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3.1 La personnalité du thérapeute

La plupart des chercheurs cliniciens sont d’avis que la technique psychothérapeutique ne peut être séparée de la personnalité du thérapeute (Butler & Strupp, 1986). Greenson (1967), bien qu’il ne soit pas à proprement parler un chercheur, précise cette conception : selon lui, les compétences du thérapeute ne dépendent que partiellement de son

entraînement et de son expérience, puisqu’elles sont directement liées à sa personnalité et à son caractère : tempérament, sensibilité, attitudes (intérêt, curiosité, humilité, réceptivité, empathie, etc.), habitudes, valeurs et intelligence (Greenson, 1967, pp. 380-381). En d’autres termes, Greenson considère que la personnalité du thérapeute influence sa compréhension du patient et, par conséquent, sa compréhension du transfert (p. 381).

D’autres chercheurs ont montré que la personnalité du thérapeute ou, à tout le moins, certains de ses traits durables, influence son contre-transfert. Par exemple, ils ont démontré que sa compétence (Fiedler, 1951), ses besoins personnels (Cutler, 1958), ses attitudes (Strupp, 1960), et son anxiété (Yulis & Kiesler, 1968) exercent un effet significatif sur son contre-transfert (voir également Butler et al., 1993).

Étonnamment, peu d’études ont été entreprises pour évaluer l’effet de la personnalité du thérapeute sur sa perception du transfert du patient et sur son propre contre-transfert. Le caractère succinct des deux paragraphes précédents en témoigne. Ceci est d’autant plus surprenant que, comme nous l’avons souligné à la section 2.5 lors de la discussion sur l’empathie, la littérature psychanalytique a dès le début insisté sur les caractéristiques de la personnalité du thérapeute et continue encore aujourd’hui à le faire. Peut-être les

psychanalystes sont-ils réticents à se dévoiler en permettant à leurs collègues de mesurer de façon systématique leur personnalité et leur facilité à comprendre le transfert des patients. Peu importe, l'ensemble de ces travaux, qu’ils soient empiriques ou théoriques, souligne la nécessité de tenir compte de la personnalité du thérapeute lors de l’étude du transfert et du contre-transfert.

Au sein de cette entreprise, on risque toutefois de se buter à des éléments assez épars : Greenson parle de personnalité, de caractère, et de certaines caractéristiques durables, alors que d'autres soulignent l'importance des besoins personnels, des attitudes et de l'anxiété. Or, pour Kernberg (1992), l’essence de la personnalité repose sur un ensemble d’entités

affectivement liées entre elles : les représentations de soi et les représentations d’objet. Puisqu’elles en sont le fondement, ces représentations devraient pouvoir " résumer ” une part importante des caractéristiques de la personnalité mentionnées ci-dessus. Par exemple, le monde objectai du thérapeute pourrait faciliter ou empêcher le déploiement des processus d'identification nécessaires à l’empathie. Un thérapeute dont les objets internes sont

exigeants et punitifs pourrait en effet mal comprendre la vraie nature d’une critique qu'un patient lui adresse. Il pourrait craindre d’avoir fait une erreur et chercher à s'en défendre ou à réparer la situation, au lieu de comprendre que le patient a projeté sur lui une partie dévaluée de lui-même avec laquelle il est en interaction. Sa compréhension des processus transférentiels s'en trouverait alors modifiée, de même que son contre-transfert.

