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Evaluer les routes prédominantes et les bassins de navigation hauturiers : la base spatiale du merritoire

OCÉAN ATLANTIQUE

3.2. Le territoire des activités humaines : comment appréhender le mobilis

3.2.1. Evaluer les routes prédominantes et les bassins de navigation hauturiers : la base spatiale du merritoire

Les lieux et territorialités du quotidien se définissent par des itinéraires (Di Méo, 2001, p.82) sur lesquels les représentations humanisent et socialisent l’espace (Di Méo et Buléon, 2005, p.12). Connaître les routes prédominantes et les zones de forte activité permet de déceler des zones plus ou moins fréquentées et de plus ou moins fortes densités sur lesquelles peuvent s’enclencher des processus territoriaux.

Pour la plaisance, la définition des bassins de navigation et de plaisance sous-entend cette idée (Bernard, 2000, 2005 ; Retière, 2002 ; Sonnic, 2004). Ewan Sonnic pose d’ailleurs clairement la question : « Le bassin de navigation : d’une pratique de l’espace de loisir à la

construction d’un territoire ? » (Sonnic, 2004, p.55) La première dénomination de bassin de

croisière ou de bassin de navigation a été définie par le Service d’Etude et d’Aménagement Touristique du Littoral (SEATL) au milieu des années 1960. Il s’agit d’une « zone côtière

accueillante de manière homogène, limitée à ses extrémités soit par un passage dangereux, soit par de longues distances sans abris, soit par un autre bassin de croisière présentant un

style différent (vent, mer, courants…) » (Bernard, 2000, p.75)130. Un abri est considéré comme

« tout lieu où le navire peut soit accoster soit mouiller en sécurité »131 . Nicolas Bernard a repris ce terme pour les définir comme étant des zones à forte activité de plaisance : « Le long

des côtes, des territoires se distinguent par l’intensité des activités de plaisance. On les nomme « bassins de navigation » (Bernard, 2005, p.25). Ils s’étendent jusqu’à 20 milles au

130 Cité par Bernard, N. (2000), Les ports de plaisance : équipements structurants de l’espace littoral, Paris : Ed. L’Harmattan, 126p. , p.75.

131http://www.mer.developpement-durable.gouv.fr/article.php3?id_article=7593

large et correspondent à l’espace de pratique privilégié des plaisanciers, à l’espace de sortie quotidienne. Parallèlement à cette notion de bassin de navigation, le bassin de plaisance englobe l’espace maritime, l’espace côtier et l’arrière-pays de la pratique (Retière, 2002). L’activité de plaisance pénètre en effet dans les terres et s’organise en flux (flux de personnes, flux de biens, etc.). Elle intègre donc l’arrière-pays, qui pourrait être comparé à un hinterland, contrairement au bassin de navigation qui ne correspond essentiellement qu’à l’espace de pratique. Ces deux termes suggèrent donc bien une identification liée à l’intensité de fréquentation, de parcours. Un autre découpage est effectué par M. Roux. Il se base essentiellement sur les conditions naturelles et la zonation des quartiers d’affaires maritimes : Mer du Nord et Manche Est (Dunkerque à Cherbourg), Manche Ouest et Ouest Bretagne (Saint-Malo au Guilvinec), Sud Bretagne, Vendée et Charente (Concarneau à La Rochelle), Sud Gascogne (Bordeaux à Bayonne), Lion (Port-Vendres à Sète) et Provence (Martigues à Ajaccio) (Roux, 1997, p.175).

Après avoir identifié les bassins de navigation, une deuxième étape consiste à dresser une typologie de ceux-ci. Pour comprendre leurs fonctionnements, Brice Trouillet et Brice Tonini132 analysent les catégories de navigation et les types de flottilles. Ils identifient sur la côte atlantique française des bassins isolés, agrégés et contigus (Trouillet, Tonini, 2005). Ces catégories de navigation offrent un bon aperçu des différents « seuils » de navigation et définissent la distance maximum autorisée par rapport à un abri. Les catégories de 1 à 6 correspondent respectivement à une navigation autorisée au-delà de 200 milles, jusqu’à 200 milles, 60 milles, 20 milles, 5 milles et 2 milles. Si les deux premières catégories ne présentent pas de limite, la catégorie 4 (60 milles) marque la rupture entre navigation côtière et hauturière. Ces catégories de navigation n’existent plus133mais on peut toutefois faire référence aux catégories d’embarcation. Les bateaux sont aussi limités par l’état de la mer et du vent.

132 Trouillet, B. et Tonini, B. (2005), « Les bassins de navigation : éléments d'une typologie. Étude sur la façade atlantique à partir de la réglementation », in Bernard, N. Le nautisme, acteurs pratiques et territoires, Rennes : Ed. PUR, 332p.

Les bateaux homologués CE, sont aussi classés en 4 catégories de A à D134 en fonction de leurs capacités à affronter certaines conditions (houle et vent) et de l’espace de navigation (Tableau 3). Leur définition reste floue.

Tableau 3. Classement des bateaux marqués CE

Catégorie A « en haute mer » Catégorie B « au large » Catégorie C « à proximité de la côte » Catégorie D « en eaux protégées » Type et espace de navigation

Grands voyages Au large des côtes A proximité des côtes, grandes baies, grands estuaires, lacs et rivieres Eaux côtières protégées ; petites baies, petits lacs, rivières et canaux

Vent Force 8+ Force 8 Force 6 Force 4

Houle 4m 4m 2m 0,5

Source : www.developpement-durable.org

Elles sont déterminées en fonction de l’aptitude d’un navire à résister à certaines conditions de navigation (houle et vent). Leurs dénominations soulignent également une distance par rapport à un type d’espace et à la côte mais ne se basent pas sur une limite clairement déterminée en nombre de milles. Les conditions météorologiques ne s’arrêtent pourtant pas à des espaces délimités. La haute mer et le large sont mentionnés au sein des catégories A et B alors que ces termes sont synonymes. Leur seule différence porte sur l’autosuffisance du navire pour de longs voyages (catégorie A « en haute mer »).

