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DE L’ITINÉRAIRE AU PAYSAGE VISIBLE

CHAPITRE 4 : SAISONS ET ROUTES ATLANTIQUES

4.1. Saisons atlantiques et fragmentation de l’espace

4.1.2. Les obstacles à la navigation

Des conditions peuvent faire obstacle à la navigation et représentent donc des zones de danger potentiel qui seront reflétées dans les représentations des navigateurs (cf partie 3). Elles sont dès lors représentatives de paysages marquants et de « merritoires ».

4.1.2.1. Aires de coups de vent et de vagues de 12 pieds

Ces zones restent globalement les mêmes selon les saisons mais l’intensité y est plus forte lors de l’hiver (Figure 28 et Figure 29). Dans l’Atlantique Nord, la pointe Sud Groenland et le Cap Farewell sont des zones rudes toute l’année, tout comme les latitudes au Nord de 45°N. Lors de l’hiver boréal, les conditions difficiles se situent au nord d’une ligne entre le Golfe de Gascogne et le Cap Hatteras.

Les coups de vents sont fréquents aux hautes latitudes de l’Atlantique Sud, notamment au sud d’une ligne entre les Falklands et le Cap de Bonne Espérance. La houle y est forte (Clarke, 2005, p.34). De décembre à février, soit l’été austral, les coups de vent d’Afrique du Sud et du Cap Horn sont moins fréquents.

Les forts vents reprennent de mars à mai et surtout de juin à août. De mars à mai la plupart des coups de vent touchent la zone au sud de 35°S et le Cap Horn. De juin à août, les vents

soufflent avec force au sud de 35°S, surtout au niveau de l’Afrique du Sud. Dans ces deux derniers cas les coups de vents sont rares respectivement au Nord de 30°S et au Nord de 25°S. De septembre à novembre, on assiste à une baisse des coups vents. Toutefois au Cap Horn, il y en a toujours 28% et souvent également au large de l’Afrique du Sud (Clarke, 2005).

Les vagues de 12 pieds peuvent atteindre les latitudes 25°N en hiver boréal et notamment une ligne entre le sud du Portugal et le cap Hatteras et les zones à 50°N sont davantage concernées (Islande, Terre Neuve, Groenland). Elles touchent également les grands bancs et le Cap Finisterre et sont en ce sens corrélées à la bathymétrie. Une zone caraïbe est également touchée toute l’année : le Nord de la Colombie à Baranquilla.

Enquêtés et autres navigateurs identifient ces zones dans leur découpage de l’Atlantique. Elles constituent des frontières, des aires évitées ou des aires paysagères identifiées.

4.1.2.2. Risque cyclonique dans l’Atlantique Nord tropical : principal rouage saisonnier pour toute traversée

Le risque cyclonique est certainement le paramètre fondamental à prendre en compte avant toute traversée de l’Atlantique Nord. A l’époque actuelle les navigateurs possèdent des moyens d’information et de communication leur conseillant la conduite à tenir pour s’en protéger et leur permettant de recevoir les prévisions météorologiques les avertissant du risque cyclonique.

Comme les cyclones se forment dans les conditions où la température de l’eau est élevée (26°C dans les 60 premiers mètres de profondeur), où la force de Coriolis est suffisamment importante et où il y a un centre dépressionnaire local (les ondes tropicales ou Eastern waves sont à ce titre situées entre 5 et 18° Nord), ils se trouvent donc au voisinage de la ZCIT quand celle-ci s’écarte de l’équateur car la force de Coriolis augmente et il y a une inversion d’air froid (Clarke 2005, Meteo France SHOM, 2003).

L’Atlantique Sud est épargné car la température de l’eau n’y est pas assez élevée (cf. figure 10 p. 49). L’Atlantique Nord, connaît une période de risques importants comprise entre juin et novembre. Les cyclones peuvent se former au niveau du Cap-Vert, alors en état de dépression tropicale, et se dirigent vers l’ouest à une vitesse de 10 à 20 noeuds puis évoluent du stade de dépression à celui de tempête tropicale et enfin à celui d’ouragans au fur et à mesure de leur avancée à l’ouest car ils s’alimentent sur l’océan (Tableau 4).

Tableau 4. De la dépression tropicale au cyclone

Nom Vent maximum Force maximum

Noeuds Km/h

Dépression tropicale < 34 63 Force 7 ou moins

Tempête tropicale 34-47 63-117 (Meteo France ne distingue pas de degrés de tempête tropicale) Force 8 ou 9

Tempête tropicale sévère 48-63 Force 10 ou 11

Cyclone 64 + 117+ Force 12

Source : Clarke (2005) et Meteo France SHOM (2003)

Les cyclones suivent donc une logique spatiale dépendant de la latitude et une logique temporelle liée aux saisons.

