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« Car il n’y a pas de sentiment dans le commerce, il n’y a que des chiffres » Au bonheur des Dames, Zola, 1883

Quiconque travaillant sur le commerce a déjà entendu le célèbre adage de l’historien Henri Pirenne : « la ville est fille du commerce ». Si des controverses existent sur la nature exacte des liens qui associent l’essor des villes au commerce, les historiens s’accordent sur l’importance des activités marchandes dans l’histoire des villes. C’est au cœur des cités, à la lisière des bourgs que se développent de grandes foires où les marchands se donnent rendez-vous (Braudel, 1985). Aux XIIème et XIIIème siècles, les villes deviennent des espaces privilégiés pour l’échange de produits de luxe et de première nécessité. Sur la foire de Bruges, grande ville de commerce au Moyen-Âge, on pouvait trouver du vin et du sel de France, du bois et du poisson de Norvège, du cuir et des fourrures de la Baltique, de la laine et de l’étain d’Espagne, de la soie et des épices d’Orient et même des fruits importés de Grèce ou de Castille (Stabel, 2011). Les cités marchandes n’hésitent pas d’ailleurs, à se transformer pour accueillir cette activité commerciale florissante : on érige des entrepôts pour stocker les marchandises, on construit des halles pour héberger les marchés. La foire rythme la vie urbaine. Les quartiers de la ville sont investis par les métiers de l’artisanat et il n’est pas rare de voir encore aujourd’hui, les rues de nos villes porter le nom des activités qu’elles accueillaient jadis : qui n’a jamais parcouru une rue des filatiers ou une rue des changes ?

Les activités marchandes participent aux transformations des sociétés urbaines et c’est toujours vrai de nos jours. Le commerce constitue encore aujourd’hui un marqueur fort d’urbanité. Avec la densité du bâti, c’est bien l’alignement des vitrines et des devantures commerciales qui nous donne cette impression « d’être en ville » (Péron, 1993). Le commerce, par les flux qu’il engendre et par son architecture, contribue à façonner et à animer la ville contemporaine. Cette dernière offre en échange un cadre plus ou moins propice à l’activité économique. Le commerce et la ville : présentée d’abord comme une « relation d’évidence » (Lemarchand, 2008), les discours tendent de nos jours à en dresser un portrait inquiétant. Depuis les années 1960, on assisterait en effet à un « divorce » progressif, mais potentiellement radical, entre ces deux entités. Le commerce qui

avait toujours « construit » la ville contribuerait maintenant à la « défaire », à la déstructurer. De fait, il faudrait « réconcilier » le commerce avec son environnement urbain et « reconstruire » les conditions de l’entente historique entre ville et commerce.

Derrière ces discours, c’est l’ambivalence du commerce et de ses fonctions dans la société qui sont mises en exergue par politiciens et chercheurs. En effet, d’un côté, le commerce est au cœur de l’économie marchande. En raison de son rôle de distribution, il participe à la circulation des marchandises, assure le lien entre les fonctions de production et de consommation. C’est l’objet économique par excellence : quelle meilleure illustration que le marché comme lieu de rencontre entre une offre et une demande ? Pourtant, nous sommes loin de l’économie « froide » du marché néoclassique. Il suffit de parcourir l’histoire du commerce pour constater que les mutations de l’appareil commercial entraînent souvent des réactions virulentes et passionnées de la part des citoyens, de la sphère politique et du monde économique lui-même. Si le commerce suscite autant de passions, c’est bien parce qu’il bénéficie d’un statut à part dans la société française. Dans les discours produits à son propos, le commerce, ce n’est jamais « que » de l’économie : c’est aussi la facette humaine des échanges marchands, du lien social, « l’âme d’une ville », une partie de son histoire et de son animation.

Le commerce apparaît donc comme un objet « chaud », un marché sans cesse « réchauffé » par les représentations, intérêts et sentiments qui lui sont associés (Geiger et al, 2015). Le commerce est successivement paré des meilleures vertus et décrié pour être à la source de nombreux maux.

Son développement suscite des réactions contradictoires. Vecteur de brassage social, le commerce produit du lien, s’inscrit au cœur des sociabilités de quartier, constitue un espace public où se rencontrent et se forment des identités collectives. Mais il concourt aussi à de multiples formes de ségrégation — sociale, sexuelle, ethnique et spatiale — et exacerbe les inégalités existantes, forme des enclaves pour les groupes aisés et offre des lieux de rassemblement pour les communautés ethniques. Le commerce, c’est la convivialité du café, l’interconnaissance chez le coiffeur, mais aussi l’anonymat du supermarché et « la sociabilité froide » des centres urbains (Joseph, 1998). La contribution des nouvelles formes de distribution au sentiment d’urbanité fut par ailleurs reniée dès lors que ces dernières enlaidissaient les entrées de ville. Emmanuelle Lallement a souligné dans un article le rôle ambigu du commerce comme composante de l’identité des territoires et catalyseur de leur banalisation (Lallement, 2010).

