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5.1 Objectif principal

L’objectif principal de ce programme expérimental consiste à évaluer l’influence respective de deux composantes du transfert du patient sur les perceptions et réactions du thérapeute. Plus précisément, le programme vise à évaluer l’influence du contenu verbal et des expressions non verbales du patient sur les tendances à l’action du thérapeute et sur sa perception du transfert du patient.

L’intérêt porté à l’influence du contenu verbal formulé par le patient représente la position des chercheurs qui n’étudient le transfert qu’à partir de transcriptions du verbatim d’entrevues de thérapie (voir l'introduction). L’importance qu’ils accordent au contenu verbal découle de l’hypothèse voulant que la structure objectale qu’on peut en extraire émane de l’activation d'une façon particulière et persistante d'entrer en relation. Par ailleurs, l’intérêt porté à l’influence des expressions non verbales du patient est soutenu par la conception que Krause et Lütolf (1988) ont dérivée de leurs travaux empiriques, i.e. que le transfert se manifeste en grande partie par les canaux de communication non verbale. Cet intérêt reflète également la pratique traditionnelle de la psychothérapie psychanalytique, au sein de laquelle l’analyste porte une grande attention aux gestes, aux attitudes, aux

mimiques et aux signaux “ affectifs ” du patient (Greenson, 1967; Kernberg et al., 1989; Clarkin, Yeomans, & Kernberg, 1999).

Si le transfert s’actualise principalement par le canal verbal, la perception du transfert du patient par le thérapeute devrait être compatible avec le contenu verbal du patient et, par extension, son patron relationnel. Par contre, si le transfert se déploie principalement par les voies non verbales, la perception du transfert du thérapeute devrait refléter les expressions non verbales du patient. Et si tel est le cas, les mécanismes décrits par la littérature sur la contagion émotionnelle et l’empathie suggèrent que les réactions affectives du thérapeute puissent influencer sa perception du transfert du patient. Notons qu’une bonne partie de la pratique de la psychothérapie psychanalytique, soit l’analyse du contre-transfert du thérapeute, repose directement sur cette conception (e.g., Greenson,

1967; Kernberg et al., 1989; Clarkin, Yeomans, & Kernberg, 1999) et que, même si elle n’a pas vraiment été démontrée au plan empirique et que nous en ignorons toujours les

mécanismes définitifs, elle bénéficie déjà d’une grande crédibilité, voire validité.

En réalité, il serait étonnant que l’effet respectif du contenu verbal et des expressions non verbales soit aussi net et tranché qu’on ne le suggère au paragraphe précédent. En effet, il est peu probable que les manifestations verbales et non verbales d'un

patient soient indépendantes entre elles. Néanmoins, cette distinction est théoriquement nécessaire afin de pouvoir évaluer l’influence relative de chacune de ces composantes sur les perceptions et réactions thérapeute.

5.2 Hypothèses et protocole expérimental

Pour étudier l’influence relative du contenu verbal et des expressions non verbales du patient sur les perceptions et réactions du thérapeute, nous avons créé un cadre

expérimental au sein duquel des participants réagissent à des extraits audiovisuels de thérapie. Afin de maximiser la validité écologique, les stimuli utilisés sont extraits de séances de psychothérapies véritables menées en langue allemande (nous expliquons pourquoi au paragraphe suivant). Pour le rendre compréhensible par les participants, chaque extrait est accompagné d’une traduction sous-titrée des propos tenus par le patient. Avant chaque visionnement, les données socio-démographiques du patient ainsi que les propos qui marquent l’ouverture de la rencontre d’où l’extrait a été tiré sont présentés aux participants. Ces renseignements sont offerts afin de faciliter leur compréhension des extraits. Ils constituent une sorte de fondation sur laquelle les participants peuvent construire un “ modèle ” interne du patient qu'ils peuvent ensuite modifier au fur et à mesure de l'apparition de données nouvelles (Greenson, 1967, pp. 100-101; voir aussi Robbins & Jolkovski, 1987, pour !’implication d’un modèle théorique du patient sur le contre-transfert du thérapeute).

Pour vérifier les effets principaux du contenu verbal et des expressions non verbales des patients sur les variables dépendantes, il faut pouvoir les manipuler de façon

indépendante. En d'autres termes, le contenu verbal prononcé par un patient doit pouvoir être séparé des expressions non verbales qu'il produit au même moment. L'utilisation d'extraits vidéo permet d'effectuer cette séparation, pour autant que le langage parlé soit incompréhensible pour les participants (l'allemand). Dans ce cas, il devient possible de présenter en simultané à l'écran et la traduction des propos tenus par le patient, à l'aide d’un procédé de sous-titrage, et les expressions sonores et visuelles du patient. Puisque les

verbalisations sont incompréhensibles pour les participants, elles ne représentent qu'une série d'expressions non verbales (prosodie, tonalité, rythme, etc.) au même titre que les expressions faciales et gestuelles. Les sous-titres deviennent ainsi l'unique représentant du contenu verbal, qui peut alors être manipulé de façon quasi indépendante des expressions non verbales (“ quasi ” puisqu’il faut tout de même respecter le rythme et la densité des verbalisations du patient).

Le protocole expérimental inclut deux études. Le but de la première étude est exploratoire et consiste à évaluer l’impact du seul contenu verbal sur les perceptions du transfert et les réactions affectives des participants. En effet, compte tenu de l’aspect innovateur de notre protocole de recherche et de !’utilisation de nouvelles mesures, nous avons voulu vérifier la faisabilité de notre procédé expérimental en n’utilisant que le “ contenu verbal ” des extraits (présenté par écrit). Une cinquantaine d’étudiants au baccalauréat a pris part à cette étude.

Le but de la seconde expérimentation est de vérifier formellement l'hypothèse que la perception du transfert et les tendances à l'action du participant dépendent à la fois du contenu verbal et des expressions non verbales du patient. Contrairement à la première étude, nous avons cette fois fait appel à une quarantaine de participants qui avaient un minimum d’expérience clinique en tant que thérapeute.

Il importe enfin de préciser que, de façon implicite, notre manipulation repose sur l’hypothèse que les expressions non verbales, incluant les caractéristiques de la voix, sont relativement universelles ou du moins semblables entre les cultures québécoises et

allemandes (voir Scherer, 1988; Scherer & Bergmann, 1984). Bien sûr, il est possible qu’il existe certaines différences mineures, comme par exemple la possibilité que la langue allemande soit jugée comme étant plus “ rude ” par les Québécois en raison de sa prononciation plus gutturale. Cependant, comme nous l’avons expliqué, notre design expérimental est comparatif, i.e. qu’il vise à identifier les différences qui existent entre les patients. Ainsi, dans l’éventualité où la nationalité allemande exerce un biais perceptuel

chez nos participants québécois, ce biais serait présent à l’égard de tous les patients et ne jouerait aucun rôle au plan des différences. Nous reparlerons de ce sujet dans le cadre de la

discussion générale.