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Les processus de transition des systèmes sociotechniques que représentent par exemple les infrastructures énergétiques et de transport constituent un levier complémentaire à l’opérationnalisation de la transition énergétique urbaine. Ce champ de recherche des transition studies (TS) au cours des vingt dernières années a bénéficié d’une attention accrue et s’est intéressé progressivement aux enjeux de durabilité, avec l’émergence du champ des sustainability transitions studies (STS). Nous explorerons comment les TS et STS ont conceptualisé le traitement spatio-temporel des processus de transition. Il s’agira d’identifier les racines, le cadre conceptuel des TS. Puis, nous étudierons leurs apports et leurs limites dans leur manière d’étudier les dimensions temporelles, spatiales et de gouvernance des processus de transition énergétique urbaine. Plus spécifiquement, nous révèlerons les limites du cadre conceptuel des TS et des STS pour étudier ces processus, en mobilisant les critiques faites par la littérature de la géographie urbaine.

1. Des transitions studies aux sustainability transitions studies

Les TS s’enracinent à la fois dans le corpus intellectuel des études sur l’innovation et dans celui portant sur les technologies et les sciences. Au cours des trente dernières années, tout un nouveau champ d’études interdisciplinaires a émergé et évolué, avec pour axe principal l’innovation, combinant des aspects scientifiques, technologiques et institutionnels. La clé de voute de ces analyses est le système sociotechnique, et non pas les technologies en tant que telles (Figure 1). Un système sociotechnique a la particularité de considérer l’ensemble des éléments participant à la production et la conception de services : un ensemble d’artefacts technologiques et ses aspects organisationnels, institutionnels, infrastructurels et matériels. Ce terme recouvre aussi bien les systèmes énergétiques, ceux de gestion de l’eau ou des transports. La notion de système sociotechnique s’inspire du travail pionnier de Hugues (1983, 1987), qui a défini les grands systèmes techniques – Large Technical Systems en tant qu’“ensemble d’artefacts et de facteurs sociaux, culturels, économiques et politiques qui sont à la fois construits socialement et qui organisent la société“ (Hughes, 1987). Le concept de système accentue l’interconnexion des éléments et leurs interdépendances (Hughes, 1987). Ceci a des implications cruciales pour les dynamiques des systèmes et spécialement pour leur transformation (Markard et al, 2012). Ainsi, la

transition des systèmes sociotechniques s'accompagne d'une série de processus de changements multiples et de natures diverses – technologique, matériel, organisationnel, institutionnel, politique, économique et socioculturel – qui amènent à un changement fondamental des systèmes sociotechniques (e.g., Geels and Schot, 2010; Kemp, 1994 in Markard, 2012). Ainsi, les transitions des systèmes sociotechniques se distinguent car elles sont multidimensionnelles, comme nous venons de le voir, et sont donc le fruit de nombreuses interactions, ce qui conduit à affirmer que les transitions sont multi-acteurs et s’inscrivent dans un temps long (25 à 50 ans et plus), et sont également multi-phases. Les structures technologiques et institutionnelles connaissent alors de profonds changements qui, consécutivement, font évoluer la perception des usagers et des consommateurs d’un service. De nombreuses recherches se sont intéressées aux processus de transition des systèmes sociotechniques qui ont vu le jour depuis la seconde Révolution Industrielle, comme l’introduction de réseaux d’eau aux Pays-Bas de 1850 à 1930 (Geels, 2005) ou la transition énergétique hollandaise dans les années 1960, caractérisée par un passage rapide du charbon au gaz dans les infrastructures énergétique du pays (Schot et al., 2000). Initialement, les TS privilégiaient les dimensions économiques de rentabilité et de diffusion des innovations sur les marchés. C’est à travers l’étude des innovations environnementales et leurs implications sociétales que le champ des STS a émergé. Celui-ci se caractérise par des processus de transformation fondamentale des systèmes sociotechniques, afin de déployer des modes de production et de consommation plus soutenables.

Figure 1. Carte des contributions clés et des axes principaux de recherche dans le champs des études de sustainability transition (Markardet al., 2012)

2. Les principaux concepts des transitions studies

La présentation des principaux concepts des TS - gestion de niches stratégiques ; régime sociotechnique ; perspective multi-niveaux des transitions sociotechniques ; management de la transition – transition management ; systèmes d’innovation technologique – s’appuie sur la revue de la littérature des TS effectuée dans un article par Jochen Markard, Rob Raven et Bernhard Truffer (2012).

