• Aucun résultat trouvé

Obligations imposées au titre de la contrepartie : illustrations. La jurisprudence

PARTIE I – L’INTEGRATION MINIMALE DES MOTIFS PAR LA CONTREPARTIE

B- Les procédés tacites de détermination de la contrepartie

85. Obligations imposées au titre de la contrepartie : illustrations. La jurisprudence

a pu, sur le fondement de la bonne foi, retenir que le fournisseur de produits pétroliers avait l’obligation de mettre son distributeur en mesure de pratiquer des tarifs concurrentiels en modifiant son système de prix. C’est la solution résultant de l’arrêt de la Chambre commerciale du 3 novembre 1992, dit Huard384. En l’espèce, un contrat de distributeur agréé avait été conclu

entre M. Huard et la Société BP, pour une certaine durée. Jusqu’à une certaine dates pendant la durée du contrat, les prix de vente des produits pétroliers au détail avaient été fixés par les pouvoirs publics. Deux arrêtés libérèrent les prix de vente au détail et autorisèrent les

379

Les deux notions – bonne foi et équité – sont difficilement distinguées par la doctrine : v. A. COLIN, H. CAPITANT, Cours élémentaire de droit civil français, Tome II, 7ème

édition, Dalloz, 1932, p. 68-69 ; H. DEMOLOMBE, Cours de Code Napoléon, Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, Tome I, Paris Lahure, 1877, p. 376 ; G. BAUDRY -LACANTINERIE, L. BARDE, Traité théorique et pratique de droit civil, Tome I, Des obligations, Librairie de la société du recueil générla des lois et des arrêts, Larose, 1897, p. 319 ; R. VOUIN, La bonne foi, notion et rôle actuels en droit privé français, thèse Bordeaux, LGDJ, 1939, p. 89 et s. ; P. LE TOURNEAU, La règle « Nemo auditur… », thèse, préface P. RAYNAUD, L.G.D.J., 1970, p. 2).

380 V. infra, n° 88 et s.

381

V. P. LE TOURNEAU, M. POUMAREDE, « Bonne foi », in Repertoire de droit civil, Dalloz, 2017, n° 68 : « Pour les auteurs classiques, l’ancien article 1134 alinéa 3, du code civil (C. civ., art. 1104 nouv.), sorte de texte d’annonce des anciens articles 1156 et suivants (C. civ., art. 1188 s. nouv.), constituait un guide pour l’interprétation des contrats. La bonne foi constituait donc avant tout et simplement une directive d'interprétation des contrats. Mais, au-delà, de pair avec l'équité visée à l'ancien article 1135 du code civil (C. civ., art. 1194 nouv.), la bonne foi a constitué le support d'une interprétation créatrice du contrat ».

382

B. FRELETEAU, thèse préc. L’auteur synthétise les analyses modernes de l’effet normatif du contrat auquel les parties sont assujetties [n° 96 et s.] ; avant de présenter les devoirs contractuels qui en résultent, notamment ceux qui tiennent à la nature de l’acte [n° 133 et s.].

383V. G. WICKER, « Force obligatoire et contenu du contrat », art. préc., n° 14.

384

Com. 3 nov. 1992, n° 90-18.547, Bull. civ. IV, n° 338 ; D. 1995. Somm. 85, obs. D. FERRIER ; RTD civ. 1993. 124, obs. J. MESTRE ; Defrénois 1993. 1377, obs. J.-L. AUBERT ; JCP G 1993. II. 22164, note G. VIRASSAMY.

distributeurs à consentir un rabais à la pompe. M. Huard subit alors une rude concurrence et la société BP lui proposa d’adopter le statut de commissionnaire pour la vente du carburant, lui permettant ainsi d’être rémunéré, non pas suivant une marge bénéficiaire, mais en percevant un taux de commission sur les litrages vendus pour le compte de la société BP. Monsieur Huard refusa néanmoins cette proposition et assigna la société BP en paiement de dommages et intérêts. La Cour d’appel accueillit sa demande et le pourvoi formé contre l’arrêt d’appel fut rejeté par la Cour de cassation. Il fut considéré que la société pétrolière devait rechercher avec lui un moyen de se maintenir sur le marché et de répondre à la concurrence. A ce titre, elle ne pouvait reprocher à M. Huard de ne pas avoir accepté le changement de statut proposé dès lors que ce dernier n’en avait pas l’obligation et que le contrat n’était pas encore arrivé à terme. Il lui appartenait de mettre son distributeur dans des conditions d’exploitation commerciale viable, à défaut de quoi la société manquait à son obligation de bonne foi385. Cette solution se justifie au regard de l’exigence d’une contrepartie minimale : une partie se voit imposer des obligations raisonnables au titre de la préservation de la contrepartie de son cocontractant.

