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3.   Observations développementales

3.1.   Développement de la structure hiérarchique

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Dans ce type de paradigme, il est présumé que si l’enfant écoute de façon différentielle les deux stimuli présentés, c’est qu’il perçoit la différence entre ces deux stimuli.

 

verbe (au sein du syntagme verbal). Les résultats montrent que le temps de regard pour le haut-parleur diffusant les textes contenant une pause entre les syntagmes était plus élevé que pour ceux contenant une pause au sein du syntagme verbal. Les enfants de 9 mois ont donc déjà une représentation des lieux dans la phrase où les pauses peuvent se trouver et donc des frontières des constituants.

Lidz, Waxman et Freedman (2003, cité par Lidz, 2007) ont, quant à eux, testé l’interprétation du syntagme adjectival chez des enfants âgés de 18 mois. Ils cherchaient à observer si, chez les enfants, la représentation en constituants était structurée de façon linéaire (voir exemple 11) ou de façon hiérarchique (comme dans la syntaxe adulte, voir exemple 12).

(11) (12)

Les auteurs ont pour cela étudié l’interprétation de l’élément anaphorique « one » (« un »).

En effet, les éléments anaphoriques, tel que « one », ne peuvent se substituer qu’à des constituants (c’est-à-dire à un seul nœud). Dans une phrase telle que « I’ll play with this red ball and you can play with this one. » (« Je jouerai avec cette balle rouge et tu peux jouer avec celle-là. », exemple extrait de Lidz et al., 2003, cité par Lidz, 2007), l’interprétation de

« one » basée sur une structure linéaire référerait à « ball » (N°), alors que son interprétation basée sur une structure hiérarchique référerait à « red ball » (N’).

Pour étudier l’interprétation de « one » par les enfants, les auteurs ont utilisé un paradigme de regard préférentiel4. Ils ont présenté, dans la première phase de familiarisation, l’image d’un objet (e.g.,   une bouteille jaune), accompagnée d’une phrase constituée d’un déterminant, d’un adjectif et d’un nom (e.g., « Regarde ! Une bouteille jaune. »). Dans la seconde phase de test, deux objets de la même catégorie que l’objet de familiarisation étaient présentés, dont un seul était de la même couleur (e.g., une bouteille jaune et une bouteille bleue). Dans la condition contrôle, la phrase accompagnant la phase de test était une phrase neutre (« Now look. What do you see now ? » « Regarde ! Qu’est ce que tu vois

                                                                                                               

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Un paradigme de regard préférentiel est basé sur les données expérimentales montrant que les enfants regardent plus longtemps un stimulus visuel correspondant au stimulus auditif présenté (si ce stimulus est disponible) qu’un stimulus visuel n’y correspondant pas (Hirsh-Pasek & Golinkoff, 1996, cité par Lukyanenko et al., 2008).

maintenant ? »). Dans la condition anaphorique, les enfants entendaient une phrase contenant l’élément anaphorique « one » (« Now look. Do you see another one ? »

« Regarde ! Tu en vois une autre ? »).

Dans la condition contrôle, le stimulus linguistique ne désignant pas une image particulière, il était attendu que les enfants préfèrent le nouveau stimulus visuel (l’objet de couleur différente). Concernant la condition anaphorique, deux possibilités de réponses étaient attendues, sous-tendues par les deux hypothèses de structure des représentations syntaxiques des syntagmes nominaux chez les enfants. Si cette dernière est linéaire,

« one » serait interprété comme référant à N° (bouteille) et les deux images seraient donc des référents potentiels. Comme le stimulus linguistique ne favoriserait pas une image par rapport à l’autre, les réponses devraient correspondre à celle de la condition contrôle. Si cette structure est hiérarchique, les enfants interprèteraient « one » comme référant à N’

(bouteille jaune) et les réponses devraient révéler une préférence pour la seule image correspondant au stimulus linguistique (i.e. : la bouteille jaune).

