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Sur le plan industriel et économique, en l’espace de deux siècles, Munich, ville-capitale bavaroise, capitale des arts et des sciences, est devenue une métropole globale, première exportatrice allemande de hautes technologies. La longue tradition de planification urbaine, malgré l’évolution des visées territoriales, demeure au service des forces qui la gouvernent. Historiquement, trois éléments vont jouer un rôle clé dans sa trajectoire internationale : i) la régression économique et politique de Berlin dans l’après-guerre, ii) son statut de ville- capitale bavaroise et iii) les investissements militaires ouest-allemand et américain.

Munich se situe au plus haut niveau dans de nombreux classements mondiaux : i) première ville européenne pour son savoir-faire technique dans le Tech Cities Index, ii) une des villes allemandes les plus compétitives, grâce à sa diversité et son dynamisme économique, classée dans le top 25 mondial des villes fournisseur de services financiers transnationaux, iii) classée dans le top 40 mondial des villes les plus connectées dans l’économie de la connaissance mondiale - ‘global knowledge economy’ et une des villes les plus attractives dans le secteur immobilier en Europe pour les investissements étrangers (Brookings Institutions, 2013).

Dans cette ville laboratoire et universitaire à la fin du XIX siècle, le tissu industriel, de par son isolement géographique initial, privilégie une production légère et semi-lourde, spécialisée et de qualité, privilégiant la matière grise aux matières premières à travers la recherche et le développement. Au fil du temps ce profil industriel se renforce et fait de Munich une ville de l’économie de la connaissance. Elle compte plus de 90 000 étudiants dans trois universités, dont deux sont spécialisées en sciences appliquées et plus de 50 000 chercheurs dans des entreprises privés et des institutions publiques (Reiss-Schmidt, 2009). Les secteurs clés de sa croissance au fil du siècle dernier se sont diversifiés : l’aéronautique, l’électronique, l’automobile, les médias et depuis, plus récemment, les biotechnologies, les équipements médicaux, les sciences de l’environnement, les TIC et l’ingénierie génétique. Véritable pôle d’innovation au cœur de la “Silicon Valley allemande“, son complexe d’industries et de services se caractérise par un réseau d’activités complémentaires, densément maillé, aux multiples relations organiques. Sa structuration éclaire des mécanismes de gouvernance et de compétitivité du territoire.

D’une part, les perspectives de développement de Munich comme ville globale sont davantage impulsées par le milieu des affaires et des groupes d’intérêt privés que par un leadership des dirigeants politiques (Brookings Institutions, 2013). En effet, une longue collaboration depuis les années 1950 entre le gouvernement, les centres de recherche et les entreprises a généré un écosystème économique où les principes d’équilibre et de compromis collectif caractérisent la prise de décision (Brookings Institutions, 2013). D’autre

économique actuelle, grâce à la consolidation d’une culture de l’échange et de la coopération. Celle-ci se traduit par un agenda de l’innovation se focalisant sur la densification de clusters, des investissements dans les infrastructures, l’éducation et le développement d’une économie verte (Brookings Institution, 2013). Comme nous le verrons dans le fil de nos développements ultérieurs, ces caractéristiques de gouvernance constituent des éléments clés pour nos analyses ultérieures.

2. Le tournant du XXI siècle avec le schéma directeur Perspective Munich

2.1 Perspective Munich : “Green – Urban – Compact“

Alors qu’elle est reconnue comme la ville la plus dense d’Allemagne, grâce à ses efforts constants en matière de planification, Munich, après un siècle de développement intensif et malgré l’expérience de ses propres limites physiques, s’engage dans un nouveau siècle avec une stratégie ambitieuse et un certain nombre de défis à relever.

