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3.   Observations développementales

3.2.   Développement des principes de liage : observations inter-linguistiques

3.2.2.   Langues romanes

vs. « réflexive »), au contraire de celui des enfants haut vocabulaire. Les résultats en séparant les deux groupes sont présentés dans la figure 6.

Figure 6

Proportion de regards de la vidéo non réflexive (e.g., Anna tapote Katie) en fonction de la phase et du type de phrase : « Principle C » = « principe C » ; « Reflexive » = « réflexive ».

Séparation entre les enfants bas vocabulaire (low vocabulary) et haut vocabulaire (high vocabulary).

Image extraite de l’article de Lukyanenko et al. (2008), p.27.

Les enfants haut vocabulaire regardaient significativement plus souvent la vidéo non réflexive durant la phase d’appariement des phrases de la condition « principe C » par rapport à la phase de saillance, et significativement moins souvent durant la phase d’appariement des phrases de la condition « réflexive » par rapport à la phase de saillance.

Ce pattern n’a pas été retrouvé chez les enfants bas vocabulaire, qui ne montraient pas de différence significative dans les proportions de regard entre la phase d’appariement et la phase de saillance.

Les auteurs concluent que 30 mois est approximativement la limite inférieure d’âge auquel les enfants montrent une connaissance du principe C, et que cette limite inférieure est fonction du développement linguistique.

3.2.2. Langues romanes

 

Concernant les langues romanes, les résultats trouvés dans les études menées avec des enfants de ce groupe de langues contrastent avec les résultats des enfants de langue germanique. Les études présentées ici ont été menées en français, mais des résultats semblables ont été trouvés également dans d’autres langues romanes (e.g : McKee, 1992, en italien).

Dans cette section sera principalement détaillée l’expérience menée par Jakubowicz (1989) avec des enfants entre 3;0 et 7;5 ans de langue maternelle française. Elle consistait en deux tâches : une tâche d’appariement phrase - image et une tâche de production induite.

Lors de la tâche d’appariement, les enfants entendaient une phrase de type « ANounours dit que Kiki se lave » (réflexif) ou « BNounours dit que Kiki le peigne » (pronom). Ils devaient alors choisir une image parmi trois (voir figure 7, image (a) : AKiki se lave et figure 8, image (a) : BKiki peigne Nounours). La première image distractrice présentait les personnages exécutant une action inverse (causative vs. réflexive) à l’action de la phrase test (voir figure 7, image (b) : AKiki lave Nounours et figure 8, image (b) : BKiki se peigne).

Pour la deuxième image distractrice, Jakubowicz a introduit deux variantes de distracteurs : soit une image où le réflexif/pronom était lié au mauvais antécédent (voir figure 7, image (c) : ANounours se lave ou e.g., BNounours peigne Kiki), soit une image où un des personnages ne correspondait pas à ceux cités dans la phrase (voir figure 8, image (c) :

BKiki peigne Stroumpfette).

Figure 7

Exemple d’image cible (a) et d’images distractrices (b), (c) pour une phrase test contenant un réflexif dans l’expérience de Jakubowicz (1989).

Figure 8

Exemple d’image cible (a) et d’images distractrices (b), (c) pour une phrase test contenant un pronom dans l’expérience de Jakubowicz (1989).

Concernant cette tâche d’appariement phrase – image, l’auteur rapporte que les résultats montraient pour tous les enfants une interprétation correcte des phrases contenant un réflexif, alors que des erreurs étaient produites à tout âge sur l’interprétation des phrases avec les pronoms (voir figure 9).

Figure 9

Pourcentage de réponses correctes pour les réflexifs (blanc) et les pronoms (gris) en fonction de l’âge (figure extraite de Jakubowicz, 1989).

