l'ordinateur XO comme outil qui influence cette vision de la place des TIC en classe? Et s'il en avait été autrement? Qu'à la place de l'ordinateur XO, des

ordinateurs de bureau distribués avec une suite bureautique auraient été choisis, est-ce que les décideurs pédagogiques auraient parlé de l'intégration de son utilisation au sein des d'apprentissage et d'enseignement des disciplines curriculaires de la même façon? Ce sont tant de pistes qui mériteraient d'être étudiées.

Tout bien considéré, nous pouvons dire qu'un thème récurrent au centre des discours autour des interactions envisagées entre les élèves et l'ordinateur nous offre un éclairage digne d'intérêt : l'ordinateur XO viendrait essentiellement suppléer le matériel manquant. La problématique du manque de matériel tant pour l'accès à des contenus (livres et des manuels scolaires) que pour la disponibilité d'outils de production en classe (du papier, des crayons, des crayons de couleur, etc.) a été soulevée par trois des participants. Retenons cet extrait particulièrement frappant :

Puisque désormais ses élèves auront tout le matériel dont ils ont vraiment besoin. (P-7)

Nous qui croyions que la fracture qu'exprimeraient les décideurs pédagogiques tournerait davantage autour de l'axe de l'accessibilité aux outils informatiques73 ou possiblement autour de l'adéquation de leur utilisation à l'égard des visées éducatives poursuivies, nous avons été surpris de constater que le problème se situe en amont. À partir de notre analyse de leurs discours, il nous est possible de dire que les décideurs pédagogiques parlent de l'ordinateur XO d'abord comme d'un outil pour pallier la fracture matérielle existante, et par matérielle nous ne nous référons pas forcément aux ordinateurs et aux logiciels. Une fracture au niveau de la disponibilité des outils élémentaires qui a des répercussions sur la littératie (Waschauer, 2003). Par son offre d'activités et leurs différentes fonctionnalités, l'ordinateur XO offrirait des outils permettant d'enrichir les activités de classe par de nouvelles possibilités de production et d'accès à des contenus :

Premièrement, le lui présenter comme étant un matériel de travail indispensable, un outil qui... si je peux utiliser l'expression dans son ventre, un outil qui dans son ventre contient tout ce qui est nécessaire pour la salle de classe. Donc, véritablement, un cartable pour l'élève où il retrouvera des

couleurs, des crayons, des papiers, des livres, des cahiers, des... bref tout cela. (P-7)

Ce qui nous fait penser immédiatement aux dimensions d'équité numérique de Resta et Laferrière (2008) qui concernent non seulement l'accessibilité au matériel informatique, mais également, l'accès à des contenus significatifs et surtout à la possibilité de créer et de partager. Plus loin dans ce chapitre, à travers l'organisation des discours autour des possibilités de productions de l'ordinateur XO, nous aborderons la plus-value de ces nouveaux possibles dont parlent les décideurs pédagogiques.

En somme, à travers leurs discours, les décideurs pédagogiques ne semblent pas considérer le projet de déploiement des ordinateurs XO comme un projet ayant pour visée principale l'initiation à la culture numérique de la jeunesse camerounaise. Pourtant, un élément central des discours politiques visant à s'attaquer au problème de la fracture numérique et l'une des principales dimensions du programme national camerounais pour l'enseignement des TIC au primaire. Le XO semble davantage perçu comme un outil soutenant les processus d'apprentissage et d'enseignement entre autres en palliant le manque des outils de production et aux sources d'informations. Cela nous amène à nous questionner sur le partage de la vision à l'égard des politiques autour de la place des TIC dans l'éducation. Il y a une différence nette entre un projet où des ordinateurs XO sont déployés afin de développer les compétences des élèves en matière d'utilisation des TIC et un projet où les ordinateurs XO sont déployés pour enrichir les processus d'enseignement/apprentissage quotidien. À la lumière de notre analyse des discours des décideurs pédagogiques et dans une optique de développement de mesures d'accompagnement dans la réalisation de ce projet de déploiement, il nous semble important de soulever ce qui nous semble être un manque de clarté dans la formulation et la communication des visées du projet. Par leur rôle au sein du processus de diffusion de cette innovation, les décideurs pédagogiques doivent assurer une certaine cohérence entre les visées et les utilisations prescrites. Si d'un côté le programme considère les TIC comme un objet d'apprentissage et que de l'autre l'ordinateur XO est présenté par les décideurs pédagogiques lors d'activités de développement professionnel des enseignants comme un outil soutenant les apprentissages, il y a là risque de confusion. Comme l'a souligné Lafortune (2008), il serait donc pertinent

dans un but de construction d'une vision négociée et partagée autour de la place des TIC en éducation, que des mesures d'accompagnement soient mises en place pour faciliter ce processus :

L'accompagnement dans un processus de changement, de renouvellement des pratiques et de développement de compétences professionnelles, suppose d'avoir une représentation du changement afin de communiquer à d'autres sa vision du changement pour aider à formuler et à confronter les différentes représentations, croyances (conceptions et convictions) des personnels visés par le changement. Cela consiste à faire émerger les conceptions à l'aide de discussions suscitant l'explicitation des différentes conceptions. À titre d'exemple en éducation, il s'agit de faire émerger les conceptions à propos de l'enseignement, de l'apprentissage et de l'évaluation. Ces discussions peuvent également conduire à l'examen des cohérences, des incohérences et des écarts entre les croyances et les pratiques si elles sont réalisées dans l'intention de susciter des prises de conscience et des ajustements dans les pratiques. (Lafortune, 2008b, p.37-38)

5.1.2 La nécessité d'une formation des enseignants à la culture