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Intégrer le commerce dans l’urbanisme, un processus inachevé

4.2. Vers une sortie de l’urbanisme commercial régulateur ?

4.2.1.2. La loi LME (2008) : une réforme en demi-teinte…

La loi de Modernisation de l’Économie est le produit final des réflexions menées sur l’urbanisme commercial depuis le milieu des années 2000. Pour résumer l’esprit de cette loi, nous reprendrons cette phrase de Jérôme Monnet, extraite de son analyse :

« La LME apparaît donc comme une loi hybride, voire contradictoire, abrogeant les dispositions réglementaires les plus explicitement contraires à la Directive mais en renouvelant d’autres qui seront peut-être inapplicables ou attaquées en justice, sans clairement tourner la page de la « police de la concurrence » instituée par la loi Royer en faveur des « petits commerces » tout en poursuivant l’évolution vers un retour en force des principes et des instruments urbanistiques » (Monnet, 2008 : 8).

La LME reprend en grande partie les propositions de la Commission de Modernisation et intègre certaines critiques formulées dans les rapports successifs émis en 2007-2008. Le régime d’autorisation

spécifique d’urbanisme commercial est maintenu et transformé. Certains des ajustements effectués

« semblent correspondre à l’efficacité de certains lobbys et d’autres à des logiques urbanistiques » (Monnet 2008 : 7). Les critères d’évaluation dans les commissions reposent sur les impacts des projets commerciaux en matière d’aménagement du territoire, de développement durable et de protection des consommateurs, signant l’éviction des critères économiques. Jérôme Monnet (2008) souligne tout de même le manque de précision de la loi quant à la définition de ces critères :

« « L’animation de la vie urbaine » comme la « qualité environnementale du projet » sont des notions tellement floues qu’elles seront probablement inutilisables sous peine d’être formellement contestées » (Monnet, 2008 : 8)

La composition des commissions évolue également. Les représentants locaux du commerce et de l’artisanat sont évincés des commissions malgré les réticences exprimées par les chambres consulaires.

Les élus locaux deviennent majoritaires dans la commission (5 sur 8) et sont accompagnés par trois personnalités qualifiées en matière de consommation, de développement durable et d’aménagement du territoire, nommées par le préfet. Le seuil de passage en commission est relevé à 1000 m2 de surface de vente122. Conformément à la Directive Services, les porteurs de projets ne doivent plus fournir d’étude d’impact économique, ni passer par la procédure d’enquête publique pour les projets de plus de 6000 m2.

En parallèle, la loi LME procède à l’intégration partielle de l’urbanisme commercial dans l’urbanisme. En ce qui concerne le Code de l’Urbanisme, la LME autorise l’intégration de mesures commerce dans les documents d’urbanisme (PLU/SCoT). Les collectivités locales peuvent consigner dans le Document d’Orientation et d’Orientation des SCoT des objectifs relatifs aux implantations commerciales, identifier dans le SCoT et dans le PLU des espaces où doit être préservée la diversité commerciale et préciser les besoins répertoriés en matière de commerce dans le PLU. Néanmoins, selon l’étude menée par le Certu et la Fnau en 2010 sur les 300 SCoT français, peu de ces documents dépassaient le stade de considérations générales et ils restaient flous quant à l’état de l’équipement commercial (Certu-Fnau, 2010). Quant aux collectivités locales, elles sont peu nombreuses à avoir prévu des dispositions réglementaires concernant le commerce dans le PLU (Desse, 2013).

Une autre mesure apportée par la loi LME : les collectivités peuvent dès à présent intégrer à leur SCoT, un Document d’Aménagement Commercial (DAC) — rendu obligatoire par la suite par la loi Grenelle 2 (2010). L’analyse réalisée par René-Paul Desse sur six DAC en 2013 montre la diversité

122 Les communes de moins de 20 000 habitants peuvent saisir la CDAC pour les projets de plus de 300 m2. En outre, les hôtels sortent du champ d’application de la procédure (mais pas les cinémas).

des approches adoptées par les collectivités locales en matière d’aménagement commercial. La plupart de ces DAC se réfèrent à des objectifs généraux tels que l’aménagement du territoire et d’urbanisme durable, la revitalisation des centres-villes, la restriction des créations de nouveaux pôles commerciaux ou encore développer le commerce de proximité dans le cadre d’un maillage équilibré (Desse, 2013). Pourtant, ces documents restent globalement peu contraignants. En effet, la majeure partie des DAC proposent des typologies hiérarchisées de pôles commerciaux — par exemple, le DAC du Mans distingue pôle majeur, pôle d’agglomération, pôle intermédiaire et pôle de proximité — et définissent à partir de cette typologie, des préférences en matière d’implantation pour les commerces.

