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Discussion des hypothèses théoriques et opérationnelles

Avant de confronter les hypothèses opérationnelles aux performances observées, il est important de remarquer que les résultats concernant les SN simples de notre étude divergent par rapport aux données de la littérature. En effet, dans notre étude, les performances des enfants sur les SN simples sont meilleures pour les pronoms que pour les réflexifs, alors que de nombreuses études, telles que celles de Jakubowicz (1989) et Zesiger et al. (2010) mettent en avant de meilleures performances pour les réflexifs par rapport aux pronoms chez les jeunes enfants de langue maternelle française (3 – 3;5 ans).

En se penchant sur les données, il apparaît que la performance dans la condition SN simple, réflexif n’est que marginalement significativement au-delà de la chance (66%, p = 0.055), alors que dans la condition SN simple, pronom, cette performance est significativement au-delà de la chance (70%, p = 0.004). Cependant, la variable Type de pronom a été manipulée de manière inter-sujet ; 8 enfants ont passé l’expérience avec des stimuli contenant des réflexifs et 11 avec des stimuli contenant des pronoms. Il est possible qu’avec un nombre équivalent d’enfants dans ces deux conditions (SN simple, réflexif et SN simple, pronom), les performances dans la condition SN simple, réflexif soient significativement

au-delà de la chance. Les données seraient alors moins contraires à la littérature existante, dans laquelle les jeunes enfants montrent de bonnes performances avec les réflexifs.

9.1. Hypothèse de maitrise de la c-commande et des principes de liage Cette hypothèse considère que les enfants ont une représentation abstraite de la c-commande et interprètent les pronoms en vertu des principes de grammaire. Son hypothèse opérationnelle prédit des performances au-delà du niveau de la chance pour toutes les représentent syntaxiquement la relation entre le réflexif ou le pronom et l’antécédent.

9.1.1. Méconnaissance des principes de liage

Une hypothèse de réponse à cette question postule que les enfants ont une représentation abstraite de la c-commande mais méconnaissent les principes de liage. On s’attend alors à ce qu’ils commettent des erreurs de liage en liant le réflexif ou le pronom au mauvais antécédent (i.e. : lier le pronom à un antécédent le c-commandant et lier le réflexif à un antécédent ne le c-commandant pas).

Lorsqu’on étudie les performances dans la condition réflexif, distracteur lexical, il apparaît que les enfants commettent des erreurs de liage. En effet, dans cette condition, les enfants entendent un stimulus auditif de type « Le papy de Thomas se lave ». Dans cette phrase, deux antécédents potentiels au réflexif sont présents : l’antécédent correct est [le papy de Thomas] et l’antécédent interférent est [Thomas]. Si les enfants commettent une erreur de liage, on s’attend à ce qu’ils lient le réflexif à l’antécédent interférent. Pour comprendre les deux interprétations possibles de cette phrase (antécédent correct vs. antécédent interférent), il est nécessaire de présenter la façon dont les linguistes écriraient cette phrase sous forme non substituée : [le papy de Thomas] lave [le papy de Thomas]. La phrase non substituée contenant l’antécédent interférent donnerait alors [le papy de Thomas] lave [Thomas]. Dans la condition réflexif, distracteur lexical, les deux vidéos présentées sont toutes les deux cohérentes avec une des deux interprétations possibles de la phrase présentée (grammaticale « Le papy se lave » vs. avec erreur de liage « Le papy lave Thomas »). Or, dans cette condition, les enfants présentent des performances aléatoires. Ils commettent donc des erreurs de liage dans la moitié des cas pour les réflexifs. Il faut alors regarder la condition distracteur lexical de la modalité pronom, afin de déterminer si les enfants commettent également ce type d’erreurs avec les pronoms. Dans cette condition, les enfants entendent un stimulus auditif de type « Le papy de Thomas le lave ». Ici,

l’antécédent correct est [Thomas] et l’antécédent interférent est [le papy de Thomas]. Si les enfants commettent une erreur de liage, on s’attend à ce qu’ils lient le pronom à l’antécédent interférent : [le papy de Thomas] lave [le papy de Thomas]. Dans la condition pronom, distracteur lexical, les deux vidéos présentées sont toutes les deux cohérentes avec une des deux interprétations possibles de la phrase présentée (grammaticale « Le papy lave Thomas » vs. avec erreur de liage « Le papy se lave »). Or, à l’inverse des réflexifs, dans cette condition les enfants présentent des performances marginalement significativement au-delà du niveau de la chance. Ils lient donc souvent le pronom à l’antécédent correct.