Ces discours annonçant la séparation de la ville et du commerce donnent à réfléchir sur les représentations sous-jacentes de la ville qu’ils portent en eux. Il y a fort à parier que derrière ces constats alarmistes, ce soient des mutations profondes des fonctions sociales et économiques du commerce qui soient dénoncées, voire des transformations plus globales de la vie urbaine.

Comme le disait Jean-Pierre Bondue :

« Le commerce, par sa très grande réactivité aux changements, apparait comme un révélateur pertinent des mutations et des paradoxes qui affectent la dynamique des territoires » (Bondue, 2000 : 100).

De ce fait, il paraît nécessaire dans un premier temps, de décrire les dynamiques ayant poussé les observateurs à déplorer la division ville-commerce pour saisir les enjeux et les représentations qui motivent la production de tels discours. Les deux premiers chapitres visent à fournir au lecteur quelques repères historiques sur la relation entre ville et commerce. Nous y retraçons, au fil de la modernisation de la distribution, le rôle joué par le commerce de détail dans la vie urbaine, en décrivant les rapports singuliers qu’entretiennent les divers formats de distribution à la ville, à sa population, ainsi qu’à leurs concurrents. Le premier chapitre porte sur des mutations ciblées du commerce du XIXème siècle, qui ont fondé selon nous, le rapport contemporain entre commerce, ville et consommation. Le deuxième chapitre porte sur la deuxième moitié du XXème siècle et vise à retracer la progressive modernisation des formats de vente, essentiellement au prisme de leur inscription urbaine.

Du point de vue méthodologique, cette partie repose sur un examen de la littérature existante sur l’histoire du commerce et de la distribution de détail. La première chose qui étonnera le chercheur curieux d’explorer cette thématique sera le relatif désintérêt des sciences humaines et sociales pour cet objet de recherche (cf. encadré 1). Dès lors qu’elle est prise pour objet d’étude, l’histoire du commerce28 est classiquement appréhendée par les chercheurs en sciences sociales sous l’angle des différentes « révolutions commerciales » ayant marqué l’évolution des formats de distribution29. Ces « révolutions commerciales » — que l’on pourrait définir comme des étapes,

28 L’histoire que nous allons retracer concerne principalement la France, mais nous serons aussi amenée à voyager aux États-Unis dans la mesure où les entrepreneurs nord-américains ont largement inspiré les pratiques commerciales françaises (Villermet, 1993).

29 Parfois perçues comme de simples « ajustements des structures commerciales à l’évolution démographique française » (Messerlin, 1982 : 28) ou comme des adaptations à l’environnement social et urbain, les révolutions commerciales sont unanimement perçues comme importantes dans l’histoire du commerce. Néanmoins, les catégorisations proposées, la reconnaissance du caractère plus ou moins révolutionnaire des innovations, sont sujettes à discussion. René Péron évoque deux grandes phases de modernisation du commerce dans son livre La fin des vitrines (1989) : la première renvoie à l’émergence de la société de consommation avec la création des passages,

des moments décisifs dans le processus de modernisation de la distribution — sont volontiers associées dans la littérature, aux formes de commerce considérées comme les plus abouties ou les plus représentatives des transformations en cours des différentes phases historiques identifiées (cf. figure 5) :

« Les grands magasins au milieu du XIXe siècle ; les coopératives de consommateurs et le succursalisme dans son dernier tiers ; les magasins populaires vers 1930 ; les grands surfaces périphériques à la charnière des années soixante et soixante-dix » (Péron, 1993 : 35).