L’auteur note également une différence inter-âge concernant la fréquence et la nature des erreurs. En effet, les enfants les plus jeunes (3 - 3;5 ans) donnaient significativement plus de réponses correctes pour les réflexifs que pour les pronoms (p < 0.000518), alors que pour les enfants plus âgés la significativité n’était que de p < 0.02. De plus, l’auteur constate que les erreurs sur les pronoms commises par les enfants les plus jeunes concernaient le liage (lier le pronom au mauvais antécédent) : par exemple, choisir l’image (b) de la figure 8. Au contraire, les enfants plus âgés interprétaient presque toujours le pronom selon le principe B ; les erreurs de ces derniers concernaient plutôt le renversement de la relation sujet-objet de la phrase. Etant donné que « la différence de pourcentage de réponses correctes était significative entre les deux premiers groupes d’âge mais pas entre les autres groupes d’âge », Jakubowicz conclut que « un changement développemental dans l’interprétation des phrases avec pronoms se produit en moyenne entre 3;4 et 3;9 ans » jeunes (3;0 – 3;5 ans) produisaient environ 80% de phrases correctes contenant un réflexif tandis que les plus âgés (6;0 – 7;5 ans) en produisaient 100%. Un grand nombre d’erreurs concernant les phrases contenant des réflexifs étaient des erreurs de genre du pronom sujet (« i » ou « il » au lieu de « elle »).

Quant à la production des phrases contenant des pronoms, elle se situait au niveau de la chance pour les enfants les plus jeunes. Le pourcentage de réponses correctes augmentait avec l’âge, mais seuls les plus âgés montraient 100% de phrases correctes (voir tableau I).

Tableau I

Pourcentage de réponses correctes pour les phrases contenant des pronoms dans la tâche de production induite (Données extraites de Jakubowicz, 1989, p.5).

3;0 – 3;5 ans 3;6 – 4;0 ans 5;0 – 6;0 ans 6;0 – 7;5 ans

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Valeur extraite de Jakubowicz, 1989, p. 4.

erreurs de genre du pronom – le / la – ou du pronom sujet – il / elle). Les erreurs concernant l’utilisation du réflexif au lieu du pronom constituaient 35% des erreurs des enfants les plus jeunes mais seulement 5% des erreurs des enfants entre 5;0 et 6;0 ans (voir tableau II).

Tableau II

Distribution des erreurs dans la production de phrases avec des pronoms. Pourcentage d’erreurs (calculé en fonction du nombre total de réponses incorrectes) dans chaque groupe d’âge

De plus, l’auteur compare les deux différentes tâches et rapporte que les enfants de 3 ans à 6 ans donnent significativement plus de réponses correctes pour les pronoms dans la tâche d’appariement (compréhension) par rapport à la tâche de production induite, alors que pour les réflexifs le nombre de réponses correctes était équivalent dans les deux tâches.

Ainsi, les enfants montrent dans cette étude une différence au niveau de la compréhension entre les phrases contenant un réflexif et celles contenant un pronom jusqu’à l’âge de 3;4 et 3;9 ans, alors que la différence au niveau de la production entre les phrases contenant un réflexif et celles contenant un pronom s’observe jusqu’à l’âge de 6;0 – 7;5 ans.

Plus récemment, Zesiger, Zesiger, Arabatzi, Baranzini, Cronel-Ohayon, Franck, Frauenfelder, Hamann et Rizzi (2010) ont observé et comparé la production et la compréhension des réflexifs, des pronoms objets (se / le / la) et des pronoms sujets (je, tu, etc.) chez des enfants de 3;5 ans à 6;5 ans au travers d’une tâche de production induite et une tâche de jugement de vérité19. Les auteurs observent également un délai dans l’acquisition des pronoms objets comparés aux réflexifs, prenant place en production comme en compréhension. De même que dans l’expérience de Jakubowicz (1989), le délai observé en compréhension n’est pas aussi grand que celui qui a été observé dans les langues germaniques. En effet, les auteurs trouvent une performance dans la tâche de jugement de

                                                                                                               

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Pour cette tâche, une marionnette produisait une phrase en rapport avec une image et l’enfant devait juger si la marionnette avait bien décrit l’image ou non.

vérité aux alentours de 85% de réponses correctes concernant le principe B pour les enfants de 4;0 ans, alors que les données présentées dans la section 3.2.1 montrent des performances aux alentours de 70% pour les enfants les plus âgés (5;6 ans dans l’expérience de Wexler & Chien, 1985). Concernant la production, les jeunes enfants omettent plus souvent les pronoms objets (21%) que les réflexifs (8.8%) ou les pronoms sujets (7.8%). Cette différence est observée jusqu’à l’âge de 5 ans.

Afin d’expliquer cette différence de performance entre les pronoms sujets (S), les réflexifs (R) et les pronoms objets (O) (S = R > O), les auteurs argumentent qu’une différence structurelle majeure les différencie : alors que la chaine du pronom objet croise la chaine du sujet lors de la pronominalisation, la chaine du réflexif est emboitée dans la chaine du sujet.

