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Chapitre I : Production et traçage des métaux anciens

3. Objectifs et méthodologie de l’étude

Cette thèse a pour objectif de développer l’utilisation des isotopes du fer pour le traçage des métaux anciens. En plus d’être largement présent dans les matériaux issus de la métallurgie des métaux ferreux, le fer est également présent dans les matériaux non ferreux. C’est notamment le cas d’objets en bronze ou de scories de réduction de plomb argentifère dans lesquels une certaine quantité de fer, issue du minerai ou d’ajout volontaires, a été incorporée. Ainsi, les isotopes du fer pourraient constituer un traceur commun aux métaux ferreux et non ferreux.

De nombreuses études disponibles dans la littérature ont montré que la composition des isotopes du fer pouvait être très variable dans différents types de minerais de fer (voir Chapitre II). Ainsi, la composition isotopique des minerais est fonction de leur histoire géologique, depuis leur mise en place jusqu’à leur altération potentielle, ce qui peut permettre de les distinguer. Cette observation constitue un premier point de départ au développement des isotopes du fer comme nouvel outil de traçage en archéologie. Toutefois, la conservation de la composition des isotopes du fer tout au long de la chaîne opératoire métallurgique est une condition indispensable à leur utilisation pour le traçage des métaux anciens. De plus, il est nécessaire de comparer les résultats de cette nouvelle méthode avec ceux obtenus par des méthodes classiques pour valider ou non le potentiel de traçage des isotopes du fer et en appréhender les limites éventuelles. Suite à cela, nous pourrons essayer d’appliquer cette méthode dans le cadre de problématiques archéologiques et historiques.

3.1Etude de la conservation du traceur

L’étude du comportement des isotopes du fer tout au long de la chaîne opératoire nécessite la collecte d’échantillons de minerai, scorie de réduction et métal produit correspondant à une opération de réduction donnée. Seule cette approche nous permet d’être sûrs d’avoir le minerai correspondant aux échantillons de scorie et de métal que nous voulons analyser. L’analyse d’échantillons archéologiques ne permet pas toujours de satisfaire cette condition car bien souvent, le minerai et/ou le métal ne sont pas retrouvés sur les anciens sites de

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réduction. Les échantillons de l’ensemble de la chaîne opératoire n’étant pas forcément regroupés dans une même zone géographique. Nous avons donc choisi de travailler sur des matériaux issus d’expérimentation de réduction de minerai de fer.

Le massif de la Montagne Noire était une région majeure de production de fer à l’époque Romaine. Des batteries de bas fourneaux et de nombreux amas de scories témoignent de l’activité sidérurgique intense qui s’est developpée dans cette région entre le Ie siècle av. J.-C. et le Ie siècle ap. J.-C. (Domergue et al., 1993 ; Fabre et al., 2016). Dans les années 1990 et 2000, plusieurs expérimentations de réduction de minerai ont été réalisées dans la Montagne Noire. Le but de ces opérations était de restituer le protocole de réduction utilisé par les romains mais également d’étudier la composition minéralogique et chimique de ces matériaux expérimentaux (Jarrier, 1993 ; Jarrier et al., 1997). Ces expérimentations nous ont permis de collecter des échantillons couvrant l’ensemble de la chaîne opératoire pour une production donnée. Ainsi, l’analyse de ces échantillons nous a permis d’étudier l’influence potentielle des processus métallurgiques sur la composition des isotopes du fer, depuis le minerai jusqu’au métal. Cependant, un inconvénient de l’utilisation de matériaux expérimentaux est que le protocole de réduction utilisé n’est pas nécessairement identique à celui utilisé aux époques anciennes. Toutefois, cet inconvénient n’a pas réellement d’incidence quant à notre problématique de départ, essentiellement centrée sur la mise en évidence ou non d’un possible fractionnement des isotopes du fer entre le minerai de départ et le métal produit. L’analyse de matériaux archéologiques sera donc nécessaire par la suite pour valider notre approche, ce qui a été effectué dans le cadre de ce travail.

3.2Validité des isotopes du fer comme outil de traçage des métaux

La validation d’hypothèses de provenance passe par la comparaison des résultats obtenus à l’aide de différents traceurs. De la même manière, la validation de notre nouvelle approche de traçage nécessite de croiser nos résultats avec ceux d’autres méthodes. Pour ce faire, nous avons analysé la composition isotopique du fer dans des objets archéologiques dont la provenance a déjà été étudiée par d’autres méthodes.