Les cyclones se trouvent pour la plupart entre 10 et 20°N (65%), puis entre 5 et 10°N (22%) et au nord de 20° (13%). En dessous de 5°N, ils sont rares (Météo France SHOM, 2003, p.69). Ils concernent donc principalement la zone des alizés, passage favori des navigateurs et arrivent surtout aux Antilles (Figure 30, Figure 31). Les cyclones remontent alors vers le Nord pour atteindre la Floride. Sur terre, ils perdent leur énergie car ils ne sont plus alimentés en eaux chaudes. Ils rejoignent parfois les latitudes tempérées avant de prendre une direction Est poussés par les grands flux d’ouest à 23°N, en contournant l’anticyclone. Dans ce cas, leur vitesse de déplacement s’accélère (20 à 30 nœuds) et ils agissent sur une zone plus importante mais leur intensité diminue. (Météo France SHOM, 2003, p.71). Les effets peuvent se faire sentir sur les côtes européennes, notamment avec la houle.

La fréquence des cyclones varie selon les années. Ainsi 2005 (Figure 30) est une année d’intense activité cyclonique. Les Petites Antilles, plus au sud, sont épargnées. Plus rares mais

existants, sont ceux qui touchent les Canaries, comme, Delta, en 2005, qui fit des ravages alors que de nombreux bateaux se préparaient à leur transatlantique.

Fig. 30. Cyclones en 2005

Source : http://www.nhc.noaa.gov/2005atlan.shtml Conception et Réalisation : C. Parrain/P.Brunello

Les cyclones, on l’a vu, nécessitent différents facteurs pour pouvoir se développer d’où des saisons à risques :

- Entre janvier et avril, les cyclones sont très rares. Avril est le seul mois où aucun cyclone n’a été enregistré. Le mois de mai constitue une transition avec le début de la saison des cyclones, sous la forme surtout de tempêtes tropicales.

- A partir du mois de juin, la probabilité augmente pour atteindre en septembre le pic cyclonique. Octobre et novembre restent une période cyclonique mais ils sont théoriquement moins nombreux157. Leurs lieux de formation ou itinéraires peuvent aussi changer en fonction des mois. En juillet, des Caraïbes, ils s’engagent vers le golfe du Mexique, le Texas puis suivent un trajet parallèle à la côte. En août, ils touchent l’ouest de la Floride jusque la côte

sud du Texas ou effectuent une boucle à l’Est de la Floride avec une direction Nord-Est parallèle à la côte atlantique des Etats-Unis. En octobre, ils se forment à l’ouest des Caraïbes et quelques-uns toucheront les Petites Antilles.

Fig. 31. Cyclones en 2008

Source : http://www.nhc.noaa.gov/2005atlan.shtml Conception et Réalisation : C. Parrain/P.Brunello

Si aujourd’hui les principaux risques et dégâts liés aux cyclones se situent à terre, avant 1790, 90% des pertes avaient lieu en mer (NOAA) en raison d’une part des lacunes en connaissances océanographiques et de l’absence de prévisions météorologiques, et d’autre part de la moindre densité humaine à terre. Néanmoins, on notera lors de la course au large de la Route du Rhum de 1986, la disparition d’Alain Colas lors de l’un de ces évènements climatiques extrêmes.

L’Atlantique est alors fragmenté : le risque cyclonique distingue bel et bien une région atlantique.

4.1.2.3. Le cheminement des courants atlantiques

Les différents courants sont des facteurs importants pour la navigation à voile. Leur vitesse et leur direction ne sont pas négligeables pour le marin. L’itinéraire ira avec ou à l’encontre des courants. De ce fait, ils sont aussi plus ou moins perçus par les navigateurs et également importants dans la distinction de zones atlantiques.

Sur la rive est de l’Atlantique Nord, le courant des Canaries est orienté nord-sud et s’ajoute donc à la propulsion du vent orienté dans la même direction.

Dans l’Atlantique Nord et l’Atlantique Sud, les alizés génèrent le courant nord équatorial, le courant sud équatorial et les courants subtropicaux. Le contre-courant équatorial (d’Ouest en Est) peut s’avérer être un frein. A l’ouest de l’Atlantique, le courant sud équatorial se subdivise en deux branches au niveau du Brésil. L’une dévie vers le nord et devient le courant des Antilles puis se dirige vers le Nord-Ouest et le Nord pour devenir en partie le Gulf Stream. Ainsi l’avantage que les navires peuvent tirer du Gulf Stream est connu depuis le XVIIIème siècle. Il fait gagner plusieurs nœuds de vitesse au navire et s’écoule comme une rivière (Figure 32).

Fig. 32. La « rivière » du Gulf Stream

Le courant Nord-Sud du Labrador longe les côtes d’Amérique du Nord et vient se confronter au Gulf Stream, zone réputée rude en termes de navigation.