Cependant les catégories de navigation ne déterminent pas toujours les espaces de navigation C’est surtout valable pour le cas des catégories permettant d’aller au large. Le choix de l’espace de pratique dépend avant tout de la motivation de l’individu. En plus de ces catégories, il faut donc évaluer le type de navigation effectué : (côtière ou hauturière ou les deux) et tenir compte des types d’infrastructures d’accueil. L’ensemble de ces éléments permet d’identifier les différents types de bassins de navigation (Trouillet et Tonini, 2005). Les équipes GEOMER de Brest et AGÎLE de La Rochelle travaillent en ce sens et cherchent à évaluer la fréquentation de certaines zones géographiques. Les Glénans, le Bassin d’Arcachon et les Pertuis Charentais, entres autres, sont à l’étude. Il s’agit de mettre en évidence la fréquentation nautique, les types de pratiques et les logiques spatiales.

134 http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/marquage_ce_bateaux_plaisance_cle0da523-1.pdf

Les bassins de navigation sont majoritairement définis sur la mer côtière135. Leur étude porte souvent essentiellement sur l’évaluation de la fréquentation, des capacités, des types d’accueil et de la gestion. Le « matériel » est davantage souligné par rapport à « l’idéel ». Or pour avoir formation d’un territoire il faut la combinaison de ces deux éléments (Di Méo et Buléon, 2005).

Sur l’espace hauturier, il existe pourtant des routes privilégiées qui s’inscrivent dans un cadre spatio-temporel : des zones sont fréquentées ou délaissées en permanence ou selon des saisons. Comme pour les territoires nomades, le territoire de la navigation est animé de

« mouvements linéaires, essentiellement méridiens, saisonniers (concentration ou dispersion) ou conjoncturels, sources de discontinuité spatio-temporelle et de gestions territoriales successives »136.

Les nombres de traversées et de passages au sein des archipels jouant le rôle d’escale doivent être évalués. Ce sont sur ces itinéraires hauturiers qu’il faut déceler si se greffent des représentations et si se crée une familiarisation basée sur la reconnaissance des lieux, leur dénomination ainsi que sur les signes en mer. La route est parfois qualifiée de no man’s land « Temps hors du temps qui marque surtout la discontinuité majeure séparant deux territoires

essentiels de vie (…) »137. L’itinéraire serait-il alors exclu de toute formation socio-spatiale ? Inséré dans une autre dimension spatio-temporelle, l’itinéraire hauturier permet d’analyser un autre rapport à l’espace. Le but est de savoir si l’itinéraire est placé au coeur des considérations socio-spatiales ou s’il est éclipsé par rapport aux deux points que sont l’arrivée et le départ qui constitueraient dès lors les seuls centres et territorialités. Dans la culture mélanésienne, comme souligné précédemment, ce sont les « routes qui font les lieux ». Pour les populations mobiles, la considération de la distance est donc plus importante que l’aire. La route est un « territoire-errant » (Bonnemaison, 1996, p.519) et est primordiale dans la construction de la territorialité des Mélanésiens. Il reste à comprendre quelle est la place de l’itinéraire pour une autre culture mobile, celle des navigateurs hauturiers. L’itinéraire étant un déplacement, la « merritorialité » est-elle éphémère, une « merritorialité » de passage? Ou existe-t-il une continuité historique inscrivant les routes dans les représentations collectives?

135 Seuls C. Prioul et J. Lageiste se sont intéressés à une analyse hauturière.

Prioul, C. (1998), « Aires de vent sur l’Atlantique » in Marrou L. et Miossec (dir.) (1998) p.129-142.

Lageiste, J. (2005), « La circumnavigation de plaisance : voyage d’aventure, source de représentation et modèle

de loisir » in Bernard, N. (coord.), (2005), p.61-72.

136 Frérot, A.-M. (1999) « Territoires nomades en devenir. Questions à propos de l’urbanisation d’un espace nomade » in Bonnemaison, L. Cambrézy, L. Quinty-Bourgeois, Le territoire : lien ou frontière ? La Nation et le

territoire, tome 2. p.113-123, p.

L’itinéraire est linéaire et discontinu et fait partie d’une réalité tant matérielle que métaphorique138. Le pratiquant est en effet en position d’acteur mais aussi d’observateur dans la mesure où il découvre différents paysages. Le navigateur étant en relation avec son environnement, le trajet devient trajection c'est-à-dire une « combinaison médiale et

historique du subjectif et de l’objectif, du physique et du phénoménal, de l’écologique et du symbolique, produisant une médiance » (Berque, 1991, p.48). Les paysages font partie

intégrante de l’analyse du territoire et de la territorialité. « Ainsi, dans le creuset de

territorialités jouant avec plusieurs échelles de territoires, les éléments paysagers correspondent à de véritables médiations symboliques. Ils arriment les individus à leurs espaces vécus. Ils forment bien ce lien sensible, émotionnel, affectif, tendu entre le sujet, l’acteur, les groupes sociaux et les territoires : un lien que tisse la territorialité de chacun. »

(Di Méo et Buléon, 2005, p.38).

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