La même logique se retrouve dans l’arrêt du 24 novembre 1998386, également rendu en matière de contrat de distribution. De façon similaire, un distributeur placé dans une situation concurrentielle difficile assigne la société avec laquelle il est lié par un contrat d’agent commercial, en résiliation du contrat et paiement de dommages et intérêts. Les difficultés du distributeur provenaient de la vente parallèle, par des centrales d’achats s’approvisionnant en métropole. En appel, le distributeur fut débouté au motif que « les sociétés n’avaient pas à

intervenir sur les commandes qui pouvaient être passées directement par l’intermédiaire d’une centrale d’achats à partir de la métropole, qu’elles devaient respecter le principe essentiel de la libre concurrence et qu’il n’est pas établi qu’elles aient mis des « obstacles » à la représentation de leur mandataire ». La Cour de cassation casse cette solution de la Cour

d’appel qui aurait dû rechercher si la société, consciente de la situation concurrentielle subie par son distributeur, avait pris des mesures concrètes pour lui permettre de « pratiquer des prix

concurrentiels, proches de ceux des mêmes produits vendus dans le cadre de ces ventes parallèles, et de le mettre ainsi en mesure d’exercer son mandat ». Il ne s’agit alors pas

385

V. K. LAFAURIE, La force obligatoire du contrat à l’épreuve des procédures d’insolvabilité, thèse, préface G. WICKER, L.G.D.J., coll. Bibliothéque de droit privé, 2020, n° 259, l’auteur nuance l’analyse qui a pu être faite des arrêts ici mentionnés en relevant que si une partie de la doctrine a pu y voir la consécration d’une obligation de renégocier le contrat en cas d’imprévision, c’est « sûrement aller trop loin et donner une portée discutable à ces arrêts ».

386 Com. 24 nov. 1998, n° 96-18.357, Bull. civ. IV, n° 277 ; CCC 1999. Comm. 56, obs. M. MALAURIE-VIGNAL ; Defrénois 1999. 371, obs. D. MAZEAUD ; JCP E 1999. I. 143, obs. C. JAMIN ; JCP G 1999. II. 10210, note Y. PICOD ; RTD civ. 1999. 98, obs. J. MESTRE ; RTD civ 1999. 646, obs. P.-Y. GAUTIER.

d’imposer au fournisseur l’obligation de mettre le distributeur dans les conditions d’une rentabilité optimale mais simplement de le mettre « en mesure d’exercer son mandat ». L’idée est alors d’imposer à une partie, sur le fondement de la bonne foi – mais cela pourrait aussi bien aujourd’hui résulter de l’interprétation suivant l’appréciation de l’homme raisonnable en application du nouvel article 1188 alinéa 2 du Code civil – des obligations nécessaires au regard de la contrepartie387.

b. Les implied terms in fact du droit anglais 86. Distinction des implied terms in law388

et implied terms in fact389

. Les implied terms participent de la détermination du contenu du contrat et sont classiquement opposés aux express

terms390. Ces implied terms peuvent s’imposer au regard de la contrepartie convenue par les

parties, quoique la question des implied terms dépasse celle de la détermination de la contrepartie391. Les implied terms font l’objet d’une distinction suivant leur source. Les implied

terms peuvent d’abord être imposés par la coutume ou un statute – une loi, au sens large – et

sont alors qualifiés d’implied terms in law. Ces implied terms in law constituent des stipulations standardisées pour des types de contrats donnés. Ainsi en est-il des dispositions applicables à l’ensemble des contrats de vente en application du Sale of Goods Act 1979, lequel prévoit, par exemple, que le vendeur est tenu de garantir l’acheteur contre l’éviction. Le fondement de tels

implied terms in law est débattu par la doctrine anglaise392. Ils seraient ainsi notamment justifiés par l’équité, fairness ou encore par l’idée d’une présomption selon laquelle les implied terms sont présumés être les stipulations implicitement voulues au regard de leur nécessité. Suivant cette seconde proposition, les implied terms in law ne présenteraient alors pas une différence de nature avec les implied terms in fact résultant de la jurisprudence. Les implied terms peuvent, en effet, ensuite être imposés par les juridictions, en ce qu’ils apparaissent essentiels à la réalisation du but d’un contrat considéré. Les obligations sont identifiées sur le fondement de

387 V. au sujet du devoir de renégocier le contrat, K. LAFAURIE, thèse préc., n° 261 : « Mettre ainsi à la charge d’une partie un tel devoir ne doit pas pour autant, dans cette hypothèse, être considéré comme une atteinte à la force obligatoire du contrat, mais plutôt comme le fruit du travail nécessaire et qu’invite à faire l’article 1194 du Code civil d’identification des suites du contrat que sa nature particulière impose ».

388 [Traduction : stipulations implicites en droit.]

389

[Traduction : stipulations implicites en fait.]

390

[Traduction : stipulations expresses.]

391

La notion d’implied terms est ainsi souvent avancée par une partie de la doctrine pour fonder la mise en œuvre de concept faisant dépendre la validité du contrat de son utilité, tels que la mistake (l’erreur), la frustration (théorie concernant la question du changement imprévisible des circonstances), ou encore la discharge for breach (la libération d’une partie en raison de l’inexécution de l’autre). V. S. A. SMITH, op. cit., p. 281 à 306.

392

l’interprétation de l’intention des parties et qualifiées d’implied terms in fact ou d’individualized implied terms.