• Aucun résultat trouvé

3.   Observations développementales

3.4.   Observations méthodologiques

variables a été observée en anglais (langue germanique, fonction déictique possible), mais pas en français (langue romane, fonction déictique impossible). Cette asymétrie entre les pronoms variables et non variables en anglais a été appelée « Quantificational Asymetry » (QA). Elle a cependant été récemment remise en question par plusieurs auteurs tels que Elbourne (2005) et Conroy, Takahashi, Lidz et Phillips (2009) (voir sous-chapitre 3.4.)

3.4. Observations méthodologiques

 

L’asymétrie dans les performances en compréhension entre les réflexifs et les pronoms dans les langues germaniques a toujours soulevé de nombreux questionnements. Certains auteurs se sont penchés sur les aspects méthodologiques ou extra-linguistiques pouvant intervenir dans ces performances. Bloom et al. (1994) considèrent que lors des tâches expérimentales, les enfants n’agiraient pas toujours en accord avec leurs connaissances linguistiques à cause de facteurs tels que les biais de réponses (aspects méthodologiques) ou une attention limitée (aspects extra-linguistiques). La méthodologie utilisée lors des expériences peut en effet influencer les performances observées à différents niveaux : Type de tâche : On peut distinguer deux types de tâches : les tâches on-line, qui mesurent un processus en temps réel (e.g., eye-tracking24) et les tâches off-line, ou tâches comportementales, qui mesurent un comportement et donc un processus déjà complet.

Bergmann et al. (2012) ont évalué l’impact de la tâche lors de l’évaluation de la compréhension des pronoms, en comparant une tâche comportementale (sélection d’images) et une tâche on-line (eye-tracking). Les résultats de la tâche d’eye-­tracking montraient une capacité émergente de compréhension correcte des pronoms à 4 ans.

Cependant, dans la tâche comportementale, les auteurs n’ont pas trouvé d’indication de cette différence concernant la compréhension des pronoms entre les deux groupes d’âge (3 ans vs. 4 ans) : les enfants de 4 ans montraient les mêmes performances concernant les pronoms par rapport aux enfants de 3 ans. Concernant les réflexifs, les enfants de 4 ans montraient de meilleures performances (aux alentours des 80%) que les enfants de 3 ans (aux alentours des 60%). Cette différence de performance entre réflexifs et pronoms dans la tâche comportementale réplique les résultats d’études précédentes. Les auteurs ont également relevé différents biais dans la tâche comportementale : un biais lié au côté de présentation de la carte pour les 3 ans, un biais de préférence pour une image représentant une action sur soi-même pour les 4 ans. Ces biais ont été interprétés par les auteurs comme une indication de la difficulté de la tâche : les enfants adoptent alors des stratégies de réponse. Les auteurs concluent que ces résultats suggèrent que l’asymétrie entre la

                                                                                                               

24

 

Dans une procédure d’eye-tracking, une caméra suit le mouvement des yeux sur l’écran, en mesurant de temps de fixation sur des subdivisions de l’écran établies auparavant.  

 

compréhension des pronoms et celle des réflexifs est moins grande que supposée, les enfants montrant une capacité émergente de compréhension des pronoms à 4 ans dans la tâche on-line. Ces données récoltées dans la tâche on-line sont de plus congruentes avec les données concernant la production des pronoms, qui est comparable à la production adulte dès 4 ans.  

Procédure : Ainsi que relevé par Bergmann et al. (2012) lors de leur expérience, les enfants montrent divers biais de réponses lors d’une tâche de sélection d’image. La procédure peut ainsi influencer les réponses observées en favorisant certaines réponses.

Chien et Wexler (1990) avaient également remarqué, lors de leur expérience, une influence de la procédure sur les performances observées. En effet, les enfants les plus jeunes (2;6 – 3;6 ans) montraient une tendance à lier erronément le réflexif à un antécédent non local lors de tâches de type « Jacques a dit »25. Ils ont alors envisagé la possibilité que ces réponses puissent découler d’une tendance de l’enfant à pointer plus la marionnette que lui-même. Ils ont donc effectué une autre expérience avec une tâche où l’enfant devait donner des jouets soit à la marionnette soit à lui-même et ont trouvé que la tendance des enfants les plus jeunes à lier erronément le réflexif avec un référent non local disparaissait.

