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61 font voir 1'intérêt que Jobin portait également à certaines dévotions plus

anciennes. La Sainte Famille du Carmel de Montréal s'avère non seulement l'une des premières oeuvres religieuses majeures de 1'artiste, mais également l'une des plus recherchées de toute sa production13. Quant au Bon Pasteur, il s'agit de l'une des rares oeuvres religieuses que Job in ait réalisées uniquement pour son propre plaisir; aussi le garda-t-il jalousement jusqu'à sa mort14.

Avec les panneaux sculptés du Bon Pasteur et de la Sainte Famille, Jobin réalisa à Montréal ses seuls tableaux-reliefs importants. Il allait désormais se consacrer presque uniquement à la ronde-bosse, avec laquelle s'affirmera son talent de statuaire. Deux Saint Joseph datés de cette période témoignent de sa facilité dans ce domaine. La première oeuvre, polychrome et de petites dimensions, est conservée au Monastère des Ursulines de Québec alors que la seconde, une statue quasi colossale en bois recouvert de cuivre autrefois peint noir, surmonte la façade de l'église Saint-Joseph de Deschambault. Celle-ci serait la première statue religieuse que Jobin ait conçue pour 1'extérieur d'un bâtiment et qu'il ait réalisée selon le procédé du repoussé-estampé.

C'est par ailleurs à Jobin que l'on attribue 1'ensemble des sept statues réalisé en 1870-1871 pour la façade néo-gothique de l'église de Saint- Henri de Lévis. Cet ensemble concerté et homogène présente un programme thématique assez simple : Henri de Bamberg, Saint Pierre et Saint Paul ainsi que les quatre Évangélistes15. Jalon important pour comprendre le phénomène des projets statuaires décoratifs et monumentaux, 1'ensemble de la façade de Saint-Henri contredit 1'opinion longtemps répandue selon laquelle le style néo-gothique n'ait guère favorisé le déploiement de sculptures figuratives à 1'extérieur comme à 1'intérieur des édifices religieux.

Au regard des marchés de la sculpture, Jobin eut à tenir compte de deux phénomènes importants lors de son séjour à Montréal : le déclin de la construction navale et l'essor de 1'enseigne commerciale. La production

62 de sculptures ornementales et religieuses fut quant à elle plus stable, mais complémentaire à celle, indéniablement prépondérante, de sculptures profanes. C'est néanmoins à Montréal que Jobin commença à se spécialiser dans les statues de grandes dimensions pour l'extérieur des édifices. Ce marché particulier s'ouvrait alors à peine mais il promettait beaucoup. À l'époque, Jobin n'était toutefois pas en mesure de concurrencer les maisons établies sur la rue Notre-Dame. En effet, des statuaires-mouleurs italiens tels que G. Baccerini, Thomas Carli, Carlo Catelli, A. Giannotti, et les succursales de manufactures françaises telles que Coulazou de Montpellier et C. Champigneulle de Bar-le-Duc fabriquaient ou diffusaient une statuaire religieuse diversifiée, abondante et très en demande.

Malgré certains succès, Jobin dut se rendre à l'évidence qu'il aurait bien du mal à vivre de son métier à Montréal. Confronté au déclin de la sculpture navale et à une forte concurrence dans le domaine de la statuaire religieuse, l'artisan se résolut donc à fermer son atelier et à déménager à Québec en 1875. Il était cependant prêt à faire face à de nouveaux défis.

63 CHAPITRE II : NOTES ET RÉFÉRENCES

1. Archives de la Ville de Montréal, Rôle d'évaluation (sic), East Ward Index, 1871 (vol. I), p. 114, et East Ward Index, 1872 (vol. I), p. 20. Louis Jobin, désigné "Sculpteur" fut locataire durant deux ans de cet édifice situé au 58 rue Notre-Dame (renseignements transmis par Bernard Mulaire).

2. A.N.Q.Q., Recensement de la ville de Montréal en 1871, Quartier Centre-est, fo 17, tableau n° 6 (microfilm Z00014-0222, 4 MOI-5107A; document inédit transmis par Claire Desmeules et Micheline Huard). Par ailleurs, le seul ouvrage connu de Narcisse, daté précisément de 1871, est aujourd'hui conservé au Musée canadien des civilisations. Il s'agit d'une table de jeu rectangulaire, en bois sculpté et polychrome, travaillée des deux côtés afin de servir de damier et d'échiquier. Repr. dans Béland, 1986, p. 16 (fig. 5).

