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L’objectif de cette recherche est d’étudier chez le très jeune enfant la représentation d’une propriété abstraite de la structure hiérarchique, la c-commande, par le biais de son rôle dans les principes de liage A (réflexifs) et B (pronoms).

Notre étude est la première à explorer la c-commande chez des enfants de 30 mois. En effet, Lukyanenko et al. (2008) ont également étudié la contrainte de c-commande opérant sur le principe C chez des enfants de 30 mois ; cependant, dans leur expérience, les phrases tests ne contenaient qu’un seul syntagme nominal pouvant être un antécédent au pronom. On ne peut alors exclure la possibilité que leurs bonnes performances soient dues à l’application d’une stratégie de type « Le réflexif est lié à un SN dans la phrase mais pas le pronom », sans référence à la notion de c-commande. Pour tester cette dernière, il faut donc avoir deux référents potentiels au réflexif/pronom dans les stimuli présentés.

Certaines expériences (telles que Jakubowicz, 1989 ; Wexler & Chien, 1985) utilisent un matériel contenant deux référents potentiels. Elles ont cependant testé des enfants plus âgés.

La structure des stimuli dans notre recherche comporte donc deux types de syntagmes nominaux (SN) : des SN simples et des SN complexes. Dans ces derniers, le syntagme nominal est modifié par un syntagme prépositionnel (e.g., le papy de Thomas). Ce type de SN comporte deux antécédents disponibles : « le papy » et « Thomas », mais un seul remplit les conditions des principes A ou B. Il est alors nécessaire de connaître la propriété de c-commande et de maitriser les principes de liage pour lier correctement le pronom ou le réflexif. Les arbres syntaxiques sous-tendant les phrases contenant des SN complexes sont présentés ci-après.

Dans l’exemple (13), le principe A définit que le réflexif « se » doit être lié à un antécédent le c-commandant dans son domaine local et:

- « Thomas » se situe trop bas dans l’arbre syntaxique pour c-commander le réflexif.

- « Le papy » c-commande le réflexif.

« Le papy » est donc le seul antécédent pouvant être lié au réflexif « se ».

Quant à l’exemple (14), le principe B définit que le pronom « le » ne peut pas être lié à un antécédent le c-commandant dans son domaine local et:

- « Thomas » ne c-commande pas le pronom.

- « Le papy » c-commande le pronom.

« Thomas » est donc le seul référent possible pour le pronom.

L’interprétation par les enfants de phrases contenant des antécédents complexes est donc très riche d’informations quant à leur connaissance des principes de liage.

(13) Le papy de Thomas se lave. (14) Le papy de Thomas le lave.

Ces stimuli ont déjà été utilisés dans une étude menée récemment par Villata, Lassotta, Panizza et Franck (en préparation). Cette première étude, qui utilisait un paradigme de regard préférentiel par mesure du temps de regard (eye-tracking), n’a pas montré de connaissance des principes de liage chez les enfants. Cependant, elle comportait quelques imperfections au niveau du matériel, auxquels cette nouvelle étude a remédié.

En effet, les SN présentés lors de cette tâche n’étaient que des SN complexes. L’absence de SN simples implique qu’aucune vérification de la connaissance lexicale des pronoms et des réflexifs n’était effectuée.

De plus, notre étude amène une autre variable : le type de distracteur ; ceci dans le but de faire émerger des observations nous permettant d’infirmer ou de corroborer des hypothèses concernant le fonctionnement syntaxique des enfants (voir chapitre 6). Deux types de distracteurs, lexical et syntaxique, ont été introduits, reflétant deux erreurs possibles dans l’interprétation des réflexifs ou des pronoms. Les distracteurs lexicaux permettent de mettre en avant des erreurs lexicales, en terme d’action causative vs. réflexive (voir partie expérimentale, sous-chapitre 7.3). Les distracteurs syntaxiques, quant à eux, permettent de mettre en avant des erreurs de liage (syntaxique) du pronom ou du réflexif (voir partie expérimentale, sous-chapitre 7.3).

Cette variable n’était pas présente dans la première étude menée par Villata et al. (en préparation). Les distracteurs étaient toujours lexicaux. Il était donc impossible d’exclure que les enfants réussissent à répondre à la tâche non pas parce qu’ils maitrisent la c-commande et les principes de liage, mais parce qu’ils utilisent leur connaissance lexicale des réflexifs et des pronoms pour interpréter les phrases.

Une dernière modification concernant le matériel a été apportée par l’introduction d’items de contrôle des personnages et d’items de remplissage, permettant – entre autres – de s’assurer de l’attention de l’enfant (voir partie expérimentale, sous-chapitre 7.3).

Pour finir, nous avons également changé la procédure de test par rapport à cette première étude. Nous avons introduit un jeu avec une marionnette afin de donner un but à la réponse de l’enfant et donc de le motiver à répondre le plus correctement possible (voir partie expérimentale, sous-chapitre 7.4). Cependant, cette procédure ne pouvait être menée avec une tâche de regard préférentiel, car il serait difficile de garder le regard des enfants uniquement sur l’écran (sans regard à la marionnette ou à l’expérimentateur). Nous avons donc décidé de tester la compréhension des principes de liage par une tâche dérivée du paradigme du regard préférentiel dans laquelle la mesure du regard a été remplacée par une mesure de pointage. Cette procédure a été également utilisée de façon fiable avec des enfants de 23 mois par Bernal, Lidz, Millotte & Christophe (2007). De plus, une mesure de pointage (mesurant l’interprétation) est moins sensible qu’une mesure de regard préférentiel (mesurant la préférence) à des biais tels que la préférence des enfants à regarder des actions causatives.