Matériel : Le matériel utilisé peut également influencer les réponses des enfants. Elbourne (2005), a passé en revue dans son article diverses études montrant une asymétrie entre pronoms variables et non variables (QA) en anglais. Dans ces études, le scénario introduisant les phrases tests (lors de tâche de jugement de vérité) ou le matériel visuel utilisé (dans l’expérience de Chien et Wexler, 1990) montrent une saillance plus grande d’un des personnages (potentiel antécédent), pouvant expliquer les réponses observées des enfants.

C’est cette réflexion qui sous-tend également le travail de Conroy et al. (2009). En effet, ces auteurs relèvent que dans les tâches de jugement de vérité une attention particulière doit être portée sur la saillance et la plausibilité des interprétations possibles des phrases présentées. Des informations du niveau discursif peuvent expliquer les performances observées au niveau syntaxique, sur l’interprétation des phrases contenant des pronoms : l’histoire introduisant les phrases tests peut favoriser une des deux interprétations possibles du pronom (1- suivant le principe de liage B vs. 2- cohérente avec une fonction déictique du pronom). Les auteurs ont donc prêté une attention particulière à ce que les histoires introduisant les phrases tests permettent la même saillance et la même plausibilité de chaque interprétation. Dans les deux expériences utilisant ce matériel, les auteurs n’ont trouvé aucune preuve d’un délai du principe B (les enfants rejetaient correctement un lien entre un antécédent local et un pronom) ou de l’asymétrie QA (pas de différence de performance entre pronoms variables et non variables). Pourtant, quand les défauts

                                                                                                               

25

 

Dans une phrase de type « La marionnette a dit que l’enfant devait se pointer », l’enfant pointait erronément la marionnette.

 

méthodologiques26 étaient réintroduits, le délai du principe B ainsi que l’asymétrie QA trouvés dans les études présentées précédemment étaient répliqués. Pour les auteurs, les études antérieures montrant un délai du principe B « laissent la place à des explications extra-­‐grammaticales [i.e. : biais méthodologique, explications pragmatiques], et une fois ces facteurs extra-­‐grammaticaux enlevés, les enfants préscolaires montrent peu d’évidences d’un déficit de connaissance du principe B » (p. 481).

En parallèle de ces facteurs méthodologiques, d’autres facteurs tels que les fonctions exécutives (mémoire de travail, attention) ont également une influence sur les réponses observées chez les enfants. Clackson et al. (2011) ont montré dans leur étude que des facteurs tels que la présence d’un antécédent compétiteur (antécédent étant un potentiel référent pour le pronom), correspondant ou non au genre de l’antécédent cible, influence les réponses on-line. En effet, lorsque les indices de genre supportaient l’antécédent

« compétiteur » (i.e. : les deux antécédents étaient du même genre), les enfants montraient une interférence durant le processus on-line. Les auteurs concluent que les décisions référentielles des enfants sont dirigées par les principes de liage, mais également affectées par les informations du niveau discursif. Ils suggèrent que les différences entre les performances des adultes et celles des enfants viennent « de la plus grande difficulté pour les enfants, en comparaison aux adultes, à contrôler de multiples sources d’informations durant la compréhension de phrases » (p. 128).

De ces observations a découlé une adaptation de la méthodologie utilisée lors de cette recherche de mémoire à la population de très jeunes enfants testés (28-32 mois), afin que les résultats reflètent au plus près leurs réelles compétences syntaxiques (voir partie expérimentale). Une attention particulière a été portée aux biais potentiels de réponse, à la fois en contrôlant le matériel mais également en menant des analyses supplémentaires concernant les résultats (voir partie expérimentale et discussion).

                                                                                                               

26

 

Structuration de l’histoire de laquelle découle une inégalité de saillance ou de plausibilité entre les différentes interprétations du pronom.