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Les premières « télérelations », en téléphonie, ont comme base d’échange la voix ou « image acoustique ». Cette voix, porteuse de la parole, laisse des éléments de corporéité, de part et d’autre du « fil », permettant à chacun de construire un ressenti particulier composée de variations, d’intonation, d’accent, d’un rythme, d’une fréquence, d’un timbre, d’une intensité. A titre d’exemple, les émotions font moduler sa fréquence. Nous savons que la colère augmente la fréquence et que la tristesse la diminue. La variation de fréquence de la voix n’est pas la même chez la femme, chez qui elle plus haute que chez l’homme et chez l’enfant, chez qui elle est plus haute que chez la femme. Ces quelques éléments corporels infra- verbaux, ajoutés aux silences et à la respiration, nous laissent une porte d’accès aux émotions d’une personne unique, avec laquelle nous pouvons nous accorder et échanger.

Dans un contexte moderne de communication avec l’outil internet, cet élément « humain » qu’est la voix disparait, laissant les professionnels de la relations humaine face à des messages textuels rédigés sur écran, pour lesquels ils doivent retrouver un sens, et les lier ou re-lier à de l’humain en tenant compte du décalage entre l’expression et la réception. Avec la possibilité d’un travail par écrans interposés, se pose la question de la justesse de l’émotion qu’ils véhiculent. Sous cet angle, les nouvelles technologies de communication favorisent sans doute simplement « l’expression », sur de nouveaux registres dans une sphère privée. Entre espace psychique élargi, métaphore de l’esprit ou supplément artificiel, il s’avère que ces « relations virtuelles », qui invitent à la prudence et à la distance de ce qui s’y exprime, se fraient aujourd’hui une place de plus en plus importante parmi les professionnels de l’aide au sens large.

Ces formes de relations se prêtent au caractère pulsionnel de l’émotion qui se décharge, dans l’immédiateté grâce à cette possibilité de livrer immédiatement un propos, une émotion ou une réflexion, dans l’instant même où ils arrivent, et se trouvent face à la frustration de l’attente d’une réponse qui, de surcroit, n’arrive pas toujours, ou qui arrive quand la pensée s’est fixée sur un autre objet. Face à l'écrasement de la temporalité, spécifique aux échanges sur le web, les utilisateurs comme les professionnels sont amenés à faire preuve d’une attention particulière pour attirer ou maintenir celle de l'autre qui, en un « clic », peut se libérer de « l’opportunité interactionnelle » qui lui est offerte.

L'utilisateur peut d’ailleurs se servir de ses possibilités interactionnelles pour tenter de tisser des liens ailleurs, pour commencer à les penser et les créer ici, mais il peut aussi éviter de s'y risquer. Nous pouvons nous demander dans quelle mesure et sur quelle base le professionnel doit alors mobiliser sa capacité à proposer du lien, à faire « don » de sa compréhension, son empathie, sa lecture attentive, sa sollicitude pour permettre, ailleurs, de nouer, renouer, maintenir des liens ? Le risque qui se dégage est celui d’une « non-relation », se construisant dans une « virtualité des liens ». Parce que communiquer de cette manière permet paradoxalement les deux extrêmes de la difficulté à échanger : ne parler que de soi et ne s’adresser à personne en particulier.

Les relations à distance présentent des particularités. Si les évolutions technologiques nous embarquent dans leur utilisation massive pour « aider » ; « soigner » ; « accompagner » ; « écouter » (…) et que nous sommes amenés de plus en plus à les intégrer à nos pratiques du soin et du social, il est indispensable d’identifier ce qu’elles peuvent nous apporter et comment les utiliser. Quelles sont leurs limites et quelles sont leurs vertus. Concernant leurs particularités, les différents aspects repérés sont les suivants :

 un écrasement de la temporalité qui fonctionne différemment (en accéléré au téléphone, et sur le mode asynchronique par la toile du Net),

 une activité en présence des autres professionnels et en l'absence du sujet avec lequel les professionnels sont en relation. Des relations « encastrées » que l’on retrouve dans les divers centres d’appels y compris ceux du télémarketing,

 une immédiateté d’accès à l'intime et l'absence de codes sociaux d'accès à l'autre. Nous avions constaté que les usages sociaux d'entrée en communication n'étaient pas majoritairement respectés par les appelants : insultes et blagues sans préalable, quand l'appel est estimé « sans contenu » ; accès rapide à l'intime sans préambule quand il est estimé « à contenu »,

 une dimension nationale, qui amplifie l’anonymat ou l’impossibilité à rencontrer l’autre physiquement,

 l’utilisation massive d’un sens, l’ouïe, et l'absence d'un autre, la vue,

 la « trace informatique écrite virtuelle » consultable et inhabituelle pour des professionnels de la relation humaine.

Les dispositifs de téléphonie, travaillant ou pas, avec l’outil Internet (sites spécialisés), proposent un secours, une assistance, un réconfort, à des personnes en souffrance et en détresse, une fonction de contenance par la « supposée présence humaine » qu’ils offrent, dans une organisation alliant plusieurs évolutions technologiques. C’est le socle de toute relation d’aide, celui d’une solidarité interhumaine, au-delà des différences, au-delà des conflits. Il semble nécessaire, aujourd’hui, d’envisager le potentiel thérapeutique des Tices dans le champ de la santé, au sens large et pas seulement comme outil de maîtrise et gestion des problématiques sanitaires et sociales.

L’outil de communication, qui permet la relation anonyme et sans suivi, interroge sur la véracité de ce qui se dit, s’écrit, s’échange et renvoie au réel. Or l’individu seul face au réel est une fiction : pour construire un rapport quelconque au réel, rationnel ou non, l’individu met nécessairement en œuvre une tradition sociale, des repères sociaux. Cette question du réel est celle de la gestion du virtuel à partir de la mobilisation de notre vécu, de nos sensations, de nos images (…).

Les différentes questions soulevées par l’utilisation exclusive des moyens de communication dans une perspective d’aide, de soutien, d’assistance, d’écoute, sont à appréhender d’un point de vue pratique mais aussi en reprenant de la hauteur dans une réflexion sur le sens des actes, sur la place de l’Homme.