Dans l’Atlantique Sud, l’autre branche du courant sud-équatorial s’oriente vers le Sud-Ouest et devient le courant du Brésil qui pourra entraver une navigation du sud vers le nord. Sur l’autre rive de l’Atlantique Sud, le courant de Benguela est orienté Nord-Ouest et longe la côte ouest de l’Afrique du Sud jusqu’à l’équateur de février à avril et seulement jusque 23°S d’août à octobre. A la limite sud de l’Afrique, le courant des Aiguilles pénètre dans l’Atlantique, s’étend jusque 100 milles au large et provoque des mers grosses et hachées. Les courants peuvent donc être avantageux ou s’avérer être un obstacle d’autant que certains charrient des glaces et provoquent une mauvaise visibilité.

4.1.2.4..Danger de la glace et visibilité : des barrières à la navigation

Les glaces sont un véritable danger pour les navigateurs bien que leur répartition théorique soit connue (Figures 28 p. 141 et 29 p. 143). Pour les navigateurs à voile du XXIème siècle, elles représentent une zone à éviter sauf dans le cas des expéditions et participent dès lors à la partition de l’Atlantique. Dans l’Arctique, elles peuvent descendre jusqu’au 48ème parallèle nord près des Bancs de Terre Neuve (Météo France SHOM, 2003, p.81). La variation interannuelle de la glace est importante et sa présence est plus fréquente d’avril à juin.

Toutefois, l’Antarctique diffuse davantage d’icebergs ou growlers158. Les glaces atteignent parfois 25°S même si elles se trouvent généralement au sud de 35°S (Clarke, 2005). Contrairement à l’Arctique, il n’y a aucune variation saisonnière.

La glace est certes un danger et elle peut aussi être présente dans des zones où la visibilité est moindre comme par exemple à Terre Neuve. L’Atlantique connaît en effet des zones où les brouillards sont des plus intenses (Figures 28 et 29). Dans l’Atlantique Nord, les zones les plus touchées sont le Groenland et le cap Farewell, le Labrador, Terre Neuve et les Grands Bancs ainsi que l’Islande, la Norvège, les îles britanniques et ceci toute l’année. On note toutefois des variations saisonnières (NGA, Pilot Charts, 2002) dans certaines régions.

- De décembre à février 10% des observations soulignent une visibilité inférieure à 2 milles pour l’Islande et le Groenland et plus de 20% pour le golfe du St Laurent, le Sud du Groenland et au Nord de 67°N.

- De mars à mai, les brouillards augmentent sur la zone notamment à Terre Neuve, aux Grands Bancs et à Georges Bank (20% des observations) et sont toujours fréquents au Groenland et à Belle Isle (Labrador) (20%). 10% d’observations font part d’une mauvaise visibilité au Nord

d’une ligne du Labrador au cap Farewell. Les mers du Nord et de l’Irlande sont également relevées.

- De juin à août, la mauvaise visibilité continue d’augmenter sur les Grands Bancs et Sable Island Banks (30 à 40%). La plus forte proportion de visibilité inférieure à 2 milles y a lieu en juillet avec 50% des observations. Le Cap Cod, le Labrador et le Sud Est du Groenland détiennent 20% et parfois 30% d’observations. Les îles britanniques sont toujours touchées avec 10%. Le mois d’août se caractérise par une baisse de fréquence et d’intensité des brouillards.

Les navigateurs doivent alors faire la part des choses : naviguer en été dans les zones normalement confrontées à des vents forts (ex ; Groenland) mais où les brouillards représentent alors le nouvel obstacle.

En ce qui concerne l’Atlantique Sud, la visibilité est surtout pauvre durant l’été austral dans les latitudes les plus méridionales. En décembre et février, la visibilité inférieure à 2 milles concerne une ligne au Sud du Cap Horn et des Falklands (10%) et au sud de 52°S et à l’est de 40°W (30%). Elle est également pauvre dans le golfe de Guinée. En été, les faibles visibilités le long de la côte africaine sont surtout liées au courant froid de Benguela (Clarke, 2005).

Ces observations permettent de bien identifier des zones particulières de l’océan Atlantique et d’appréhender leur spécificité saisonnière. Certains itinéraires se trouvent alors peu fréquentés voire en marge en raison du côté répulsif de certaines conditions météorologiques et des risques. L’analyse des itinéraires et des disparités spatiales induites est primordiale car la route constitue et relie les « merritoires ». Ainsi, il sera possible d’établir un premier découpage en fonction des zones de fréquentation sur lesquelles vont se greffer les systèmes de représentations et donc des « merritorialités ».

L’organisation des routes actuelles de la navigation à voile ne peut se comprendre sans faire référence à l’histoire. Il existe une continuité spatio-temporelle.

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