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ERE un milieu de parties prenantes

5) De nouvelles règles du jeu ?

Les relations décideurs politiques - associations « changent énormément depuis 3 à 5 ans dans tous les territoires et pour toutes les activités associatives. A tel point qu’on peut parler de séisme. L’éducation à l’environnement, très concernée, est peu épargnée sur certains aspects […] Globalement on observe un accroissement net de la commande publique dans le secteur de l’Environnement et de l’éducation à l’environnement. » (DUQUENOIS O., in GRAINE RHONE-ALPES, 2008, p.2). L’attribution de subventions et la mise en place de conventions collectivité/ association sont en perte de vitesse. « Au motif qu’elle n’en veut pas s’engager sans garantie ou sécurité juridique, ni sans savoir pour quoi elle est engagée, la collectivité publique a de plus en plus souvent recours à la commande publique dont les cadres semblent plus sécurisés juridiquement (code des marchés publics) » (op. cit., p.4). Un marché public est « un contrat à titre onéreux passé entre une personne publique et un opérateur économique en vue de répondre à un besoin individualisé

1 La DIREN Rhône-Alpes, la préfecture, l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, les Rectorats de Lyon et de Grenoble, l’Ademe, le Graine Rhône-Alpes

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de la collectivité publique, avec obligation de publicité et de mise en concurrence » (CLAVAGNIER B. in op. cit., p.12).

Le passage d’une logique de subvention à une logique de marché public redéfinit le rôle réciproque de la collectivité et de l’association. Le recours au marché public donne à la collectivité l’initiative du projet. Elle identifie un besoin qu’elle souhaite combler. Pour se faire, elle fait un appel d’offres afin de trouver le prestataire qui répondra au mieux à ce besoin. Dans cette perspective, l’association n’est plus le porteur de projet. Elle ne représente plus l’intérêt général. C’est un agent économique, prestataire d’une personne publique, s’inscrivant ainsi dans une logique de sous-traitance. Derrière ce changement juridique, c’est la logique partenariale qui est remise en cause. Il ne s’agit plus de construire ensemble un projet. La collectivité est le donneur d’ordre et l’association son exécutant. Un des participants à la conférence débat a pointé cette évolution.

C’est la répartition du pouvoir entre les parties prenantes qui est en jeu mais également la question de leur engagement et de leur légitimité. En effet, les associations tirent leur légitimité de leur projet comme nous le montrerons au chapitre 5. Sans projet, l’association perd son identité mais aussi sa raison d’être et donc sa légitimité à agir.

Dans le cadre d’une délégation de service public, le rapport collectivité - association diffère peu de celui de l’appel d’offres. L’association est le délégataire de la collectivité et agit sous son contrôle. Au-delà de la redéfinition des rapports collectivité/ association, le recours à des marchés publics perturbe le fonctionnement associatif. Il porte atteinte à l’indépendance des associations qui doivent se conformer aux projets politiques des collectivités locales pour subsister, ce qui de fait, vide le projet associatif de son sens et de son contenu. Il menace par ricochet le rôle militant des associations de protection de l’environnement. Les marchés publics mettent en danger à terme la légitimité des structures associatives et peut-être même leur existence juridique. Le passage d’une logique de convention à celle des marchés publics est donc lourd de conséquences.

On le voit nous, dans notre position de réseau régional, se généraliser, enfin, au moins se diffuser, de plus en plus souvent, une logique de collectivités qui achètent des prestations. Et cette logique là, si elle apparaît très clairement aujourd’hui, avec des règles comme les marchés publics, la crainte que les collectivités (…) la gestion (…) que ce soit transparent. Y’a quelques années, il y avait pas forcément cette crainte, et on était quand même dans un flou dans les conventions entre les associations et les collectivités, un flou qui à la fois reconnaissait un petit peu la capacité d’initiatives des associations à proposer des projets éducatifs sur le territoire, et en même temps, qui intégrait aussi beaucoup, les besoins, les attentes des collectivités par rapport aux projets que l’association portait. Donc voilà, c’est souvent assez difficile de savoir où est la prise d’initiatives. Dans le cadre d’une subvention, c’est la collectivité qui reconnaît le projet d’association et l’intérêt général, apporte les moyens pour que l’association réalise ce qu’elle a monté. Et bien sûr, au moment de cette négociation là, la collectivité, si l’association n’a pas tenu compte de la politique globale de la collectivité, (…) elle a adhéré à fond à sa politique. Mais à partir du moment où de plus en plus de collectivités dans le schéma, enfin, dans le contexte global de prise en compte de l’environnement et du DD, s’approprient et il semble qu’elles ont la volonté d’être maître d’ouvrage, qu’il y a une volonté d’être propriétaire un petit peu des choses... de la communication, de la politique, etc. Là, ils sont beaucoup plus perdants dans ce chapitre. Donc, vous allez faire ce que je vous dis que vous fassiez, parce que c’est mes besoins, et moi, ma politique au Conseil Général (…) et je n’ai que des besoins et l’argent que j’ai ne doit être mis que sur l’animation qui y correspond. Et tout le reste ne m’intéresse pas, ce n’est pas ma compétence. Ce n’est pas la peine, je n’y connais rien. (…) Donc, j’ai besoin de vos compétences, mais je n’ai pas forcément besoin de tout ce que l’association met derrière : le travail scientifique, le lien social, … c’est quand même très remis en question actuellement. Conférence débat – atelier 1 – intervention n° 115

