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Chapitre I : Production et traçage des métaux anciens

2. Méthodes actuelles de traçage des métaux anciens

2.3 Limites du traçage des métaux

Chacune des méthodes de traçage actuelles présente un certain nombre de limites qui montrent la nécessité de développer de nouveaux traceurs, en complément de ceux déjà existants. Comme l’ont montré un certain nombre d’études (e.g. Klein et al., 2009 ; Degryse et al., 2007 ; Desaulty et al., 2011 ; Brauns et al., 2013), seul le croisement des résultats obtenus à l’aide de plusieurs traceurs peut permettre de valider des liens de provenance entre des objets et des régions de production.

2.3.1 Limites du traçage des métaux ferreux par les analyses élémentaires

Une limite majeure des méthodes de traçage élémentaire provient de la nécessité de travailler sur des inclusions de scorie et non directement sur le métal. La détection et l’analyse d’inclusions suffisamment grandes pour être analysées et suffisamment nombreuses pour être représentatives de la composition d’un objet peut nécessiter de découper ce dernier. Cette détérioration importante peut s’avérer problématique pour les études de provenance d’objets rares et de pièces de musée. Cela est d’autant plus vrai pour un métal trop épuré qui ne contiendra que peu ou pas d’inclusions de scories.

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Une autre limite du traçage des métaux ferreux par les analyses chimiques d’éléments majeurs ou en traces vient des possibles recoupements de composition entre des matériaux issus de régions de production distinctes (e.g. Leroy et al., 2014, Charlton, 2015). A contrario, l’hétérogénéité de la composition élémentaire de matériaux provenant d’une même région, voire d’un même site de production peut également limiter la détermination de sources de provenance (e.g. Baron et al., 2011a). Ces limitations sont intrinsèquement liées à la variabilité des minerais sources. En effet, la composition élémentaire des différents minerais de fer peut être très variable à l’échelle d’un district minier, d’un gisement, ou même d’un filon, ce qui augmente la probabilité de recoupement de composition de minerai de région distincte. De plus, la contribution du combustible, de la paroi de four et/ou d’ajouts potentiels peut être importante pour certains éléments. Ainsi, la composition des inclusions de scorie contenues dans le métal est d’avantage héritée d’un système de production (minerai-combustible-polluants) que d’un minerai spécifique (e.g. Coustures et al., 2003; Dillmann et l’Héritier, 2007; Blakelock et al., 2009). Dans un tel cas, la provenance d’un objet doit être reliée à un atelier de production plutôt qu’à une mine spécifique. A cela s’ajoute l’influence potentielle des étapes d’épuration et de forgeage du métal sur la composition élémentaire des inclusions de scories (Blakelock et al., 2009 ; Disser et al., 2014 ; Dillmann et al., 2015), notamment par l’ajout de silice pour éviter l’oxydation du métal. Cela peut induire une hétérogénéité de composition élémentaire entre les inclusions de scorie d’un même objet. Toutefois, le choix de traceurs pertinents, seulement hérités du minerai (e.g. Desaulty et al., 2009; Benvenuti et al., 2013; Benvenuti et al., 2016) et l’analyses d’inclusions de scorie formées durant la réduction, plutôt que durant les traitements post réduction (e.g. Disser et al, 2014; Dillmann et al., 2015) peuvent permettre de lier un objet à une source géologique. Malgré ces considérations, une certaine hétérogénéité élémentaire peut persister entre les inclusions de scorie d’un objet en fer.

2.3.2 Limites du traçage par les analyses isotopiques

La variabilité isotopique du plomb peut permettre de distinguer différents types de minerais à l’échelle d’un gisement ou d’un district minier, ce qui peut être un avantage en terme de traçabilité. En effet, un district minier peut avoir été formé par un ou plusieurs épisodes de

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minéralisations ayant des compositions isotopiques variables du fait de l’effet réservoir du Pb et/ou de l’âge des fluides minéralisateurs. Cette différence isotopique entre des minerais de sources hydrothermales distinctes est illustrée dans la figure la Figure I-4a) dans le cas de la mine de plomb argentifère d’Imiter dans l’Anti-Atlas marocain. Toutefois, à une échelle plus grande, cette variabilité isotopique peut induire un recoupement plus ou moins important de la composition de minerais issus de différentes régions. Par exemple, la figure I-4b) montre l’importance du recoupement de la composition des isotopes du Pb pour des minerais issus de diverses régions du monde, comme par exemple entre l’Allemagne et l’Irlande, la Tunisie et la Grèce, ou encore Chypre et le Nouveau Mexique. Ainsi, de la même manière que pour les méthodes élémentaires, les recoupements de compositions isotopiques de matériaux issus de régions distinctes constituent la principale limite des traceurs isotopiques.

Figure I-4 : a) Composition isotopique du plomb de galènes de la mine d’argent d’Imiter au Maroc (d’après Pasava, 1994). On distingue deux groupes de composition distincte correspondant à deux évènements hydrothermaux de minéralisation. b) Composition des isotopes du Pb dans des minerais

de plomb (galène) issus de différentes régions du monde (les références sont incluses dans la légende).

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De plus, certains auteurs ont émis des réserves quant à la conservation de la composition isotopique du plomb lors du traitement métallurgique (réduction de minerai, coupellation, affinage du métal), ou lors de processus d’altération naturels de matériel archéologique (Budd et al., 1995 ; Pollard and Heron, 2008). Par exemple, on peut citer l’hypothèse d’une vaporisation importante du Pb hors équilibre isotopique qui pourrait déplacer la composition isotopique du métal extrait par réduction en dehors du domaine de composition isotopique du minerai de départ (Pollard and Heron, 2008). On peut également citer la possibilité d’un fractionnement isotopique du Pb induit par la corrosion aqueuse d’un objet. Néanmoins, d’autres études ont démontré que la vaporisation du Pb et la corrosion n’engendre aucun changement de la composition isotopique du Pb (e.g. Barnes et al., 1978 ; Stos-Gale et Gale, 2009 ; Snoek et al., 1999). Enfin, le mélange du plomb issu de sources différentes, notamment par l’utilisation d’ajouts lors de la réduction ou lors de la production d’alliages métalliques, peut grandement limiter le potentiel de traçage des isotopes du plomb.

Plusieurs études ont tenté d’utiliser des méthodes isotopiques pour déterminer la provenance de métaux ferreux. Les résultats de l’utilisation des isotopes du plomb montrent que les différentes sources de minerais analysées ont des compositions relativement bien contraintes par leur signature isotopique en Pb (Schwab et al., 2006 ; Degryse et al., 2007, 2009). En revanche, les objets ferreux étudiés montrent une hétérogénéité isotopique importante qui limite l’utilisation des isotopes du plomb pour le traçage des métaux ferreux (Brauns et al., 2013 ; Charlton, 2015). En ce qui concerne les isotopes du strontium, la contribution du combustible et de la paroi de four peut être importante (Brauns et al., 2013), limitant alors la détermination d’une source de minerai spécifique.

Ces limites mettent en exergue la nécessité de développer de nouveaux outils isotopiques pour les études de provenance des métaux ferreux et non ferreux. Ces nouveaux traceurs ne peuvent avoir vocation à remplacer les méthodes actuelles et doivent être utilisés en complément de traceurs classiques, élémentaires ou isotopiques. Si plusieurs systèmes isotopiques tels que le Cu et l’Ag ont été développés avec succès pour le traçage des métaux non ferreux (e.g. Klein et al, 2004, 2009 ; Desaulty et al., 2011), il n’existe à ce jour aucun traceur isotopique pour le traçage des métaux ferreux.

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