Plusieurs méthodes ont été utilisés pour évaluer le monde objectai d'un individu, ou ses “ relations d'objet ” (les relations que le soi entretient avec les objets internes). Diguer,

Morrissette et Normandin (1997) en ont recensé une huitaine. Certaines de ces méthodes, comme par exemple le “ Object Relation Inventory ” (“ ORI Blatt, Wieseman, Prince- Gibson, & Gatt, 1991) et le “ Social Cognition and Object Relations Scale ” (“ S CORS Westen, Ludolph, Lerner, Ruffins, & Wiss, 1990), font appel à des entrevues semi-

structurées, ou requièrent encore la récolte de récits d'événements ayant impliqué l’individu avec d'autres personnes. Ces méthodes sont généralement coûteuses au plan temporel et requièrent !’investissement d’un certain nombre de juges indépendants. Par contre, la recension de Diguer et al. rapporte l’existence d’une mesure auto-révélée, la seule en fait : le Bell Object Relations Inventory (BORI; Bell, Billington & Becker, 1986; voir annexe D). Cette mesure est simple et rapide à administrer, et démontre une bonne fidélité et une bonne consistance interne (Bell, 1991). Ces atouts en font un instrument particulièrement bien adapté à notre procédure expérimentale. Nous l’utiliserons ainsi pour évaluer la

personnalité des participants.

Le Bell Object Relations Inventory mesure quatre dimensions du monde objectai d'un individu : l'aliénation, l'attachement, l'égocentricité et l'incompétence sociale. L'échelle aliénation regroupe les questions sur la confiance de base dans les relations

interpersonnelles; l'échelle attachement insécure porte sur les difficultés liées aux

séparations; l'échelle égocentricité évalue la confiance face aux motivations des autres et la tendance à considérer les autres comme des instruments qui permettent d'atteindre ses propres buts; enfin, l'échelle incompétence sociale mesure la timidité et l'anxiété lors des interactions avec autrui (Bell, 1991).

3.2 L’expérience du thérapeute

L’idée que l'expérience du thérapeute améliore sa perception du transfert et la prise en compte de son contre-transfert est banale tellement elle apparaît réaliste. Greenson (1967), par exemple, soutient que le bagage de connaissances cliniques et théoriques tiré du travail avec les patients, de la lecture d'histoires de cas et de la participation à des

théoriques sont utiles puisqu’elles permettent souvent de comprendre ce qui au préalable a été perçu de façon empathique et non consciente (pp. 370-371). Par ailleurs, il considère l'analyse personnelle du psychanalyste comme étant très importante puisqu'elle lui permet de contrôler ses conflits inconscients et de les rendre accessibles pour utilisation dans le travail avec ses patients (p. 364).

L’influence de l’expérience du thérapeute n’est cependant pas toujours positive. Dans leur programme d’études, Normandin et Bouchard (1993) et Lecours, Bouchard et

Normandin (1995) ont testé l’hypothèse que les thérapeutes expérimentés ont une attitude contre-transférentielle plus réflexive (contre-transfert en tant que sujet participant,

partiellement conscient) et moins réactive (contre-transfert réactif, correspondant à la définition freudienne étroite) que les thérapeutes débutants. Cette hypothèse reflète le point de vue intuitif voulant que les jeunes thérapeutes réagissent souvent de façon inconsciente au transfert du patient. Or, leurs résultats ont présenté exactement le contraire : les

thérapeutes débutants ont montré plus d'activité réflexive et moins de contre-transfert réactif que leurs aînés. Normandin et ses collaborateurs expliquent ces résultats en

invoquant la plus grande liberté d'expression des thérapeutes expérimentés et la plus grande ouverture des thérapeutes débutants quant à leur contribution au processus thérapeutique (puisqu’ils sont toujours en formation). Quoiqu'il en soit, leur expérimentation démontre que l'expérience professionnelle exerce une influence sur le contre-transfert ainsi que sur l'activité réflexive responsable de la compréhension des éléments transférentiels. Partant, elle doit être prise en considération dans les recherches qui étudient ces processus. Suivant Greenson, il serait également intéressant de pouvoir distinguer les thérapeutes qui ont bénéficié d’une thérapie personnelle de ceux qui n’en ont pas bénéficié. Cependant, compte tenu du caractère confidentiel de ce genre d'information et des limites déontologiques qui lui sont associées, seuls les mois d'expérience en tant que thérapeutes seront comptabilisés.