Le concept de systèmes d’innovation technologique

L’étude des systèmes d’innovation technologique – technological innovation systems (TIS) – porte sur l’émergence de technologies novatrices, corrélée à des changements institutionnels et organisationnels. Elle consiste à identifier les moteurs et les barrières de l’innovation, élément utile à l’élaboration de politiques (Bergek and Jacobsson, 2003; Jacobsson and Bergek, 2004; Jacobsson and Lauber, 2006; Negro and Hekkert, 2008 in Markard et al., 2012). Le concept de TIS apparaît pour la première fois dans l’article de Carlsson et Stankiewicz, à l’époque technological system était le terme usité (1991) : il met

en évidence l’interaction systémique d’entreprises et d’autres acteurs dans un contexte institutionnel spécifique, moteur sous-jacent de la production, la diffusion et l’utilisation d’innovations technologiques (Markard et al., 2012).

La notion de niche et le concept de strategic niche management

La niche constitue la brique élémentaire des TS, du fait de son rôle pivot dans l’émergence de technologies nouvelles. On parle de technologies de niche susceptibles de conquérir des marchés de niches. Ce sont des innovations radicales développées et testées par des entreprises ou des organismes publics, à l’abri de la concurrence conventionnelle du régime dominant, par exemple dans les chambres d’incubation d’innovations (Kemp et al., 1998). Au fil de leur développement, dans un contexte favorable, les innovations de niche se consolident et peuvent éventuellement concurrencer les technologies établies (Geels and Raven, 2006 in Markard et al. 2012). Des études viendront nuancer cette perspective, en étudiant sur des périodes longues l’évolution des niches et en intégrant des trajectoires variables – développement, stabilisation, déclin (Geels and Raven, 2006; Schot and Geels, 2008; Smith, 2007), en interaction avec les dynamiques des régimes dominants (Raven, 2006) (Markard et al. 2012). Puis, par la suite, des travaux se sont intéressés plus spécifiquement au management de niches stratégiques – création délibérée et soutien des niches, les identifiant comme des éléments clés susceptibles d’engendrer des changements de régime (Hoogma et al., 2002 ; Kemp et al., 1998 in Markard et al. 2012).

Le concept de régime sociotechnique

Le concept de régime sociotechnique constitue un ensemble dynamique et cohérent composé de normes, de réglementations, de connaissances hétérogènes, d’acteurs. Lorsque le régime est stabilisé, il contribue à renforcer l’interdépendance des relations entre les acteurs. Dans une recherche constante de leviers de stabilisation, les régimes sociotechniques sont susceptibles de générer des inerties physiques et sociales, conduisant à une dépendance au sentier (Berkhout, 2002) et à des blocages (Unruh 2002) (Bulkeley et al. 2011). Dans cette perspective, l’intérêt des chercheurs s’est davantage concentré sur les processus de transition des régimes et les facteurs et leviers susceptibles de les déstabiliser, de les réorienter et d’en faire émerger de nouveaux plus durables (Kemp, 1994; Kemp et al., 1998; Schot, 1992; Schot et al., 1994 in Markard et al. 2012).

Le concept de perspective multi-niveaux (MLP)

Des recherches se sont intéressées à mieux cerner les dynamiques de transition. Ce sont notamment à partir des études des processus de transition qui ont eu lieu par le passé que Geels et Schot ont conceptualisé la perspective multi-niveaux – multilevel perspective (MLP) (Kemp et al., 2001; Rip and Kemp, 1998). Ainsi, la MLP se compose de différents niveaux temporels et d’agrégation fonctionnelle – multi-phases, multi-niveaux et à configurations multiples (Avelino, 2011). Elle apporte un cadre analytique aux transitions sociotechnique, à travers l’interaction de dynamiques à trois niveaux différents : (micro) niche, (meso) régime et (macro) paysage (Geels, 2002).

Situé au niveau macro, le paysage se définit comme une somme de facteurs exogènes (croissance économique, guerres, prix des énergies) susceptibles d’exercer des pressions sur les régimes existants et de modifier leur configuration initiale. Dans cette perspective, le régime, pour maintenir sa stabilité face aux pressions extérieures, se concentre sur la résolution des problèmes et l’identification de solutions, ce qui peut potentiellement le fragiliser. L’affaiblissement du régime crée des fenêtres d’opportunités propices à la diffusion plus large d’innovations de niche, susceptible de reconfigurer le régime sociotechnique et donc d’engager un processus de transition. Selon les degrés d’évolution des processus temporels et d’interactions niche-régime-paysage, Geels et Schot (2007) ont identifié différentes typologies de transition - reproduction, transformation de-alignement et re- alignement, technological substitution, reconfiguration.

