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Chapitre I : Production et traçage des métaux anciens

2. Méthodes actuelles de traçage des métaux anciens

2.1 Méthodes de traçage chimiques élémentaires

Le traçage des métaux ferreux par les analyses chimiques élémentaires consiste à analyser la composition en éléments majeurs, mineurs et traces d’inclusions de scories contenues dans des objets ou semi-produits métalliques. Le développement de techniques d’analyses chimiques ponctuelles (microsonde électronique, spectromètre de masse à torche à plasma et ablation laser LA-ICP-MS) lors les dernières décennies a permis l’analyse d’inclusions de scories de taille microscopique. La comparaison de cette composition avec celle de matériaux archéologiques (scories, minerais) issus d’anciens sites de production de métaux peut permettre d’établir des hypothèses de provenance et de restituer les anciens réseaux

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d’échange des métaux. Accessoirement, des analyses élémentaires ont également été utilisées pour l’étude de métaux non-ferreux.

2.1.1 Analyse des éléments majeurs et mineurs

La première étude de provenance des ferreux utilisant des analyses élémentaires d’inclusions de scorie contenues dans des objets métalliques archéologiques date d’une quarantaine d’années environ (Hedges and Salter, 1979). La méthode utilisée consiste à mesurer la composition en éléments majeurs des inclusions de scorie contenues dans le métal. Cette composition, exprimée en pourcentage de poids d’oxyde (% de Na2O, MgO, Al2O3, SiO2, P2O5, SO3, K2O, CaO, TiO2, Cr2O3, V2O5, MnO et FeO), est mesurée à l’aide d’une microsonde électronique. L’hypothèse sous-jacente de cette approche suggère que la variabilité de composition des inclusions de scorie reflète celle des minerais (Hedges and Salter, 1979). Depuis ces travaux pionniers, de nombreuses études ont démontré que la composition des inclusions de scorie peut être largement influencée par la contribution d’autres composants du système de réduction tels que le combustible (charbon de bois) ou la paroi du four (argile réfractaire) (e.g. Buchwald et Wivel, 1998 ; Paynter, 2006 ; Rostoker et Bronson, 1990 ; Tylecote, 1986 ; Dillmann and l’Héritier, 2007 ; Mameli et al., 2014 ; Benvenuti et al., 2013, 2016). Du fait de ces contributions parfois importantes, la composition en certains éléments majeurs des inclusions de scorie se rapporte davantage à un système de production (minerai-combustible-polluants) qu’à un minerai particulier.

De nombreux exemples d’analyses des éléments majeurs dans des inclusions de scories sont disponibles dans la littérature. Certains auteurs se sont intéressés au mode de production (i.e. direct ou indirect) d’objets en fer ainsi qu’aux différents types d’opérations post-réduction (Piaskowski, 1992 ; Rostoker and Dvorak, 1990 ; Starley 1999 ; Kramar et al., 2015). D’autres ont utilisé l’analyse des éléments majeurs pour tenter de déterminer la provenance d’objets archéologiques (e.g. Buchwald et Wivel, 1998 ; Buchwald, 2005 ; Blakelock et al., 2009 ; Mameli et al., 2014).

De la même façon que les éléments majeurs, la composition en éléments mineurs, notamment métalliques, peut être mesurée par diverses méthodes analytiques (e.g.

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microsonde électronique, diffraction des rayons X, LA-ICP-MS) dans le but de déterminer des sources de provenance ou de restituer les procédés métallurgiques anciens. Par exemple, Rehren et al. (2013) ont utilisé cette méthode pour démontrer l’utilisation de fer météoritique pour la fabrication de lames dans l’Egypte ancienne. On peut également citer les travaux de Benvenuti et al. (2013, 2016) qui ont mis en évidence l’importation de minerais de l’ile d’Elbe pour la production de fer en Toscane (nord de l’Italie) aux époques étrusque et romaine. Le métal produit peut alors être tracé grâce aux fortes teneurs en Sn et W de ces inclusions de scorie. En outre, cette méthode présente également l’avantage d’être également applicable aux métaux non-ferreux (e.g. Mahé-Le-Carlier et al., 2011 ; Ling et al., 2013, 2014).