Pourtant, on ne saurait limiter l’histoire du commerce de détail à une simple description des innovations techniques ayant marqué la distribution, ni même aux success story des pionniers de la modernisation commerciale. D’une part, la focalisation sur la dimension technique ne doit pas faire oublier les transformations sociales, techniques, urbaines et économiques qui ont préparé et soutenu les mutations du commerce de détail (Péron, 1993). À titre d’exemple, la diffusion massive de l’automobile et l’invention du réfrigérateur sont venues soutenir l’apparition des grandes surfaces en périphérie des villes (Daumas, 2006a). D’autre part, l’évolution du commerce de détail ne peut être réduite à une série d’innovations ponctuelles. Comme le souligne Franck Cochoy (2008), la distribution moderne émane « d’une petite distribution en mouvement », qui ne subit pas passivement les efforts de modernisation mais participe au contraire à forger les nouveaux modèles de consommation et de vente. Autrement dit, l’histoire de la distribution n’est pas uniquement « celle de créations successives de nouveaux magasins, qui prendraient la place des magasins précédents, plus petits, devenus “primitifs” ou “démodés” » (Chatriot et Chessel, 2006 : 6). C’est aussi celle des petits commerçants qui contribuent par leurs pratiques, leurs relations et leurs résistances, à la genèse de la société de consommation (Cochoy, 2014 ; Démier, 2017 ; Hodson, 1998). Ces précautions posées permettent d’appréhender la modernisation du commerce de détail comme un processus complexe, qui engage les formats de distribution les plus modernes mais incite aussi les petits acteurs du marché à se mettre en mouvement.

des grands magasins et plus tard, des magasins populaires, tandis que la seconde concerne la transformation du commerce dans un contexte de consommation de masse, avec l’arrivée de formats tels que le discount, l’hypermarché et les grandes surfaces périphériques. Jacques Marseille quant à lui parle de trois vagues d’innovations dans le grand commerce (Marseille, 1997) : les années 1890-1910 avec les succursales et les grands magasins, les années 1930 avec les magasins populaires, et enfin les années 1960 avec le discount, le libre service et les grandes surfaces alimentaires.

Par ailleurs, l’État joue également un rôle dans l’évolution des formats commerciaux : c’est en réaction ou en prévision de ses interventions que certains commerçants décident de transformer leur activité. Nous souhaitons replacer les acteurs politiques dans l’histoire de la modernisation commerciale afin d’éclairer leur rôle dans les mutations contemporaines du commerce. En effet, les politiques déployées par les acteurs politiques viennent transformer l’activité des commerçants et les conditions d’implantation du commerce dans la ville. La mise en œuvre de telles politiques résulte souvent de la dénonciation des externalités du développement commercial sur la ville et sur la société. Ces controverses appelent à repenser le fonctionnement des marchés du commerce de détail afin d’y intégrer de nouvelles préoccupations urbaines. Néanmoins, les instruments de régulation du commerce sont eux-mêmes soumis à la critique sociale : que les débats portent sur le degré d’intervention politique souhaitable ou sur la nature des intérêts à prendre en compte dans la régulation, les instruments de l’action publique sont fréquemment l’objet de demandes de révision. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ces débats n’opposent pas des acteurs politiques en quête de régulation à des acteurs économiques soucieux de conserver leur liberté.

Analyser le processus continu de révision de ces outils constitue un bon moyen d’appréhender les controverses relatives au degré de concernement de ces marchés, et par extension, aux limites de l’intervention publique. Cela nous permet de retracer le processus par lequel le commerce est progressivement devenu un objet d’intervention publique, mais surtout de souligner que celui-ci est loin d’être un processus figé et linaire. À tout moment, la légitimité de l’action publique peut être remise en cause par de nouvelles controverses. C’est ce que démontrent les chapitres 3 et 4 portant sur l’instrumentation publique de la régulation du commerce urbain. En retracant l’essor et l’évolution des outils de l’intervention publique, nous souhaitons mettre en évidence le travail de conception de ces instruments dont le design doit permettre de concilier des objectifs difficiles à faire coexister.

ENCADRE 1. Le commerce : un continent vierge ?

Que ce soit en sociologie, en anthropologie ou en histoire, des chercheurs s’accordent à dire que le commerce est le « parent pauvre de la recherche » (Leblanc, 2017a : 5). Force est de constater que dans ce domaine, la recherche s’est surtout effectuée « de l’intérieur » par des administrateurs, des économistes, des gestionnaires, des urbanistes, des aménageurs, des géographes, voire par le monde du commerce lui-même. Cette caractéristique donne une coloration particulière à ces travaux dans la mesure où la plupart sont motivés par l’action immédiate (Gresle, 1973).