Figure 2. Perspective multi-niveaux dans les transitions sociotechniques (Geels, 2011)

(NB les étapes 1 à 3 ont été ajoutées par Boutaud et Fery 2012)

Le concept de transition management

A travers le concept de transition management (TM), les TS explorent les perspectives de management de la transition, en s’appuyant sur les théories de transitions technologiques, des systèmes complexes et de la gouvernance (Rotmans et al., 2001; Smith et al., 2005) (Markard et al. 2012). Plus spécifiquement, les références à la gouvernance concernent les concepts de réflexivité, de réseaux, d’apprentissage social, de participation et de coproduction (Avelino, 2011). Le TM est présenté comme “un nouveau mode de gouvernance pour le développement durable (Loorbach, 2007), où le contrôle total et la gestion des problèmes persistants n’est pas possible, mais peuvent être gérés en termes d’ajustement et d’influence sur le système sociétal, en organisant un processus de recherche et d'apprentissage conjoint focalisé sur ‘des solutions durables à long terme’ (Loorbach 2010, Loorbach et Rotmans 2010b)“ (Avelino, 2011). En terme d’ajustement, le TM se réfère aux principaux organes de coordination et de régulation que sont les marchés, les

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Zoom sur les représentations schématiques des phénomènes de transition sociotechnique : un processus à plusieurs niveaux (Multi-level perspective)

Un Régime sociotechnique correspond à une forme d’organisation où interagissent différents acteurs (économiques, industriels, politiques, scientifiques, etc.) qui utilisent un ou plusieurs artefacts (objets techniques ou technologiques) afin de répondre à une finalité sociale précise. Ces caractéristiques sociales et techniques prennent une forme déterminée à un moment donné, en fonction des coalitions d’acteurs et des technologies disponibles. Le Régime sociotechnique des transports terrestres en est un exemple (cf. texte).

Etape 1 : Le Régime est en équilibre dynamique, c’est à dire qu’il est globalement stable même s’il connaît des

évolutions constantes à différents niveaux. Des innovations ont lieu au sein du système, tout autant que dans des Niches en marge du système (innovations plus radicales), mais ces évolutions (externes ou internes) ne remettent pas en cause l’équilibre global du Régime.

Une transition de Régime correspond à un changement profond de la forme du Régime (changement d’équilibre dynamique du système) qui s’opère en général sur plusieurs années ou décennies. La transition apparaît suite aux pressions exercées par le Paysage (contraintes exogènes : crise économique, guerre, contrainte écologique, etc.) et/ou du fait d’innovations techniques ou organisationnelles apparues dans les Niches, c’est à dire dans les marges du systèmes dominant (Etape 2). Par exemple, une pression sur certaines ressources naturelles (Paysage) peut rendre un système de production obsolète, créant des fenêtres d’opportunités pour certaines innovations apparues dans les Niches. Celles-ci vont alors être intégrées au Régime. Mais si ces innovations sont à la fois importantes et radicales, et/ou si les pressions du Paysage s’accentuent, cela peut entraîner un changement de la forme du Régime (Etape 3). Un nouveau Régime se met donc en place.

Représentation schématique des transitions sociotechniques

(repris de Geels, 2002) NB les étapes 1 à 3 ont été ajoutées par nos soins

Paysage sociotechnique (contexte exogène) Régime sociotechnique Niches d’innovations Marchés Industrie Science Culture Politique Technologie

Les évolutions du Paysage font pression sur le Régime, créant des « fenêtres d’opportunités » pour les innovations

Le Régime sociotechnique est en équilibre dynamique.

Influences externes sur les Niches

Petits réseaux d’acteurs développant des innovations. Processus d’apprentissage basés sur la co-construction et la coopération.

Des éléments d’innovation se coordonnent et se stabilisent.

Les « fenêtres d’opportunité »

permettent l’inclusion d’innovations, qui reconfigurent le Régime.

Le nouveau Régime impacte le Paysage

institutions et la hiérarchie (Kemp et Gibson, 2005). Un ‘modèle de processus cyclique’ (figure 3) permet d’organiser une démarche participative multi-acteurs avec la mise en place d’un espace de gouvernance – une “arène de transition“ – qui “tente de stimuler et coordonner l’innovation à travers la création de définitions communes des problèmes et des objectifs à long terme partagés (…), un réseau ouvert et dynamique dans lequel des perspectives différentes, des attentes et des agendas sont confrontés, discutés et alignés si possible“ (Loorbach, 2007).