Dans la continuité de cette longue tradition de planification urbaine et dans la perspective de poser les jalons de sa croissance, la municipalité adopte en 1995 et publie en 1998 son nouveau schéma directeur de développement urbain “Perspective Munich“ (PM) – ‘compact, urban, green’, qui entre directement en résonnance avec la synthèse de l’urbanité et de la nature du Plan Fischer de 1904 (Ville de Munich 2010 in Hebbert et al. 2013). Dès son adoption en 1995, PM souhaite diffuser une vision commune du développement de la ville à travers une importante campagne de communication en direction des citadins, des élus et des acteurs du territoire (Energy Cities, 2002-2003). C’est ainsi que plus de 26 000 personnes ont participé aux forums et débats locaux organisés par la ville (Energy Cities, 2002-2003). Ce succès réaffirme l’attachement des citadins aux questions de développement urbain, même si l’on peut s’interroger sur les retombées de ces mobilisations par la suite, dans le cadre des processus d’élaboration du plan et de concrétisation des projets. En outre, un bureau d’information sur l’aménagement urbain ”PlanTreff“ a spécialement été créé, qui offre une interface entre les différents acteurs de l’aménagement et supervise la consultation citoyenne. Il a en charge d’organiser des manifestations, des conférences, des expositions, des visites guidées pour le public intéressé, les comités de quartiers, les architectes, les universitaires, les médias. A partir des informations collectées, selon nous, l’implication des citoyens est plus le fait d’une sensibilisation du public que d’une consultation ou d’une participation, révélant alors un processus plus top-down que bottom- up.

Le slogan de ce nouveau schéma directeur articule trois axes clés, dans la perspective de garder l’aire urbaine de Munich : “compacte – urbaine – green“. Il s’agit d’une stratégie holistique de développement urbain composé de douze directives103. Nous pourrions la qualifier de « stratégie chapeau », qui à la fois fixe les grandes orientations politiques de la municipalité et tente d’impulser une cohérence globale à ses politiques sectorielles. Entre la volonté affichée de décloisonnement et les faits un écart est perceptible, à la lecture de l’évaluation externe (2007) (Thierstein, 2008 : 11). Elle indique qu’il serait judicieux de mettre en place un comité de pilotage interdépartemental permanent au sein de la municipalité, ainsi qu’un conseil d’experts extérieurs. Nous en déduisons, qu’entre 1995 et 2007, le décloisonnement des politiques sectorielles concernées par le développement urbain ne s’est fait qu’à la marge ou de manière informelle. PM révèle également le nouveau modèle de gestion des services administratifs de la ville, comme le précise la responsable du service de développement urbain de la ville dans le rapport d’actualisation de 2005. Il se veut flexible et proactif, afin de gérer efficacement sur le long terme l’expansion urbaine, tout en ayant une souplesse suffisante pour intégrer les nouvelles exigences collectives.

Ces éléments confirment ainsi nos hypothèses. D’une part, les implications de la réforme du département de planification urbaine dans les années 1960 auguraient le rôle centralisateur de ce département au sein de la municipalité. En d’autres termes, le département d’urbanisme centralise les orientations politiques, les informations des autres services et leur affichage pour la mise en œuvre d’une planification intégrée. D’autre part, le département se met au service des exigences des acteurs du territoire, comme le confirme l’approche méthodologique développée pour les projets. La démarche pour assurer le développement des 50 projets phares de PM, au lieu d’accumuler des mesures et des objectifs, se veut pragmatique et c’est une des clés de son efficacité : elle repose sur une approche articulant ‘principe – projet – objectif’ (Mastrorilli F., nc), déclinée pour chaque projet. Il s’agit d’analyser le contexte réel, puis de fixer des objectifs concrets, d’en discuter avec la communauté locale104 et de l’impliquer. Ceci est facilité par l’existence de multiples relations organiques, fruit d’une longue collaboration de ces sphères au cours de la seconde moitié du XX siècle, comme nous l’avons évoqué précédemment. Des programmes d’action sont ensuite budgétisés et élaborés avec une diversité de partenaires publics et privés.

103 Ces directives couvrent tous les domaines du développement urbain : l’emploi, la pros périté économique, la coopération régionale, la compétitivité économique territori ale, le renforcement du rôle des quartiers, l’apaisement social, le renouvellement urbain en faveur de l’habitat durable, la préservation et le développement des espaces verts, la priorité donnée au développement du centre au détriment de la périphérie, un e architecture mêlant tradition et modernité, la mobilité adaptée pour tous et la maîtrise de la circulation automobile.

