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"Nous continuons à vouloir penser le monde de demain avec les idées d'hier et nous prétendons le

gérer avec les institutions d'avant-hier" (Calame, 2003). En somme, il nous faut changer de lunettes pour voir le monde en devenir. Mais comme le disait Heidegger, les lunettes sont l'objet qu'on voit le plus difficilement car c'est à

travers elles qu'on regarde le monde...“

Introduction

Au cours de la seconde moitié du XX° siècle, on assiste à une “accélération de l’histoire qui conduit le monde à des mutations radicales“ (Freyss, 2003) qui se traduisent par la fin du modèle Westphalien – l’Etat-nation est remis en cause comme fondement des relations internationales – et la crise de l’Etat providence – l’Etat est mis en difficulté dans sa fonction de gestion de la cohésion sociale interne. L’interdépendance de ces deux phénomènes repose sur leurs liens, régis par une vision politique fondée sur le néolibéralisme, aussi bien au niveau national que mondial (Freyss, 2003).

Plusieurs évolutions importantes sont à l’origine de ces deux phénomènes. La mondialisation et la globalisation économique, caractérisée par une montée en puissance des acteurs économiques au niveau international, constituent des pressions exogènes exercées sur les Etats-Nations, qui leur laissent de moins en moins de marges de manœuvre. La mondialisation appelle à des transferts de compétences, à des pouvoirs transnationaux (intégration régionale et mondiale) et à des pouvoirs infranationaux (décentralisation) ; ces derniers sont corrélés à des pressions endogènes, caractérisées par une montée des revendications identitaires et culturelles venant d’en bas, qui conduit à une ‘désarticulation territoriale’ des Etats (Sharpe, 1979, 1993 in Piattoni, 2010). L’accroissement rapide des moyens de transports et des télécommunications renforce la déterritorialisation, ce qui vient affaiblir un peu plus l’exercice de la souveraineté par les Etats. Puis, des processus de contournement des Etats émergent ou se renforcent avec l’apparition de nouvelles sphères d’acteurs non-gouvernementaux sur la scène internationale. Tous ces phénomènes concourent à l’affaiblissement du modèle westphalien et se traduit par un déficit de la régulation publique par les Etats. La convergence de la mondialisation et l’hégémonie du néolibéralisme dans les années 1980 viennent affaiblir davantage l’exercice de la régulation publique de l’Etat Providence et amplifient la crise de légitimité de l’Etat.

C’est dans ce contexte que le concept de gouvernance apparaît pour définir les nouveaux systèmes de règles pour gérer la société, prenant en compte les nombreuses constellations d’acteurs et les multiples échelles d’action. Dans le chapitre 1, tout d’abord, il s’agira de définir ce concept polysémique, controversé et mouvant, dont la particularité est de fournir un cadre analytique adapté aux processus de reconfigurations du système politique. Puis, nous étudierons ce qui le distingue de la ‘gouvernementalité’ et comment il vient amorcer un ‘nouvel art de gouverner’. Enfin, nous nous intéresserons aux processus de reconfiguration

de la nature et de la forme de l’Etat, sur le plan spatial, ouvrant sur de nouvelles géographies de la gouvernance. Dans cette perspective, le champ de la gouvernance environnementale illustre ces évolutions et nous démontrerons en quoi elle est particulièrement intéressante.

Dans le chapitre 2, notre analyse se focalisera sur la gouvernance climatique où les dimensions précédemment évoquées sont particulièrement saillantes. Nous évoquerons d’abord comment la littérature aborde ce champ, en présentant des approches divergentes, d’un côté l’étude du régime climatique international, une approche top-down, et de l’autre l’étude de la gouvernance climatique polycentrique, une approche bottom-up. Ensuite, il s’agira de mobiliser les dimensions empiriques qu’impliquent ces deux approches divergentes pour révéler les enjeux sous-jacents et leurs implications. Nous explorerons de manière plus approfondie la gouvernance climatique polycentrique, au regard de la densité de ses implications à la fois dans la création de nouvelles géographies de la gouvernance climatique et dans l’importance accordée au rôle des villes, comme vecteurs d’ancrage territorial de la question climatique. Nous étudierons les apports et les limites de l’action urbaine, ainsi que ses origines et présenterons les nouveaux référentiels d’urbanisme - durable et bas-carbone - se situant au fondement des processus de transition énergétique urbaine.

Dans le chapitre 3, au regard des limites des leviers urbanistiques identifiés pour opérer des processus de transition énergétique urbaine, nous explorerons le champ des transition studies et des sustainability transition studies, car il s’intéresse spécifiquement aux processus de transition des systèmes sociotechniques. Il s’agira d’abord d’étudier comment ce champ d’étude traite les dimensions spatio-temporelles des processus de transition énergétique urbaine et ensuite d’identifier ses apports et ses limites. Pour ce faire, les analyses critiques faites par le champ de la géographie urbaine contribuent à en identifier les points aveugles : la spatialité des transitions et les composantes sociopolitiques. Ces analyses viendront renforcer notre choix de privilégier une approche socio-spatiale pour nos études de cas empiriques, mais n’exclut pas l’étude des processus de transition relative aux infrastructures énergétiques. Enfin, dans le chapitre 4, sachant qu’ ‘aucun problème sérieux de nos sociétés ne peut se traiter à un seul niveau’ (Calame, 2014), et compte tenu des limites de la conceptualisation spatiale des processus de transition énergétique urbaine par le champ des transition studies et des sustainability transition studies, la mobilisation de l’outil conceptuel de la gouvernance multi-niveaux nous semble particulièrement appropriée pour nos études de cas empiriques : cela permettra l’analyse des processus urbains de transition énergétique et de leurs spécificités. Nous présenterons d’abord le concept, son

contexte d’origine et sa définition, puis nous exposerons les avantages et les limites de la GMN. Enfin nous discuterons des implications empiriques de la gouvernance multi-niveaux, en tant qu’outil conceptuel particulièrement adapté pour rendre compte de la ‘géographicité’ des processus de transition énergétique urbaine et de leurs interactions avec les autres échelons territoriaux.

Chapitre 1. La gouvernance, où la conceptualisation des