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Plusieurs épaves datant de l’époque Romaine contenant des barres de fer et des lingots de plomb ont été découvertes au large de la ville des Saintes-Maries-de-la-Mer (Bouches-du-Rhone, Sud-Est de la France) (e.g. Long et al., 2002). Ces épaves étant contemporaines de l’activité sidérurgique Romaine de la Montagne Noire, l’hypothèse de provenance de cette région a été testée pour plusieurs barres de fer issues d’épaves différentes par l’analyse des éléments en traces (Coustures et al., 2006, Baron et al., 2011a). Ces études ont permis de distinguer trois groupes de barres de fer à partir des mesures élémentaires réalisées dans les inclusions de scorie de ces barres. Les barres du premier groupe ont une composition en éléments en traces similaire à celle des minerais et scories archéologiques de la Montagne Noire, ce qui semble indiquer qu’elles en sont issues. Celles du second groupe ont une composition légèrement différente de la Montagne Noire et ont potentiellement une provenance différente. Enfin, les barres du troisième groupe ont une composition élémentaire clairement distincte de la Montagne Noire, indiquant une origine différente. L’analyse de la composition des isotopes du fer de barres de chacun de ces groupes nous a permis d’évaluer le potentiel de traçage de notre approche, ainsi que d’en estimer les limites dans le cadre d’une problématique archéologique.

3.3Application du traçage par les isotopes du fer dans d’autres contextes archéologiques

3.3.1 Sidérurgie Gauloise dans le Tarn (Sud-Ouest de la France)

Le département du Tarn constitue le versant Nord du massif de la Montagne Noire. Des prospections ont révélé la présence de nombreux amas de scorie attestant des activités sidérurgiques datant de l’époque Gauloise (Coustures, 2012, 2013, 2014). Plusieurs travaux miniers anciens ayant pu alimenter des ateliers de réduction ont également été découverts dans ce secteur. Parallèlement à cela, deux dépôts de barres de fer ont été découverts dans le Tarn, dans les communes de Montans et Rabastens. La présence de céramique a permis d’estimer l’âge de ces dépôts entre -125 et -75 av. J.-C., ce qui est contemporain des activités sidérurgiques détectées dans le département. Nous avons donc testé la possibilité d’une provenance locale de ces barres en comparant leur composition en isotopes du fer avec celle de scories et minerais archéologiques issus de divers secteurs du département. Une seconde

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application de l’analyse des isotopes du fer dans ce contexte a consisté à comparer la signature des barres Gauloise du Tarn (nord de la Montagne Noire) avec celle de matériaux issus des activités métallurgiques Romaines localisées dans la partie Sud de la Montagne Noire. La possibilité de distinguer deux productions à des échelles spatiale et temporelle réduites pourrait constituer un avantage majeur de notre méthode de traçage.

3.3.2 Sidérurgie ancienne en pays Bassar (Nord du Togo)

La région de Bassar, dans le Nord du Togo, a connu une tradition sidérurgique depuis l’époque médiévale jusqu’au XIXe siècle. Sur place, les multiples restes de bas fourneau, amas de scories et traces d’activité minière témoignent de l’ampleur de l’activité sidérurgique dans cette région. Dans ce contexte, un échantillonnage exploratoire de minerais, de scories de réduction et d’objets métalliques a été réalisé. La composition des isotopes du fer de ces échantillons a été mesurée pour appréhender la variabilité isotopique des différents matériaux et estimer l’applicabilité de notre méthode de traçage à ce nouveau terrain archéologique. En contexte africain, les études de provenance sont quasi inexistantes, bien que la demande de la part des archéologues et des historiens soit importante au regard des problématiques liées à l’émergence des grands royaumes africains de l’époque médiévale (e.g. Fauvelle, 2013).

3.3.3 Exploitation ancienne de plomb argentifère dans la mine d’Imiter (Maroc)

La mine d’Imiter dans l’Anti-Atlas marocain est un gisement majeur d’argent et occupe le 10ème rang mondial en terme de production. Différents types de minéralisations sont présents : de l’argent natif, des amalgames argent-mercure, des sulfosels d’argent (incluant l’imitérite) et divers sulfures tels que la galène argentifère. Ce gisement d’argent est toujours en exploitation de nos jours et il comporte de nombreuses traces d’exploitation ancienne dans les parties les plus superficielles des filons minéralisés (jusqu’à environ 50 mètres de profondeur). Bien que les activités minières anciennes n’aient pas été clairement caractérisées, plusieurs sources textuelles arabes indiquent qu’elles pourraient dater du début de la période médiévale. De plus, les premières analyses chimiques et

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pétrographiques réalisées sur des scories de réduction de plomb argentifère ont révélé une teneur en fer relativement importante suggérant ainsi l’exploitation sommitale des structures minéralisées, là où les chapeaux de fer sont présents. Des analyses de la composition des isotopes du fer dans ces scories ont été réalisées pour tester notre méthode de traçage sur des matériaux non-ferreux. Bien qu’exploratoires, ces résultats préliminaires peuvent nous renseigner sur l’utilité potentielle des isotopes du fer dans ce contexte archéologique, tant d’un point de vue de la détermination de sources de

provenance que de la reconstitution des anciens procédés métallurgiques utilisés à Imiter.