A travers ces projets, l’objectif central de PM est de maintenir une qualité de vie élevée, d’anticiper une hausse de la population de 5% à l’horizon 2020 (Reiss-Schmidt, 2009), tout en conservant une densité forte. Le département urbanisme se trouve confronté aux limites physiques et administratives de la ville et doit redoubler d’ingéniosité pour relever ce défi. En effet, il prévoit que les ressources en sol seront probablement épuisées dans les 10 à 15 prochaines années (Illingman, in SUME, 2011). Dès lors les réflexions s’orientent vers les leviers pour les optimiser à l’échelle de la ville, tout en essayant de corréler densité et qualité de vie. Concrètement, il s’agit de déployer des projets de renouvellement urbain et de reconversion des friches industrielles en zones de mixité fonctionnelle, combinés à des politiques de transport public, d’intermodalité et de modes de mobilité douce efficients. Cette corrélation ne peut que favoriser les intérêts de la ville et de sa régie municipale. En effet, nous faisons l’hypothèse que plus la ville est dense, plus elle concentre d’habitants et d’entreprises, plus les réseaux de transport et de chauffage urbain sont optimisés et rentables, plus la régie municipale engrange des bénéfices qui assure la bonne santé financière de la municipalité.

L’évaluation externe de PM réalisée en 2007 démontre que, même si la population a augmenté, la zone urbaine est restée contenue (Thierstein et al. 2008). Cela confirme que l’orientation suivie par la ville depuis les années 1960, consolidée par le plan de PM, est une réussite, en termes de développement urbain du centre-ville et des quartiers périphériques, qui ont une forme et une apparence de ville avec le développement économique correspondant (Thierstein et al, 2008 : 11). Toutefois, il est nécessaire de nuancer cette affirmation car ses gradients positifs génèrent des effets pervers, comme l’illustrent le schéma (Figure 25) et les cartes 10 et 11, tant sur les plans environnemental, de la mobilité, que de la gouvernance régionale.

Figure 25. Interdépendances entre les principes directeurs de Perspective Munich

Source: Ville de Munich 2007 in Thierstein et al. 2008 : 11

La figure 25 identifie les interdépendances entre les différents facteurs de développement et leurs effets pervers. L’axe central vert identifie les leviers de développement harmonieux, qui engendrent par la suite des effets pervers, illustrés par deux boucles rouges, qui, après un certain temps, commencent à révéler à nouveau des effets de causalité positifs sur l’emploi et la prospérité économique (Thierstein et al. 2008 : 11). En effet, la forte attractivité économique de Munich se caractérise par un complexe dense et organique d’industries, d’instituts de recherche et de services de pointe. La ville concentre ainsi un réservoir d’actifs hautement qualifiés, à la recherche d’un cadre de vie et d’une qualité de vie élevés. Son rayonnement implique une attraction plus large à l’échelle du bassin d’emploi de la Haute Bavière. Cette attractivité économique induit une concentration de revenus et d’investissements qui, à son tour, engendre une spéculation immobilière élevée, une pression sur les prix du foncier et des logements, dans un marché déjà tendu par un gisement faible de surfaces disponibles en sol. Ceci impose une urbanisation dense pour répondre à la forte demande de logements mais ce phénomène d’interdépendance n’est pas sans conséquences : les zones de nouvelles implantations et de transport, de 1980 à 2000, progressent de 11 %, pour la ville, et de 39 % dans le périurbain (Reiss-Schmidt, 2002, Pauleit, 2011), ce qui confirme des phénomènes de report en zones périphériques. Ils s’expliquent par l’arbitrage financier des ménages et des familles, qui préfèrent s’implanter

développement de structures régionales modifient et élargissent la forme urbaine du territoire, avec des phénomènes de mitage. Ils accroissent également le nombre de déplacements pendulaires des zones périphériques vers la ville centre, dont les distances parcourues sont un facteur croissant de congestion et d’émissions de CO2. Ils contribuent à la fragilisation des espaces naturels par cette pression du développement du tissu urbain. Ces phénomènes sont alors susceptibles de détériorer l’attractivité économique du territoire ainsi que la qualité de l’air et le cadre de vie élevé, chers aux résidents munichois105.

105Lors d’une enquête d’opinion réalisée en 2005, 80% des résidents munichois interrogés souhaite

un maintien ou une hausse des investissements en matière de réduction des nuisances sonores, d’amélioration de la qualité de l’air et de la protection de l’environnement. Une comparaison avec celle

Source : Perspective Munich, 2005 p.24

Source : Perspective Munich, 2005 p.24