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REDEFINIR L’AIDE ET LE MÉTIER

1. METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

1.2. RECUEIL DE DONNÉES

1.2.1. OBSERVATION-PARTICIPANTE

Nous avons observé le travail du plateau de Fil Santé Jeunes sur de courtes périodes (deux à trois jours) entre 2003 et 2007. Dans la perspective d’une mission de prévention du suicide et afin de mieux comprendre et présenter le fonctionnement du dispositif, nous avons suivi une formation interne à la double-écoute pendant trois jours, ce qui a donné lieu à une prise de notes importante concernant les appels, et la rédaction d’un mémoire de recherche sur « l’entrée en communication des adolescents à Fil Santé Jeunes ».

En double-écoute, deux téléphones et ordinateurs sont connectés ensembles, ce qui permet d’entendre depuis un autre poste l’appel en cours, et de suivre en même temps ce que l’écoutant renseigne, sur l’ordinateur, pour l’observatoire. Ainsi, cette démarche permet peu à peu d’être initié à l’activité d’écoutant-rédacteur. Les périodes de double-écoute ne sont pas « qu’observation », ce qui est entendu et renseigné donne l’occasion d’un échange d’avis, de ressenti. Lors des travaux de recherche pour la thèse, nous avons à nouveau échangé sur le contenu d’appels, mais aussi participé à l’activité du dispositif dans une position de chercheure-ex-écoutante-rédactrice. Ces différents moments d’observation participante se sont déroulés sur une journée type d’écoute-rédaction (entre huit heures et minuit) avec une présence au cours des différentes tranches de l’activité.

La réalisation des entretiens de recherche a été entrecoupée de temps de présence et d’observation sur le plateau. Au cours de ces divers temps d’observation, nous avons noté, par exemple, que les écoutants répondent, échangent, aident l’appelant, tout en ayant une activité « autre », notamment au niveau de l’ordinateur connecté à internet, et ce, quel que soit la nature de l’appel. Nous avions également constaté que certains écoutants utilisaient un casque et d’autres y étaient plus réfractaires, ou l’utilisaient lors de certains appels et pas d’autres.

Le volume sonore du plateau, des échanges entre écoutants, peut rendre l’écoute difficile. Certains professionnels ont besoin de s’isoler, même physiquement, se retournant et allant même jusqu’à se plier sous leur bureau ou encore à se placer à l’extrémité de la salle pour voir tout le monde sans être « trop proche ».

Le lieu de l’écoute est organisé avec plusieurs médecins et psychologues travaillant en « open-space » ouvert, pour les nécessités de l’activité en téléphonie, dans une forme d’aide, de soutien et de complémentarité.

L’ambiance sonore est prégnante, elle présente la particularité de laisser une trace dans la mémoire auditive. Cette ambiance sonore est sensiblement différente le soir. Le dispositif étant ouvert jusqu’à minuit, les appels n’y sont plus de même nature. Il y a beaucoup d’appels de réassurance, d’appels de détresse, d’appels sérieux. Les voix et l’ambiance sont feutrées, les temps d’appels sont plus longs, et les mouvements sur le plateau, plus lents.

Au cours des visites pour cette recherche, nous avons noté le départ et l’arrivée de plusieurs jeunes professionnels débutant leur carrière de psychologue, ainsi qu’une baisse de l’effectif. L’organisation en open space a été réduite d’environ cinq à six postes depuis 2003. Il semblerait qu’une diminution des financements a réduit le développement et l’ampleur du dispositif. Tout particulièrement en ce qui concerne l’activité d’écoute téléphonique. L’activité internet prendrait le dessus sur celle de l’écoute téléphonique. Cette activité en pleine expansion est de ce fait plus dynamique que l’activité téléphonique. Aujourd’hui, les écoutants-rédacteurs sont plus mobilisés qu’auparavant sur l’activité de rédaction via internet. Les réticences, en rapport direct avec la dimension virtuelle de l’échange et de la trace écrite, ont laissé place à la motivation, au regard des diverses possibilités développées par l’outil internet, et sans doute de la polyvalence de l’activité et de son rythme différent du téléphone.

Alors même que les réticences à être sur Internet étaient réelles chez les professionnels, et le sont toujours pour certains qui parlent de « non-relation », la tendance s’inverse : plusieurs écoutants ont demandé et attendent de pouvoir évoluer vers cette activité, sans doute moins aliénante, moins « effractante ».

Sur un autre registre, quelques années auparavant, l’espace du plateau téléphonique paraissait protégé et « peu accessible ». C’est moins le cas aujourd’hui. Les responsables passent, observent, communiquent des informations, insistent sur des recommandations, accueillent des visiteurs ou encore des collègues d’autres services de téléphonie.

Ce fut le cas des professionnels d’ADALIS (anciennement Drogue Alcool Tabac Info Service) venus pour une séance sur Habbo, dans l’objectif de faire de l’information et de la prévention sur la consommation de tabac.

Le recueil de données s’est déroulé sur une période de deux ans. Ce qui a donné l’occasion de constater les évolutions, notamment au niveau du dispositif : départs et arrivées de professionnels, ouverture d’une démarche de travail en transversalité sur Inter Service Parents et Jeunes Violence Écoute, accueil d’étudiants ou de collègues d’autres dispositifs, passage du numéro à deux chiffres.

L’expérience professionnelle pour, et à Fil Santé Jeunes, a permis d’entendre et d’observer ce qu’il s’y fait, ce qu’il s’y dit. A certains moments, notre présence a pu aider à motiver et/ou soutenir les écoutants-rédacteurs. L’objet même de la recherche auprès des professionnels, alors qu’ils sont interrogés habituellement sur la population à laquelle ils répondent, a pu être vécu comme une forme de reconnaissance.

La première étape de recherche a consisté à préciser la problématique et à dégager une méthodologie de recherche, au plus près des sujets interrogés, par l’intermédiaire de rencontres collectives (auprès des professionnels de l’EPE) et la visite de plusieurs plateaux téléphoniques (dont DATIS et Sida Info Service). La deuxième étape s’est décomposée en une phase exploratoire avec des entretiens non-directifs, et une phase d’entretiens semi-directifs à visée de recherche.