• Aucun résultat trouvé

12 11 oeuvre comme il l'a fait pour ces deux Éducation de la Vierge, l'une

(DÉCEMBRE 1879) au Musée du Collège de Lévis, l'autre (QUÉBEC 1877) au Musée de la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré. La majorité de ces oeuvres à la fois signées et datées ont été réalisées à 1 ' atelier de Québec entre 1875 et 1890. Quant aux statues d'extérieur - oeuvres recouvertes de métal -, Jobin fixe une plaque coulée, décalque de sa signature en relief, telle une marque de commerce. À l'exemple du Saint Michel des Chutes-à-Blondeau (1913) et du Saint Georges de Saint-Georges de Beauce (1909), les oeuvres portant une plaque de métal ont surtout été exécutées à Sainte-Anne23.

Bien que 1'oeuvre de Jobin soit imposant, récent et relativement bien conservé, il suscite des problèmes d'inventaire et d'analyse propres à l'étude de la sculpture ancienne du Québec. On rencontre en effet des problèmes en ce qui touche aux commanditaires, aux sources et fonctions, des problèmes de datation et d'attribution, de localisation originelle et actuelle, d'identification et de signification, des problèmes aussi quant aux influences et aux styles, à la conservation et aux restaurations, pour ne nommer que les plus courants. Jobin, par exemple, n'a pas échappé aux attributions arbitraires, aux datations approximatives. Il est peu de calvaires anonymes de la fin du XIXe siècle qui ne lui aient pas été attribués par Barbeau ou par Morisset. Ces attributions, si elles ne sont pas sans fondement dans bien des cas, doivent au moins être révisées à la lumière des connaissances actuelles. À cet égard, aucune attribution et datation ne devrait être justifiée sans une analyse technique et formelle rigoureuse.

Malgré le travail de nos prédécesseurs et nos propres efforts en vue de constituer un catalogue complet de la production de Jobin, plusieurs des problèmes n'ont pu être résolus et nombre d'informations font encore défaut. On ne signalera que 1 'accessibilité difficile de certaines oeuvres qui empêchera à tout jamais de compléter tous les dossiers (fiches techniques et photographies), que ce soit en raison de la quantité des pièces à inventorier, de la grandeur du territoire à couvrir, ou encore

13 de leur installation à des endroits singuliers à 11 intérieur comme à 11 ex­ térieur des édifices.

Cela dit, nous n'allons pas moins tenter de renouveler la lecture de la carrière et de 11 oeuvre de Jobin, à la lumière d'un large éventail de données aussi bien historiques et techniques, que thématiques et formel­ les. Grâce à 1'exploration de nouvelles pistes de recherche, nous cherche­ rons à mieux comprendre le milieu dans lequel le sculpteur a évolué durant les diverses phases de sa carrière.

À 1'évidence, la carrière de Louis Jobin s'est inscrite dans un contexte socio-économique - celui du Québec des années 1865 à 1925 - déterminant en ce qui regarde le marché de la sculpture et la nature de son oeuvre. À travers le cheminement du sculpteur, nous tenterons donc de saisir

1'évolution de la société québécoise. En effet, par le biais de sa produc­ tion, c'est la mentalité, les préoccupations culturelles et la sensibilité religieuse de la collectivité que nous essaierons de circonscrire. Comme 1'affirmait Morisset en 1941, dans 1'avant-propos de son essai sur l'art ancien du Québec : "[...] les considérations sociologiques précèdent l'étude des oeuvres et, jusqu'à un certain point, aident à les comprendre [...] il est inéluctable qu'une société façonne les arts à sa res­ semblance24." Plus récemment, Jean Trudel précisait, dans la même veine :

"[...] la sculpture ancienne du Québec est née des besoins précis de la société ; elle est entièrement intégrée aux structures de cette société. Il ne faut pas croire que les sculpteurs étaient libres de faire ce qu'ils voulaient ; ils faisaient eux aussi partie de cette société qui les faisait vivre [. . . ] la sculpture ancienne du Québec est [. . . ] un art de province [...], conditionné par son milieu culturel et reflétant, par ses formes, les aspects très diversifiés de ce milieu et de son évolution25."

Notre première démarche a été de vérifier si les tournants majeurs de la carrière de Jobin, associés à ses principaux déplacements, n'étaient pas tributaires des impératifs du marché et des contraintes de la concurrence locale et étrangère. Ensuite, nous avons déterminé de quelle façon les

14 oeuvres du sculpteur, soumises aux règles de l'offre et de la demande, devaient répondre aux besoins et aux goûts particuliers de la clientèle en fonction des usages et des modèles, des thèmes et des lieux de destina­ tion. Enfin, nous avons tenté de savoir comment les exigences des fonctions instructives (sujet) et décoratives (emplacement) ont marqué la typologie des oeuvres par rapport à leur finition, leur revêtement, leur format, leur position, etc.