Figure 3. Transition management (Kemp and Loorbach, 2003)

Figure 4. Zoom sur une représentation schématique des processus de transition management (Kemp and Loorbach, 2004)

Le modèle de TM a fait l’objet d’une attention particulière des décideurs, des gestionnaires et des praticiens au cours des dernières années, particulièrement aux Pays-Bas. C’est en 2001 que les concepts de transition et de TM ont été introduits dans le quatrième plan de politique environnementale national hollandais, présenté comme ‘une stratégie pour faire face aux

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Zoom sur les principales caractéristiques du transition management (adapté de Arentsen et coll., 2002) Pour Arentsen & coll. (2002), les points clés du processus de transition management sont les suivants :

- une vision de long terme (minimum 25 ans) comme perspective pour toute action de court terme ; - une approche qui pense les interactions entre différents domaines (multidomaine) et différents acteurs

(multiacteurs) à différentes échelles (multi-niveaux) : il s’agit de comprendre et anticiper comment le développement d’un domaine peut interagir avec les développements en cours dans d’autres domaines (niveau) ;

- une philosophie du ‘learning-by-doing & doing by learning’, c’est à dire un apprentissage collectif par l’expérimentation ;

- la volonté de faire émerger aussi bien des améliorations de systèmes (optimisation du régime) que des innovations systémiques (changement de Régime) ;

- la volonté de constamment laisser ouvertes un grand nombre d’options (‘wide playing field’).

Voilà pour quelques-uns des principes qui guident la philosophie du transition

management. Mais concrètement, comment s’organise le processus de gouvernance

proposé ?

Le transition management : un mode de gouvernance itératif

De manière opérationnelle, le transition management tel qu’il a notamment été développé aux Pays-Bas et en Belgique « se présente comme un processus cyclique

et itératif d’apprentissage collectif, géré par une équipe de représentants du gouvernement et d’experts et structuré autour de quatre instruments :

a. des arènes de la transition ;

b. des objectifs de durabilité à long terme (« visions ») traduits en images du futur et en chemins de transition ;

c. des projets innovants considérés comme des expérimentations ;

d. une évaluation permanente de l’ensemble. » (Boulanger, 2008)

Zoom sur une représentation schématique des processus de transition management (adapté de Kemp & Rotmans, 2004) a. Création et développement d’une « arène de transition » b. Développement de visions de soutenabilité et d’un agenda de transition c. Lancement de projets et d’expérimentations de transitions d. Evaluation et suivi du processus de transition Organisation d’un processus d’apprentissage permanent

dégradations environnementales en stimulant le développement durable comme un objectif spécifique de l'élaboration des politiques’ (Avelino, 2011). En d’autres termes, ce modèle relativement récent de gestion de la transition tente, par des processus de gouvernance réflexive et évolutive, de rendre les systèmes sociétaux complexes plus vertueux.

3. Les concepts des TS appliqués aux processus urbains de transition

énergétique, à l’épreuve des analyses critiques de la géographieurbaine

Une analyse réflexive des concepts de TS tant par la littérature des STS que par la littérature de la géographie urbaine évoque selon les points de vue soit des perspectives d’élargissement de la focale des recherches des TS (Markard, 2012 ; Avelino, 2011), soit, au contraire, les limites avec une analyse critiques des concepts (Coenen et al., 2010 ; Bulkeley et al. 2011 ; Hodson et Marvin 2011 ; Späth et Rohracher, 2012 ; Affolderbach et Schulz, 2015). Il s’agira d’évaluer les limites de la conceptualisation du transition management (TM) et de la perspective multi-niveaux (MLP), appliquée aux processus de transition énergétique urbains.

3.1 La faible prise en considération des composantes politiques et sociales dans le transition management (TM)

En effet, les TS et les STS, à travers leur concept de TM, échouent à considérer de manière appropriée les composantes politiques (rapports de pouvoir) et sociales (diversité des acteurs) des transitions vers la durabilité. Nous allons considérer dans un premier temps la critique portant sur les composantes politiques, puis celle qui s'attache au volet social absent des TM.