Les enfants commettent donc des erreurs de liage dans le cas des réflexifs mais lient souvent correctement le pronom. Ces erreurs surviennent de façon différentielle entre les réflexifs et les pronoms, sans raison théorique expliquant cette différence de comportement, ce qui ne permet pas une explication cohérente des performances observées.

9.1.2. Représentation syntaxique partielle

Une autre hypothèse de réponse à la question de la représentation de la relation entre le réflexif/le pronom et l’antécédent postule que la représentation syntaxique des enfants est partielle, dans le sens où les enfants construisent l’arbre syntaxique localement autour du verbe. Le SN précédant directement le verbe est alors considéré comme son sujet et le premier SN n’est pas inclus dans cet arbre syntaxique. Ces erreurs peuvent être appelées des erreurs de cohérence locale.

En observant les performances dans la condition pronom, distracteur syntaxique, il apparaît que les enfants commettent des erreurs de cohérence locale. En effet, dans cette condition, les enfants entendent un stimulus auditif de type « Le papy de Thomas le lave ». Si les enfants commettent une erreur de cohérence locale, on s’attend à ce qu’ils construisent l’arbre syntaxique localement autour du verbe ; la phrase « Le papy de Thomas le lave » serait donc interprétée comme « Thomas le lave ». Dans la condition pronom, distracteur syntaxique, les deux vidéos présentées sont toutes les deux cohérentes avec une des deux interprétations possibles de la phrase présentée (grammaticale « Le papy lave Thomas » vs.

avec erreur de cohérence locale « Thomas lave le papy »). Or, dans cette condition, les enfants présentent des performances au niveau de la chance. Ils commettent donc des erreurs de cohérence locale dans la moitié des cas pour les pronoms.

Il faut à présent regarder la condition réflexif, distracteur syntaxique, afin de déterminer si les enfants commettent également ce type d’erreur avec les réflexifs. Dans cette condition, les enfants entendent un stimulus auditif de type « Le papy de Thomas se lave ». Dans le cas d’une erreur de cohérence locale, la phrase « Le papy de Thomas se lave » serait donc interprétée comme « Thomas se lave ». Dans la condition réflexif, distracteur syntaxique, les deux vidéos présentées sont toutes les deux cohérentes avec une des deux interprétations possibles de la phrase présentée (grammaticale « Le papy se lave » vs. avec erreur de cohérence locale « Thomas se lave »). Or, dans cette condition, les enfants présentent des

performances largement au-dessus du niveau de la chance (94% de réponses correctes). Ils considèrent donc quasiment systématiquement le SN complexe dans son entier lors de l’interprétation des phrases contenant un réflexif.

Les erreurs de cohérence locale n’apparaissent donc que dans le cas des pronoms et non dans celui des réflexifs, sans qu’une raison théorique puisse expliquer cette différence.

Cette explication ne permet donc pas de rendre compte de manière cohérente des résultats observés.

 

9.2. Stratégies d’interprétations

9.2.1. Stratégie d’interprétation lexicale

Dans l’hypothèse de stratégie d’interprétation lexicale, les enfants se basent sur l’interprétation lexicale du réflexif ou du pronom (en terme d’action réflexive vs. causative).

Le distracteur lexical illustre une action différente à celle de l’image cible, au contraire du distracteur syntaxique, où l’action distractrice est la même que l’action cible. Cette hypothèse prédit donc des performances au-dessus du niveau de la chance pour les conditions distracteur lexical, pronom et distracteur lexical, réflexif. Or, les performances dans ces conditions ne sont que marginalement significativement au-delà du niveau de la chance dans le cas des pronoms (65 %) et sont aléatoires dans le cas des réflexifs (63 %).