2.1.2 Analyse des éléments en traces

En 2003, Coustures et al. ont développé l’analyse des éléments en traces dans les inclusions de scories pour déterminer l’origine d’objets en fer. Cette approche s’appuie sur des éléments réfractaires qui restent dans la phase vitreuse des inclusions de scories et dont les rapports ne sont pas impactés par les procédés de réduction. L’ablation laser couplée à la spectrométrie de masse (LA-ICP-MS) a permis l’analyse de la composition en éléments en traces dans le verre des scories directement sur les objets, sans passer par une dissolution de l’échantillon. Les auteurs ont alors défini des couples d’éléments en traces ayant le même nombre d’électrons de valence et un rayon ionique équivalent (i.e. Ba–Sr, Rb–Cs, Hf–Zr, Th– Zr, Th–Hf, Nb–Ta et La–Ce). La similarité physico-chimique de ces éléments induit un comportement chimique identique tout au long de la chaîne opératoire métallurgique. Ainsi, bien que leurs concentrations soient affectées lors de la phase de réduction, le rapport de chacun de ces couples d’éléments reste inchangé depuis le minerai jusqu’aux inclusions de scorie contenues dans le métal, permettant de discriminer différentes sources de provenance.

De nombreuses études utilisant cette méthode de traçage sont disponibles dans la littérature. Pour exemple, on peut citer les travaux de Desaulty (2008) et Desaulty et al. (2009) qui utilisent les éléments en traces, en complément des éléments majeurs pour déterminer la provenance des renforts en fer utilisés pour la construction des églises

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médiévales de Rouen et Beauvais (nord de la France). Ces études ont alors démontré que ces renforts ne provenaient pas de la région sidérurgique du pays de Bray, pourtant toute proche. Coustures et al. (2006) et Baron et al. (2011a) ont appliqué cette méthode à l’étude de la provenance de barres de fer découvertes dans des épaves Romaines au large des Saintes-Maries-de-la-Mer (Bouches-du-Rhône, sud-est de la France). Ces travaux ont mis en évidence l’existence de plusieurs provenances pour ces barres de fer archéologiques, dont celle du district minier de la Montagne Noire.

2.1.3 Méthodes statistiques

Au-delà de la simple comparaison de compositions élémentaires des minerais, scories de réduction et inclusions de scorie contenues dans le métal, un certain nombre d’outils statistiques peuvent être utilisés pour les études de provenance des matériaux ferreux (e.g. Charlton et al., 2010, 2012 ; Leroy et al., 2012, 2014 ; Dillmann et al., 2015 ; Disser et al., 2014, 2016). Ces méthodes s’appuient sur un grand nombre d’analyses élémentaires de minerais, scories ou inclusions de scories piégées dans le métal. Un premier traitement des données permet de prendre en compte d’un grand nombre d’éléments chimiques, ainsi que de s’affranchir des effets d’enrichissement liés à la réduction de façon à ne garder que les marqueurs de composition hérités du minerai. Une normalisation par division de chacune des concentrations élémentaires par celle d’un élément chimique ou par la moyenne de plusieurs éléments, servant de standard interne, est utilisée pour obtenir une représentation invariante (Leroy et al., 2014). Suite à cela, différents outils de l’analyse statistique multivariée peuvent être utilisés pour la comparaison d’objets métalliques, la comparaison de plusieurs ensembles de production (minerai et scories), ou encore la comparaison d’un ensemble de production avec un objet ou un groupe d’objets métalliques. Parmi ces méthodes statistiques, on distingue les approches « non supervisées » telles que l’Analyse en Composantes Principales (ACP) et la Classification Hiérarchique (CH), qui ne prennent pas en compte les possibles liens d’appartenance et de filiation entre les échantillons, et les approches « supervisées », notamment l’Analyse Discriminante Linéaire (ADL), qui permettent de comparer des ensembles de données de densités différentes selon qu’ils ont été acquis sur un objet (une dizaine d’analyses sur des inclusions de scorie) ou sur un

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ensemble de production (une centaine d’analyses sur des scories et minerais). Des descriptions plus approfondies de ces outils statistiques et du contexte de leurs utilisations sont disponibles dans les travaux de Leroy et al. (2014), Dillmann et al. (2015) et Disser et al. (2016).

De nombreux exemples de l’utilisation d’outils statistiques pour des études de provenance de matériaux ferreux sont disponibles dans la littérature (e.g. Charlton et al., 2010, 2012 ; Leroy et al., 2012 ; Disser et al., 2014, 2016). On peut citer les travaux de Leroy et al. (2012) qui ont testé des hypothèses de provenances entre des objets et des minerais d’Ariège (sud-ouest de la France) par l’analyse des éléments en traces, combinée à des Analyses Discriminantes Linéaires (ADL). Les résultats obtenus montrent que la circulation du fer en Ariège à l’époque médiévale ne se limitait pas à cette seule aire géographique et mettent en évidence l’existence d’échanges avec d’autres régions, ce qui concorde avec les sources historiques. Un second exemple est celui de Disser et al. (2014) qui ont étudié les procédés de fabrication des renforts métalliques des Cathédrales de Beauvais et de Metz. La combinaison d’analyses élémentaires et d’analyses statistiques multivariées (ACP, CH et régression logistique) ont alors permis de différencier les renforts produits par la méthode directe et ceux produits par la méthode indirecte de réduction du fer.