3. Marius Barbeau, Louis Jobin, statuaire, Montréal, Librairie Beauchemin limitée, 1968, p. 30 et 67.

4. "It was wooden ships then, you know, All of 'em wanting a figurehead. That's what we did - ships' figureheads [...] Figureheads, nameboards and little bit of decoration for the sterns, ropes as moulding, etc."

(Hayward, 1926, p. 25).

5. "I came back to Montreal and set up a shop there. And then the sailing ship began to fall away. And there followed hard times for me and others. The steamers, he added with dry humor, did not want figureheads ; there was no place for them. Though at first when they had "yatch bows" perhaps. But no, not much." (Idem).

6. Barbeau, 1968, p. 30.

7. La Minerve, 4 juin 1870, p. 3; annonce reprise jusqu'au 7 septembre 1870. Voir aussi Appendice II, et Porter et Bélisle, 1986, p. 145 et 233.

8. Barbeau, 1968, p. 30.

9. Bien qu'on ne sache pas à quel magasin il était destiné. Repr. dans Béland, 1986, p. 18 (fig. 6a et b), et Porter et Bélisle, 1986, p. 55. Statue en bois polychrome aujourd'hui disparue. Il est à noter qu'une Indienne, conservée au Château Ramezay et donnée à Jobin, s'est avérée à l'examen être une attribution erronée (voir Béland, 1984, p. 73 et 126, ill. 13).

10. Sur une facture datée du 15 décembre 1877 conservée aux Archives de la fabrique de Notre-Dame de Montréal (Boîte n° 73; document inédit transmis par Bernard Mulaire). Voir Béland, 1986, p. 178-179, cat.

64 56, et Porter et Bélisle, 1986, p. 234 et 322. Cette statue en bois polychrome, signée et datée (sur la base, en avant) : "JOBIN", est conservée au Musée du Château Ramezay à Montréal. Il ne fait pas de doute qu'elle fut utilisée sur la façade d'un immeuble comme en témoigne un gros anneau de métal ancré au revers, d'ailleurs peu travaillé, de l'oeuvre. La statue fut exécutée d'après un portrait photographique du capitaine Hunter, dû au studio Notman de Montréal

(Musée McCord, Archives Notman, n° 40534).

11. Repr. dans Béland, 1986, p. 20 (fig. 7). Les trois autels sont en chêne verni et doré.

12. La Minerve, 3 janvier 1873, p. 2. Repr. dans Béland, 1986, p. 21 (fig. 8). Bas-relief en bois polychrome, signé et daté (en bas, à droite) : "L. J0BIN/1873"; église de La Visitation du Sault-au- Récollet.

13. Voir Ibid., p. 162-163, cat. 46; Porter et Bélisle, 1986, p. 281, et Jean Simard, Les arts sacrés au Québec, Boucherville, Les Éditions de Mortagne, 1989, p. 96-97. Bas-relief en bois polychrome, signé et daté (en bas, à droite) : "L. JOBIN/1875" ; Monastère du Carmel, Montréal. Les circonstances exactes de la commande faite à Jobin nous sont malheureusement inconnues bien qu'on sache que 1'oeuvre fut originalement destinée à la sacristie de l'église de Saint-Valentin. En 1969, elle fut transférée à la chapelle conventuelle des carmélites. L'aspect pictural du relief de Jobin tient au fait que 1'oeuvre est une transposition d'une lithographie qui fut imprimée et éditée par la maison L. Turgis de Paris.

14. C'est à tort que ce relief est considéré par certains comme le chef- d'oeuvre de ses années d'apprentissage. Repr. dans Ibid., p. 22 (fig. 9). Haut-relief en bois polychrome, signé (en bas, à droite) : "L. JOBIN"; Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa (n° 6775).

15. Repr. dans Ibid., p. 23 (fig. 10), et Porter et Bélisle, 1986, p. 112-113. Les statues de Saint Pierre et de Saint Paul reprennent les modèles de deux statuettes anonymes datées de 1860 placées au maître- autel de 1'église de Cap-Rouge, tandis que celles des Évangélistes se rapprochent de quatre autres statuettes, également anonymes, conservées à l'église de Saint-Octave-de-Métis (communication de Guy- André Roy).