En effet, le pronom objet occupe une place ante verbale qui se distingue de la place habituelle de l’objet en français (qui est une langue dont la structure est Sujet-Verbe-Objet = SVO). Divers auteurs, dont Sportiche (1998, cité par Zesiger et al., 2010), supposent que le pronom est « relié par une chaine » (« chainlinked », Zesiger et al., 2010, p.573) à la position de l’objet dans le syntagme verbal (voir figure 10, exemple 6b.). De plus, Zesiger et al. supposent que le sujet est également déplacé d’une position interne au syntagme verbal à une position située plus haut dans l’arbre syntaxique ; ceci sans altération de l’ordre habituel de la structure SVO (voir figure 10, exemple 6a.). En intégrant ces deux aspects, les chaines du pronom objet et du sujet se croisent.

Quant aux phrases contenant un réflexif, elles impliquent des chaines de l’objet et du sujet emboitées, sans croisement (voir figure 11). En effet, Zesiger et al. (2010) suggèrent que les constructions syntaxiques contenant un réflexif impliquent que l’objet (ici, le réflexif) soit déplacé en position sujet.

Figure 10

Exemple du croisement entre la chaine du pronom objet et celle du sujet lors de la pronominalisation (Exemple extrait de Zesiger et al., 2010, p. 573).

Figure 11

Exemple de l’emboitement de la chaine du pronom objet avec celle du sujet dans les phrases contenant un réflexif (Exemple extrait de Zesiger et al., 2010, p. 575).

Les auteurs concluent, « dans la lignée d’autres articles dans la littérature (e.g : Fox &

Grodzinsky, 1998, [cité par Zesiger et al., 2010]), [que] le croisement de chaine serait responsable d’une complexité structurelle plus grande dans la dérivation des [pronoms]

objets comparés aux […] réflexifs, ce qui expliquerait le délai rapporté dans les données » (p. 597).

Pour conclure ces deux sections questionnant la connaissance des principes de liage par les enfants, un résumé des observations inter-linguistiques est effectué ci-après, en contrastant les études portant sur la compréhension et celles portant sur la production. En effet, les études développementales menées avec des enfants francophones (et plus généralement de langue romane) montrent un délai systématique dans la production des pronoms, au contraire des langues germaniques où les études rapportent un faible taux d’omission du pronom (Bloom et al., 1994). Zesiger et al. (2010) expliquent ce délai par la plus grande complexité structurelle (croisement de chaines) des pronoms par rapport aux réflexifs en français. Les études portant sur la compréhension montrent le pattern inverse : les enfants francophones montrent généralement de bonnes performances dans l’interprétation du pronom (même si les enfants les plus jeunes semblent montrer de meilleures performances avec les réflexifs), contrairement à ce qui a été trouvé dans la littérature concernant l’acquisition des langues germaniques. Diverses hypothèses pouvant intégrer ces résultats inter-linguistiques sont examinées ci-après, dans le sous-chapitre 3.3.

3.3. Discussion concernant les différences inter-linguistiques

 

Une des conclusions possibles aux résultats présentés dans le sous-chapitre 3.2. serait de remettre en cause l’hypothèse des connaissances innées (présentée dans le chapitre 1).

Pour rappel, cette théorie propose que l’acquisition du langage soit considérée comme un processus résultant de l’interaction entre un certain nombre de Principes (innés et universels) et des Paramètres (formant un canevas développemental précablé et devant être activés en fonction de l’environnement linguistique disponible par l’enfant). Dans cette conception théorique, les Principes de liage sont considérés comme innés ; cependant les données de la littérature montrent un délai dans la compréhension des pronoms que cette théorie ne peut expliquer. McKee (1992) rappelle alors que les enfants démontrent une connaissance précoce des principes de liage A et C. Or, ces principes de liage sont formulés par la négative : par exemple, le principe C définit les référents auxquels une expression référentielle ne peut pas être liée. Etant donné que les enfants n’utilisent pas de preuves par la négation (negative evidence) dans l’acquisition de la syntaxe, sans la théorie des principes innés, « leur connaissance de ces principes n’aurait pas d’explication en terme d’apprentissage » (McKee, 1992, p. 42). McKee conclut que « remettre en question