Du côté des historiens, le commerce et la distribution peinent à trouver leurs spécialistes — contrairement au secteur industriel sur lequel les travaux abondent — si bien qu’en 1979, Alain Faure évoquait un « continent vierge » (Faure, 1979). Trente ans plus tard, le vide historiographique ne semble pas comblé puisque Alain Chatriot et Marie-Emmanuelle Chessel (2006) parlent encore « de chantier inachevé » pour qualifier l’histoire de la distribution. Si de nombreux auteurs se sont attachés à décrire l’essor des grands magasins (Miller, 1987), de la société de consommation (Strasser, 1989 ; Tedlow, 1990), plus rares sont les travaux portant sur les autres formats de vente, sur les innovations des petits commerçants (Cochoy, 2014) et sur « la révolution de l’hypermarché » (Chatriot et Chessel, 2006 ; Daumas, 2006). Ce désintérêt est encore plus étonnant au regard de la richesse des sources qui sont produites par le monde du commerce, en témoigne la création d’une association pour l’histoire du commerce30, la multiplicité de magazines dédiés à la distribution31 ou encore les archives personnelles conservées par des experts du commerce comme Étienne Thil.

Quant à la sociologie et de l’anthropologie, la distribution et le commerce connaissent depuis quelques années un regain d’intérêt avec la parution de plusieurs numéros thématiques consacrés à cette question32. À première vue, l’appel du sociologue F. Gresle à développer une sociologie du commerce (1973) semble être resté sans écho, mais c’est surtout parce que les travaux existants sont disséminés dans plusieurs champs de la sociologie. Effectivement, la thématique du commerce a souvent été étudiée au prisme d’autres questionnements portant sur les bifurcations professionnelles, le travail, la qualification, le phénomène migratoire, les marchés ou encore les politiques urbaines (Leblanc, 2017a). Dans la littérature sociologique francophone, on peut tout de même citer les travaux menés sur la grande distribution, ses paysages (Cochoy, 2006 ; Péron, 2004) et ses professionnels (Cochoy et Dubuisson-Quellier, 2000 ; Cochoy, 2002 ; Barrey, 2004), sur les relations entre distributeurs et fournisseurs (Billows, 2017), sur la vente en libre-service (Cochoy, 2014 ; Grandclément, 2008), sur le travail des caissières (Alonzo, 1998 ; Benquet, 2011, 2013 ; Soares, 1998 ; Waelli, 2009) et celui des clients (Dujarier, 2008 ; Tiffon, 2009), dont l’automatisation vient redistribuer les rôles (Bernard, 2012). D’autres chercheurs ont pris le parti d’analyser les comportements politiques des consommateurs au travers d’enquêtes portant sur le commerce équitable (Le Velly, 2004) et sur la consommation engagée (Dubuisson-Quellier, 2009).

Si la grande distribution a fait l’objet d’une attention particulière, d’autres travaux se focalisent sur d’autres secteurs du commerce tels que le livre (Chabault, 2014 ; Leblanc, 1998, 2008), les télécommunications (Kessous et Mallard, 2014) et le prêt-à-porter de luxe (Peretz, 1992) ; ainsi qu’à d’autres formats de vente tels que les marchés de fruits et légumes (Bernard de Raymond, 2013) ou encore la brocante (Sciardet, 1999). À ce titre, on doit évoquer les travaux pionniers de Michèle de la Pradelle sur les marchés de plein vent (de la Pradelle, 1996) car ceux-ci ont ouvert la voie à une anthropologie des situations d’échange marchand (Lallement, 2013). Que ces échanges possèdent une dimension spectaculaire (de la Pradelle, 1996 ; Lallement, 1999) ou qu’ils relèvent au contraire, de l’ordinaire et du quotidien (Miller, 2005), l’anthropologie s’est appliquée à montrer leur inscription au sein de réseaux de sociabilités et de voisinage (Chevalier, 2007) et leur capacité à produire une urbanité particulière (Lallement, 2010). Enfin, le

« faire ses courses » (Perrot, 2009) reste également une pratique dont les multiples composantes restent à explorer.

Malgré les travaux de Franck Cochoy sur la modernisation du « petit commerce » aux États-Unis (Cochoy, 2014), on ne connaît pas grand-chose du monde ordinaire de la boutique. Rares sont les travaux qui portent sur les trajectoires sociales des commerçants indépendants (Leblanc, 2017a, 2017b), sur leurs pratiques politiques (Mayer, 1986) ou leurs tentatives d’action collective (Varanda, 2005). C’est souvent au prisme de phénomènes migratoires que ces thématiques sont abordées (Battegay, 2011 ; Berbagui, 2005 ; Ma Mung, 1992 ; Raulin, 1986 ; Zalc, 2010). De la même façon, l’inscription du commerce dans la ville reste peu étudiée par les sociologues, même si quelques uns ont

30 Site internet de l’association pour l’histoire du commerce (en ligne) : http://www.histoireducommerce.com/

(consulté le 14 juin 2017).