Dans la condition contrôle, les résultats observés sont tels qu’attendus : les enfants montraient une préférence pour la nouvelle image. A l’inverse, dans la condition anaphorique, les enfants montraient plus d’attention pour l’image familière que pour la nouvelle image. Les auteurs concluent donc que « ces résultats constituent un support important à l’hypothèse qu’à 18 mois, les enfants interprètent « one » comme anaphorique référant à N’ et donc qu’ils ont une représentation hiérarchique des syntagmes nominaux » (Lidz et al., 2003, cité par Lidz, 2007, p. 13).

Lidz (2007), en se basant sur cette recherche ainsi que sur d’autres études (Valian, 1986 ; Hamburger & Crain, 1984 ; Hirsch-Pasek & Golinkoff, 1996 ; cités par Lidz, 2007), conclut que « dès les premiers stades du développement syntaxique, les représentations syntaxiques des enfants sont structurées de façon hiérarchique, comme celles des adultes » (p. 13).

Ces résultats montrent donc que les enfants ont une représentation de la structure en constituants (structure hiérarchique), tout comme les adultes. Cependant, les productions enfantines divergent de celles des adultes en plusieurs points5 : les enfants produisent des verbes infinitifs dans la phrase principale (e.g., « moi dormir là »), des phrases sans sujet (e.g., « a fini chocolat ») et des verbes au singulier avec un sujet au pluriel (e.g., « Les cochons, ils construit une maison »). Toutefois, une analyse fine de ces divergences montre que les productions enfantines respectent un grand nombre de contraintes structurales. Par exemple, le verbe à l’infinitif occupe une position dans la phrase en accord avec la position de la négation : lorsque l’enfant produit un verbe infinitif (« pas dormir »), celui-ci suit la

                                                                                                               

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Ce paragraphe est basé sur le cours de : Franck, J. (septembre 2012 – juin 2013). Acquisition du langage oral.

Cours présenté à l’Université de Genève, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation.

 

particule de négation (comme dans la syntaxe adulte – « Je (ne) veux pas dormir »), mais lorsqu’il produit un verbe fléchi (« dors pas »), ce dernier précède la particule de négation (comme dans la syntaxe adulte – « Je (ne) dors pas »). Concernant le sujet, celui-ci n’est pas omis dans les contextes de questions ou de subordonnées, mais uniquement dans la phrase principale. Concernant les contraintes d’accord, celles-ci sont respectées : si l’enfant produit un verbe au pluriel, alors il produit également un sujet au pluriel.

L’hypothèse de la structure tronquée (Rizzi, 1993, cité par Franck, 2012-20136) permet une explication de ces observations. En effet, l’arbre syntaxique comporte 3 grandes couches, ainsi qu’illustré dans la figure 1. En analysant finement les productions enfantines, il se dégage l’observation que ces dernières proviennent d’un élagage de l’arbre syntaxique (voir figure 2). Ainsi, lorsque l’enfant produit un verbe à l’infinitif, il élague les couches (2) fonctionnelle et (3) complémenteur, mais lorsqu’il produit un verbe fléchi, ce n’est que la couche (3) qui se trouve élaguée. Cette hypothèse est cohérente avec l’observation que lorsque l’enfant produit un verbe fléchi, il respecte sa position par rapport à la négation telle que définie dans la couche (2). De même, lors de questions ou de subordonnées (couche (3) complémenteur), l’arbre syntaxique doit être complet ; or, le sujet n’est pas omis dans le contexte de questions ou de subordonnées.

   

Figure 1

Illustration des trois couches constituant l’arbre syntaxique. Figure extraite du cours de Franck (2012-2013).

 

                                                                                                               

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Dans son cours de : Franck, J. (septembre 2012 – juin 2013). Acquisition du langage oral. Cours présenté à l’Université de Genève, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation.

 

   

Figure 2

Illustration de l’élagage des trois couches constituant l’arbre syntaxique. Figure extraite du cours de Franck (2012-2013).

 

Cette hypothèse de la structure tronquée proposée par Rizzi (1993, cité par Franck, 2012-2013) permet, par l’analyse fine des productions enfantines, une cohérence des observations entre la représentation précoce de la structure en constituants et la production de phrases semblant de prime abord en désaccord avec cette représentation précoce. Ainsi, la syntaxe de l’adulte se trouve dans la continuité de la syntaxe de l’enfant.

3.2. Développement des principes de liage : observations