Le concept du TM et la manière dont il analyse les processus de transition a fait d'abord l’objet de critiques par son approche ‘technocratique’, ‘élitiste’, privilégiant une focale apolitique et ‘gestionnaire’. Des recherches récentes évoquent la faible prise en considération des enjeux politiques et de pouvoir dans la littérature des transitions studies (Lovell, 2007 ; Meadowcroft, 2009 ; Scrase and Smith, 2009 ; Shove and Walker, 2007, Smith et Stirling 2008, Hendricks 2007 in Markard et al. 2012 ; Bulkeley, 2005). Ce constat appelle à explorer de nouvelles approches de gouvernance.

“Le TM n’est pas directement préoccupé par les processus politiques à travers lesquels les objectifs sociétaux sont déterminés et révisés, les décisions collectives sont renforcées, et les ressources sont autoritairement répartis. Pas plus qu’il ne se focalise sur l’évolution des valeurs sociétales et du conflit de valeurs,, ou sur les sphères de vie individuelle et familiale, la définition des identités de groupe et de citoyenneté. Pourtant toutes ces sphères sont importantes pour les processus de changement sociétal et utiles à la gouvernance pour un développement durable“.

D’autres auteurs considèrent que le TM relève d’un mode de gouvernance technocratique (Hendriks 2007) – avec une focale sur “des intérêts sociaux étroits“ et des élites technocratiques (experts techniques, entrepreneurs) (Hodson et al., 2011: 198; Lawhon and Murphy, 2011 in Affolderbach et Schulz, 2015 : 6). Cette approche ignore “les contestations politiques, les déséquilibres de pouvoir entre agents du changement, dans l’accès à des prises de décision, les inégalités dans les relations de pouvoir et dans l’accès à des décisions de transition, aussi bien que des ‘essais manqués’“ (Affolderbach et Schulz, 2015 : 6). C’est dans ce type d’approche que “les délibérations relatives à une transformation structurelle des régimes sociotechniques affectant les vies de millions de gens sont pilotés par un groupe d’élite de précurseurs visionnaires“ (Smith and Stirling, 2008). Malgré sa volonté de déployer des stratégies et de développer des arènes participatives de transition pour résoudre des problèmes, le TM n’a, pour ces auteurs, qu’une faible légitimité démocratique. Les processus de TM ont tendance à négliger les interactions avec le contexte politique plus vaste, dont les arcanes du pouvoir peuvent potentiellement faire dévier la visée finale du TM (Voss et al. 2011). Les origines conceptuelles du TM peuvent expliquer cette lacune. En effet, l’importance accordée aux solutions technologiques et aux acteurs porteurs d’innovations a laissé peu de place aux dimensions sociétales et collectives, à des modes de gouvernance réflexive et à d’autres sphères d’acteurs.

Depuis peu, les enjeux de pouvoir et de gouvernance réflexive ont été pris en compte (Avelino, 2011 ; Voss et al. 2009). Une analyse approfondie des questions de pouvoir au sein des processus de TM et de la MLP a fait l’objet d’une thèse, s’appuyant sur plusieurs cas d’étude empiriques (Avelino, 2011). La littérature du TM établit que “le but ultime doit être d’influencer et de renforcer la société civile de telle sorte que les gens eux -mêmes façonnent la durabilité dans leurs environnements et, ce faisant, contribuent à des transitions désirées vers la durabilité“ (Loorbach 2007: 284, in Avelino, 2011). D’autres travaux s’intéressent au TM, comme modèle de gouvernance réflexive, tant au niveau théorique que dans la pratique et questionnent sa capacité à réduire l’écart entre des

pratiques politiques envisagées sur le long terme et les modèles de gouvernance existants (Voß, Smith, Grin, 2009). Voss et Bornemann (2011) ont étudié également comment le T M et l’adaptative management, deux approches de gouvernance réflexive considèrent le monde politique et interagissent avec les institutions établies. Des recherches plus approfondies sur les impacts à long terme de politiques spécifiques sur les STS seraient utiles, notamment pour rendre plus efficace à la fois le développement, la mise en place de nouveaux cadres politiques et les initiatives de transition à différentes échelles territoriales (locale, régionale et internationale) (Markard et al. 2012).

Le TM fait également l’objet de critiques car il ne prend pas en compte certaines composantes sociales de la transition. Le TM, privilégiant certains groupes d’acteurs, a tendance à en négliger d’autres comme les acteurs du changement, les communautés énergie et différents réseaux d’acteurs qui jouent un rôle déterminant dans les processus de transition.

Späth et Rohracher (2011) affirment à partir des travaux empiriques qu’ils ont menés à Freiburg et à Graz que les processus de transition ne relèvent pas de politiques instituées, mais qu’ils sont largement dépendants de nouvelles constellations d’acteurs du changement