La planification territoriale peine à dépasser le stade du gentlemen’s agreement : des DAC s’articulent avec le PLU intercommunal comme c’est le cas de Brest mais le DAC de Besançon ne propose aucune contrainte (Desse, 2013). De fait, les membres des commissions départementales ne possèdent que trop rarement des documents d’urbanisme fiables pour asseoir leurs décisions (Gasnier, 2010).

Loin de sortir du dilemme entre régulation à l’entrée et planification locale, la loi LME (renforcée plus tard par la loi Grenelle 2) vient tout de même officialiser et renforcer le rôle des collectivités locales en termes d’aménagement commercial. Si cette loi n’apporte pas de modification cruciale du système d’autorisation préalable, elle permet tout de même de reconstruire la légitimité de l’action publique en ramenant la régulation du commerce dans le champ de l’urbanisme, soit dans le champ de compétences des collectivités locales.

4.2.2. D

E NOUVELLES TENTATIVES DE REFORME A PORTEE LIMITEE

Le bilan de la loi LME réalisé par Jean-Paul Charrié en 2009 est mitigé (Desse et Gasnier, 2014).

Dans son rapport au premier ministre « Pas de cité réussie sans commerce, pas de vitalité sans intérêt général – Avec le commerce, mieux vivre ensemble », celui-ci propose de rompre avec « l’économie administrée », de supprimer les commissions départementales et nationales et d’achever l’inscription de l’urbanisme commercial dans l’urbanisme de droit commun. L’ambition de Jean-Paul Charrié est de donner aux élus locaux l’autorité nécessaire pour agir sur l’environnement des points de vente et sur le commerce dans l’intérêt général. Malheureusement, Jean-Paul Charrié décède à la fin de l’année. Ses propositions seront reprises dans un projet de loi relatif à l’urbanisme commercial, dit projet de loi Piron-Ollier déposé en 2010 (Desse, 2013). Conformément à l’esprit du rapport Charrié, ce projet considère que le commerce doit être inscrit dans les documents de planification. Pour cela, le projet de loi propose que le Document d’Aménagement Commercial comprenne une typologie de

localisations préférentielles pour les futurs commerces : d’un côté les centralités urbaines qui seraient libres de prescriptions, de l’autre côté, les zones d’aménagement commercial qui seraient soumises à des prescriptions particulières. Le projet de loi spécifie que les Plans Locaux d’Urbanisme devraient aussi être compatibles avec les Documents d’Aménagement Commercial, ce qui permettrait aux élus de refuser ou d’accepter un commerce dès le dépôt d’une demande de permis de construire.

Nous pourrions penser qu’avec ce projet de loi, l’intégration de l’urbanisme commercial dans l’urbanisme touchait à son terme mais c’était sans compter sur l’action d’un certain nombre d’acteurs décidés à retarder les débats parlementaires. Deux ans plus tard, le projet de loi, sujet à l’enlisement, n’est toujours pas voté. Bien que les sénateurs aient transformé le texte au printemps 2011, celui-ci est toujours en attente de relecture par l’Assemblée nationale à l’automne. Si l’objectif de rapprocher urbanisme et urbanisme commercial semble unanime et partagé, la définition des moyens pour y parvenir fait débat entre le gouvernement et les sénateurs. La typologie des activités commerciales proposée par les parlementaires fait partie des points contestés car la classification proposée tient peu compte des évolutions de l’appareil commercial. La possibilité d’interdire de nouvelles implantations sur certaines zones est perçue comme source de contentieux avec les directives européennes. Au final, le projet est abandonné. Il faut dire que ce statu quo profitait à de nombreux acteurs — promoteurs, distributeurs, élus locaux — qui ne souhaitent pas voir disparaitre les commissions départementales et avec elles, leur souplesse de négociation à l’échelon local (Desse, 2013).

Les années 2010 sont marquées par l’arrivée de nouvelles réformes dans l’urbanisme commercial, durant le nouveau mandat présidentiel : les lois ALUR et Pinel. Ces deux lois, qui se complètent, viennent prolonger le processus d’intégration de l’urbanisme commercial dans l’urbanisme sans pour autant achever ce dernier. Autrement dit, ils n’offrent pas la réforme tant attendue de l’urbanisme commercial — qu’avait incarnée le projet de loi Piron-Ollier — mais proposent tout de même des ajustements du régime existant. Il faut noter que ces deux lois ont fait l’objet de vives discussions. La loi ALUR, défendue par la ministre Cécile Duflot, a fait l’objet de plusieurs relectures par le Sénat et l’Assemblée Nationale et a suscité une quarantaine d’heures de débats, tant elle représente des contraintes et des coûts supplémentaires pour le monde de la grande distribution.