Elle prédit également des performances au niveau de la chance pour les conditions distracteur syntaxique, pronom et distracteur syntaxique, réflexif. Or, les performances dans la condition distracteur syntaxique, réflexif est largement au-delà du niveau de la chance (94 %).

Cette hypothèse ne rend donc pas compte des résultats observés.

9.2.2. Stratégie d’interprétation par l’agent

Dans l’hypothèse de stratégie d’interprétation par l’agent, le premier SN de la phrase est considéré comme l’agent de l’action, sans tenir compte du pronom. Le distracteur syntaxique illustre une action dont l’agent est différent de celui de l’image cible, au contraire du distracteur lexical, où l’agent de l’action distractrice est le même que celui de l’action cible. Cette hypothèse prédit donc que les enfants auront de meilleures performances lorsque le distracteur est syntaxique.

Les résultats montrent une interaction significative entre la variable type de distracteur et le type de pronom. Les performances des enfants sont nettement meilleures dans la condition distracteur syntaxique par rapport à la condition distracteur lexical pour les réflexifs, mais pour les pronoms, le pattern est inversé.

Ainsi, cette stratégie ne peut pas expliquer les performances au-delà de la chance dans la condition pronom « le », distracteur syntaxique, car les deux actions présentées sont effectuées par le même agent. Elle ne peut pas non plus expliquer les performances

aléatoires dans la condition pronom « le », distracteur lexical, car alors les deux actions présentées sont effectuées par deux agents différents.

Cette stratégie d’interprétation ne peut donc expliquer que les performances observées sur les réflexifs. Or, il n’y a aucune raison pour laquelle les enfants appliqueraient cette stratégie uniquement pour les réflexifs et non pour les pronoms. Cette explication ne peut pas être retenue car elle ne permet pas de rendre compte de tous les résultats observés.

 

9.3. Complexité de l’événement

Dans les sous-chapitres précédents, diverses hypothèses ont été confrontées aux résultats observés. Cependant, aucune de ces hypothèses ne permet de rendre compte de l’entièreté des résultats.

En reprenant les données récoltées dans le cas des SN complexes, une valeur ressort : 94 % de réponses correctes dans la condition réflexif, distracteur syntaxique. Dans cette condition, où les deux vidéos présentées contiennent une action réflexive, les enfants ne commettent quasiment pas d’erreurs dans le choix de la vidéo. Au contraire, dans la condition pronom, distracteur syntaxique, où les deux vidéos présentées contiennent une action causative, les enfants sont au niveau de la chance (50 %). Un autre facteur nous a alors paru pertinent à envisager : la complexité de l’événement présenté dans les vidéos. En effet, dans la condition pronom, distracteur syntaxique, les deux vidéos illustrent la même action réversible ; ce qui les différencie est l’inversion des rôles thématiques (celui qui était l’agent devient le patient et vice-versa). De plus, les vidéos illustrant des actions causatives impliquent les deux personnages, alors que dans les vidéos avec des actions réflexives, le deuxième personnage n’a aucun rôle à jouer dans l’événement. Ainsi, les actions causatives sont plus complexes à traiter que les actions réflexives.

Cette hypothèse prédit de meilleures performances lorsque les deux vidéos présentées illustrent des actions réflexives par rapport aux performances lorsque les vidéos illustrent une action causative et une action réflexive ; ces dernières étant meilleures que les performances lorsque les deux vidéos illustrent des actions causatives. Ainsi que présenté dans le paragraphe précédent, dans la condition réflexif, distracteur syntaxique (deux actions réflexives), les performances sont de 94 % et dans la condition pronom, distracteur syntaxique (deux actions causatives), les performances sont de 50 %. Dans les conditions réflexif, distracteur lexical et pronom, distracteur lexical, illustrant dans les deux cas une action réflexive et une action causative, les performances sont respectivement de 63 % et 65 %. De plus, les résultats observés dans la condition SN simple (illustrant également une

action réflexive et une action causative) sont de 66 % pour les réflexifs et 70 % pour les pronoms45.

Les résultats vont donc dans le sens de l’influence de la complexité de l’événement (complexité liée à la présence d’une action causative) dans les performances observées des enfants.