DEUXIÈME PARTIE

LA MAÎITRISB D'UN ART L'ATELIER DE QUÉBEC

CHAPITRE PREMIER : CADRE DE VIE ET DE TRAVAIL DANS LA VIEILLE CAPITALE

L1 installation à Québec. Ateliers, résidences et incendies. Souvenirs divers. Une visite de l'atelier. Assistants et apprentis. Henri Angers. Rappel de la formation. Diversité de la production.

Quand Louis Jobin quitta Montréal, à 11 automne 1875, pour revenir s1 établir dans la ville où il avait été formé, la Vieille Capitale vivait des heures difficiles en raison du déclin rapide du commerce du bois et de la construction navale. Avec ses quelque 50 000 habitants, Québec entrait dans une période de relative stagnation démographique et économi­ que, perdant sa prééminence et son influence au profit de Montréal et d'Ottawa, respectivement métropole et capitale canadiennes.

Récemment entrée dans la Confédération canadienne, la province de Québec, à l'aube de sa révolution industrielle, traverse entre 1874 et 1878 une longue crise économique. À cette époque, la scène politique est dominée par le parti conservateur avec John A. MacDonald à Ottawa et Charles B. de Boucherville à Québec, et Owen Murphy est maire de la capitale provinciale. Sur la scène religieuse, Mgr Elzéar-A. Taschereau règne sur le diocèse de Québec tandis qu'à Montréal 1 'évêque ultramontain Ignace Bourget est remplacé, en 1876, par le modéré Charles-Édouard Fabre. Le diocèse de Trois-Rivières est pour sa part dirigé de main de fer par M9r Louis-François Laflèche, un autre ultramontain.

Durant le dernier quart du XIXe siècle, la vie politique et économique du Québec sera particulièrement marquée par le développement des lignes du chemin de fer, qui ouvriront maintes régions à la colonisation, et par le soulèvement des métis au Manitoba qui conduira à la pendaison de Louis Riel, en 1885, et à 1'élection au Québec du libéral Honoré Mercier, en

67 Peu de temps après son retour à Québec, soit le 23 novembre 1875, Jobin et un dénommé Charles Marcotte, un commis, s'associèrent afin de "faire commerce en société comme marchands sculpteurs [. . . ] sous les noms et raison de «Jobin & Marcotte». Cette société devait être dissoute le 16 décembre 1876, après à peine plus d'un an d1 activité1.

Jobin aurait d'abord travaillé dans un hangar qu'il avait aménagé en atelier, dans le faubourg Saint-Jean2. Au printemps de 1876, il est domicilié au 247 rue Saint-Jean, entre les rues Saint-Eustache et Saint- Augustin, puis, l'année suivante, on le retrouve au 85 rue d'Aiguillon.

Il ne devait demeurer que peu de temps à cet endroit puisque en 1878, il est installé au 146 d'Aiguillon, entre les côtes Sainte-Marie et Sainte- Claire3 .

Jusque là locataire, Jobin décida en septembre 1878 de s'établir au coin des rues Burton et Claire-Fontaine, en face de la tour Martello N° 3. Le 19 de ce mois, il acheta du charpentier François-Xavier Hamel un terrain, portant le n° 3838, qui donnait "sur le devant à la rue Burton, à 1'arrière au vendeur, du côté est à Jacques Trude1 et du côté ouest à la rue Claire-Fontaine4". Quatre ans plus tard, soit le 27 juin 1882, Jobin se portait de nouveau acquéreur auprès de F.-X. Hamel d'une autre portion du même terrain5. Le Livre de renvoi officiel de la cité de Québec (1874) fournit toutes les indications quant au bornage et à la superficie de ce lot situé au coin des rues Burton et Claire-Fontaine :

"Borné vers le nord par la Rue Burton, vers le sud par le n° 3839, vers l'Est par le n° 3837 et vers l'Ouest par la Rue Claire-Fontaine ; mesurant quarante et un pieds neuf pouces sur la Rue Burton, quarante-deux pieds sur la ligne qui le divise du n° 3839 et soixante et un pieds sur la ligne qui le divise du n° 3837 et soixante pieds trois pouces sur la Rue Claire- Fontaine ; contenant en superficie, deux mille, cinq cent treize pieds, mesure anglaise (2 513) égal à deux mille, deux cent-douze pieds français6."

À cet endroit dénommé Fort-Pic, Jobin se fit construire un atelier et une résidence qu'il habita jusqu'en 18967. Dans un article paru dans

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