Quant à la loi ALUR dîte « Duflot », celle-ci vient renforcer les instruments de planification locale en matière de commerce. Elle consacre le SCoT comme instrument privilégié pour la construction

de l’armature commerciale urbaine123. Quelques mois plus tard, la loi Pinel renforcera le pouvoir du SCoT en offrant la possibilité d’y introduire un document d’aménagement artisanal et commercial (DAAC) dans le SCoT mais cette possibilité demeure facultative et le contenu du DAAC reste assez imprécis. Dans la mesure où ces DAAC peuvent poser des conditions d’implantation restrictives, par exemple en instaurant des seuils de surface par typologie de commerce, ils sont mal accueillis par les acteurs du commerce — notamment la Fédération du Commerce coopératif et Associé (FCA) — qui y voient un danger pour la liberté d’entreprise. Par ailleurs, cette loi propose une réforme du régime d’aménagement commercial issu de la loi LME du 4 août 2008. Elle instaure la fusion des procédures de permis de construire et d’autorisation d’exploitation commerciale. Cette mesure aurait donné aux maires le contrôle total sur les implantations commerciales mais on peut remettre en question la portée réformatrice de cette loi dans la mesure où les CDAC conservent un rôle crucial dans l’examen des projets commerciaux étant donné qu’elles se prononcent pour l’instruction des permis de construire. Si la loi accomplit le mouvement final d’intégration de l’urbanisme commercial dans le droit général de l’urbanisme, la gouvernance ne s’en trouve pas radicalement transformée.

Ces lois viennent aussi introduire de nouvelles mesures sur les friches commerciales. Alors que la loi ALUR désigne les propriétaires de terrains en friche comme responsables du démantèlement et de la remise en état des zones en friche, la loi Pinel prévoit une taxe anti-friches commerciales124. Si un local cesse d’être exploité pendant trois ans successifs, l’autorisation d’exploitation commerciale devient caduque et une taxe annuelle est alors appliquée. L’objectif d’une telle mesure est de lutter contre la vacance commerciale en incitant les propriétaires de locaux inoccupés à réaliser des travaux et à remettre sur le marché leurs biens immobiliers. En outre, la loi Pinel entend réformer les baux commerciaux afin de réguler les rapports entre commerçants-locataires et propriétaires-bailleurs en encadrant l’évolution des prix des loyers125. La hausse des loyers lors du renouvellement du bail est plafonnée (10 % du dernier loyer) pour éviter que des hausses spectaculaires de loyers en fin de bail ne viennent compromettre la survie des activités en place126. Enfin, la loi Pinel offre plus de souplesse

123 Le document d’aménagement commercial (DAC) et les zones d’aménagement commercial (ZACom) sont supprimés au profit d’orientations relatives à l’équipement commercial inscrites dans le Document d’Orientation et d’Objectifs (DOO) du SCoT.

124 Ce sont les communes ou les EPCI qui décident de mettre en place cette taxe, sur décision du conseil municipal.

125 Alors que l’évolution des loyers pouvait être indexée sur l’ICC (indice du coût de la construction, indice très volatil), la loi oblige les bailleurs à utiliser l’ILC (indice des loyers commerciaux) comme indice de référence pour le calcul de l’évolution des loyers.

126 La loi favorise aussi l’acquisition des murs commerciaux par les locataires des locaux en leur permettant d’être prioritaires en cas de cession des murs.

aux baux dérogatoires127 (aussi appelés « baux précaires ») en allongeant sa durée maximale d’un an (passant alors d’une durée de deux à trois ans). La loi se veut favorable aux locataires avec pour souci de protéger les commerçants et artisans touchés par la hausse des loyers en centre-ville. Ces dernières mesures doivent permettre de lutter contre la désertification commerciale qui touche de plus en plus de territoires et qui apparait comme la préoccupation majeure des pouvoirs publics dans les années 2010.

4.3. « Bail à céder » : vacance commerciale et instruments marchands

4.3.1. L

ANCEURS D

ALERTE ET DEBATS ELECTORAUX

:

LE COMMERCE DANS LA FRACTURE TERRITORIALE

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