31 À titre d’exemple, nous pouvons citer les plus populaires dans le milieu : Libre-Service Actualités (qui existe depuis 1958) et Points de Vente (1988).

32 Voir sur ce point les différents numéros d’Ethnologie Française consacrés aux « Négoces dans la ville » (2005), aux

« Restaurants en ville » (2014) ou aux « Gens de commerce » (2017) ; les numéros de la revue Réseaux sur « Internet et le commerce électronique » (2001) ou sur « Distribution et marché : une affaire de taille et de détail » (2006) ; enfin, le numéro de la Revue Française de Socio-Economie consacré aux « crises de la grande distribution » (2016).

produit des analyses sur les politiques publiques d’urbanisme commercial (Péron, 1993 ; Mallard, 2016) ou sur l’évolution des quartiers commerciaux (Authier, 1989). Des sociologues ont parfois incorporé le commerce en creux dans leurs analyses sur les processus de gentrification (Clerval, 2013 ; Corbillé, 2010 ; Giraux, 2009 ; Leblanc, 2017b ; Tissot, 2011) ou sur les quartiers populaires (Peraldi, 2001 ; Sciardet, 2003) et leurs dynamiques de paupérisation (Larchet, 2017).

Comment expliquer ce relatif désintérêt des sciences humaines et sociales pour le commerce, en comparaison à d’autres lieux de l’économie ? Pour commencer, nous reprendrons une phrase de l’historienne Claire Zalc (2012) : l’historien, et plus généralement le chercheur en sciences sociales, est le fils de la société dans laquelle il évolue. Il y a fort à parier que le désintérêt dans le champ scientifique ne soit que le reflet de mépris, de méconnaissance présents dans nos sociétés. La figure du commerçant est assez ambivalente : elle suscite à la fois envie et méfiance. Envie car ils profitent de possibilités inédites de mobilité sociale. Que ce soient l’épicier Edouard Leclerc, ayant démarré en vendant des biscuits dans son salon, Jean-Pierre Le Roch (Intermarché), fils de paysan, ou encore Marcel Fournier (Carrefour) qui a repris la mercerie de son père, tous les trois ont bâti des empires de la distribution dont le succès laisse encore songeur aujourd’hui. Méfiance, car le commerçant fut souvent mal perçu au cours des époques (cf. les développements de Dugot, 2019). Dans une « société salariale conquérante », le monde de la boutique indépendante pouvait apparaître comme la survivance d’un modèle économique dépassé (quoi que revenu à la mode depuis) (Zalc, 2012). Aussi, le commerçant fut souvent désigné comme un marginal, attaché à sa liberté, peu enclin à se soumettre à l’État (Mersselin, 1982). L’attrait des petits indépendants pour les mouvements réactionnaires et fascistes au cours de l’histoire a pu renforcer le mépris et la suspicion qui planaient autour d’eux (Zalc, 2012).

Au-delà des représentations qui leur sont associées, la fonction des commerçants dans l’économie nationale est souvent mal comprise : le commerçant ne produit rien et s’enrichit en parasitant l’économie (Marx). Quant au poids du commerce de détail dans l’économie nationale, il est largement sous-estimé dans les représentations collectives33 (Mersselin, 1982). Cette lacune incombe en partie à la disponibilité parcellaire des données (Chatelain, 1958). Les informations sur le paysage commercial sont produites par de plusieurs organismes (chambres consulaires, INSEE, organismes privés, etc.) au moyen de différentes classifications, qui rendent difficile le recoupement des données. Il faut attendre 1967 pour que la France se décide à recenser pour la première fois son appareil commercial (Martin,

Au-delà des représentations qui leur sont associées, la fonction des commerçants dans l’économie nationale est souvent mal comprise : le commerçant ne produit rien et s’enrichit en parasitant l’économie (Marx). Quant au poids du commerce de détail dans l’économie nationale, il est largement sous-estimé dans les représentations collectives33 (Mersselin, 1982). Cette lacune incombe en partie à la disponibilité parcellaire des données (Chatelain, 1958). Les informations sur le paysage commercial sont produites par de plusieurs organismes (chambres consulaires, INSEE, organismes privés, etc.) au moyen de différentes classifications, qui rendent difficile le recoupement des données. Il faut attendre 1967 pour que la France se décide à recenser pour la première fois son appareil commercial (Martin,

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