Par marché de la sculpture, nous entendons, selon une des définitions proposées par le Petit Robert, 1'ensemble des opérations commerciales et financières concernant cette catégorie particulière de biens (les oeuvres sculptées) et les personnes qui sont directement concernées (les sculp­ teurs et leurs clients), à 1'intérieur d'un territoire donné (le Québec). Les marchés de la sculpture correspondent ainsi à divers champs ou modes de production dans lesquels pouvaient oeuvrer les sculpteurs québécois professionnels durant cette période, en 1'occurrence les champs du mobilier liturgique et de la sculpture ornementale (par exemple, autels,

chaires, bancs d'oeuvre, retables, etc.), ceux de la sculpture profane (par exemple, figures de proue, enseignes de commerce, armoiries, etc.) et enfin ceux de la sculpture religieuse (par exemple, reliefs aux scènes diverses, statues du Christ, de la Vierge, de saints ou d'anges). Formés selon un système d'apprentissage traditionnel, la plupart des sculpteurs sur bois arrivaient à vivre de leur métier selon les possibilités offertes au chapitre de l'offre et de la demande. Cependant, à 1'intérieur de ces divers marchés ou champs de production particuliers, les sculpteurs avaient également à affronter aussi bien la concurrence des autres professionnels de la sculpture, locaux comme étrangers, que celle de nombreuses importations d'oeuvres d'art. En somme, dans la présente thèse, les marchés de la sculpture seront-ils mis en contexte tant au regard de l'offre et de la demande que de la concurrence. Loin de nous, cependant, 1'intention ou la prétention d'aborder cette question sous un angle purement économique ou statistique, ce que l'état actuel de la recherche ne pourrait d'ailleurs pas nous permettre. Au mieux, allons-nous poser quelques jalons en ce sens.

15 Pour mener à bien notre étude, nous avons naturellement adopté un découpage chronologique qui allait permettre d'une part de retracer 11 itinéraire de Jobin et 1'évolution de son oeuvre et, d'autre part, de comparer et de mettre en lumière les productions respectives des trois principales phases de sa carrière en relation avec les mécanismes du marché. Notre étude se divisera donc en trois parties distinctes cor­ respondant chacune aux ateliers successifs de Jobin, avec une insistance particulière sur son activité dans la Vieille Capitale. Ce parti pris est d'autant plus légitime que nous avons déjà eu 1'occasion d'explorer à fond la première phase de sa carrière dans notre mémoire de maîtrise et que la production du sculpteur à Sainte-Anne-de-Beaupré est relativement bien connue par rapport à celle de Québec. Abondante et diversifiée, cette dernière avait jusqu'ici été plutôt négligée, même si Jobin était alors au faîte de sa carrière et en pleine possession de ses moyens.

Pour chacune des étapes majeures de la carrière de Jobin, nous fournirons divers renseignements d'ordre contextuel et biographique sur les résiden­ ces et les ateliers-boutiques du sculpteur, les désignations profession­ nelles, les réclames publicitaires, les apprentis et assistants, etc. Nous dégagerons ensuite les aspects marquants du milieu de la sculpture en rapport avec la concurrence locale et étrangère. À partir des exigences des clients, nous approfondirons enfin chacun des marchés abordés par le sculpteur, soit ceux du mobilier, de la sculpture ornementale et, finalement, le marché des reliefs ou des statues profanes et religieu­ ses26.

Notre synthèse sur les divers ateliers de Jobin comportera plusieurs facettes inédites tant à l'égard du statuaire et de son oeuvre que du contexte de cette époque marquée de bouleversements majeurs. Elle permettra d'éclairer les différents phénomènes socio-économiques qui affectaient alors les sculpteurs québécois et de préciser le statut de leur profession. En outre, cette étude contribuera à dégager les traits marquants de la production de Jobin par rapport à chacun de ses ateliers et de mesurer, voire de réévaluer, 1'originalité de son oeuvre au regard

16 des règles imposées par la tradition et des innovations provoquées par 11 industrialisation et la multiplication des importations.

Dans la première partie - un résumé de notre mémoire de maîtrise - nous verrons comment 11 apprentissage (1865-1868) à la fois polyvalent et spécialisé de Jobin chez F.-X. Berlinguet l'a amené à adapter son métier de sculpteur aux exigences de marchés spécifiques. Nous tenterons aussi d1 expliquer les raisons qui ont motivé le jeune Canadien français à poursuivre sa formation à New York. Nous nous attarderons également au premier atelier de Jobin à Montréal (1870-1875), au moment où s'amorce une carrière qui sera marquée par les exigences de la clientèle et les contraintes de la compétition, à savoir le déclin de la sculpture navale, l'essor de 1'enseigne commerciale et la faveur des manufactures d'art religieux. La production de Jobin dans la métropole canadienne s'avérera aussi diversifiée que les commandes variées des clients : mobilier liturgique, figures de proue, enseignes de boutique, ornements divers, statues et reliefs religieux.

Dans la deuxième partie, consacrée à la boutique de Jobin à Québec (1876— 1896), nous démontrerons de quelle façon s'opère le recyclage progressif d'une production diversifiée vers une oeuvre très spécialisée. Nous tenterons de déterminer, en rapport avec les mécanismes du marché de la sculpture religieuse, la liberté relative du sculpteur en tant que créateur/concepteur ou simple exécutant des oeuvres commandées. Comme à Montréal, 1'ensemble de la production de Jobin dans la capitale est caractérisé par la diversité des sujets, des modèles et des fonctions des oeuvres (personnages historiques, ornements, Indiens pour tabagies, statues religieuses, etc.)

Dans la troisième partie, portant cette fois-ci sur 1'atelier de Sainte- Anne (1896-1925), nous montrerons comment, en rapport avec une clientèle particulière, Jobin est devenu, à 1'échelle de la province, le spécialiste de la statuaire religieuse d'extérieur. Les exemples représentatifs de ce troisième pan de la carrière du sculpteur seront, avant tout, des témoins

17