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Le recours de plus en plus fréquent aux appels d’offres en matière d’ERE traduit les difficultés des collectivités territoriales à se repérer dans le nouveau code des marchés publics, mais également les craintes des élus à accorder des subventions dans la mesure où c’est leur responsabilité pénale qui est engagée en cas litige.

«Il n’y a pas d’obligation de mise en concurrence lorsque :

_ L’association a pris l’initiative du projet, exerce l’activité sous sa responsabilité sans que la collectivité publique en détermine le contenu. Nous ne sommes pas dans le domaine de la mise en concurrence, ni de la commande publique, cela relève de la convention de subventions.

_ L’association est à l’initiative d’un projet dont l’importance aux yeux de la collectivité en raison de l’intérêt général, l’amène non seulement à le soutenir fortement y compris financièrement mais aussi à exercer un droit de regard sur son organisation.

_ L’association ne peut pas être regardée comme un opérateur intervenant sur un marché concurrentiel compte tenu de la nature de l’activité et des conditions dans lesquelles elle l’exerce. Les critères du marché public impliquent que l’activité soit exercée par un opérateur économique intervenant sur un marché concurrentiel. _ Lorsque des personnes publiques créent, pour gérer un service un organisme dont l’objet statutaire exclusif est de gérer ce service et sur lequel elles exercent un pouvoir de contrôle comparable à celui qu’elles exercent sur leurs propres services1» (B. Clavagnier, 2008, p.14).

Le passage à une logique de marché public semble aussi traduire une préoccupation croissante des collectivités pour l’éducation à l’environnement vers le développement durable, une volonté d’investir ce champ, d’être identifié comme un acteur et donc de porter un projet politique dans le domaine. D’où la formalisation croissante des politiques publiques en ERE. Le marché public donne aux collectivités territoriales la maîtrise d’ouvrage. Les relations entre associations et décideurs politiques tendent donc d’une manière générale à se diversifier et à se complexifier, ce qui amène certaines associations ou réseaux comme le GRAINE Rhône-Alpes à se prononcer contre les appels d’offres qui nuisent, voire annihilent, le partenariat association/collectivité.

Le tableau dressé précédemment où les structures d’ERE, qui sont principalement des associations, polarisent le milieu, est une image instantanée. Or le milieu connaît actuellement les fortes évolutions que nous venons de mettre en avant. On peut imaginer que si le recours à l’appel d’offres se diffuse et se généralise, la configuration du milieu présentée ici tendra à se modifier, pour faire des décideurs politiques les centres de l’action. Ce qu’on a montré pour le développement durable, à savoir que c’est un instrument politique, sera vrai pour l’éducation relative à l’environnement. Il semble s’opérer une appropriation du champ par les décideurs politiques locaux et régionaux qui fixent de nouvelles règles du jeu défavorables aux autres acteurs, notamment les associations mais pas seulement. On verra que l’école ne voit pas d’un bon œil l’émergence d’un leadership porté par les collectivités locales (Chapitre 4).

L’éducation relative à l’environnement est aujourd’hui un milieu en tension, pris entre des jeux de pouvoirs qui la dépassent mais qui contribuent à la définir. Dans cette partie d’échecs, toutes les parties prenantes n’ont pas le même poids ni le même pouvoir d’attraction. Le milieu est, de fait, non homogène, anisotrope. Deux facteurs sont

1 L’auteur précise en aparté que la 4ème situation est juridiquement risquée car elle est proche de celle d’une association transparente, c’est-à-dire contrôlée par la collectivité, ce qui est illégal.

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particulièrement discriminants : le premier est le territoire, le second est le type de public ciblé. Le milieu ne se décline pas de manière identique sur tous les territoires. On peut constater sur la figure 20 que la densité relationnelle est beaucoup plus marquée dans la Loire et le Rhône. Cela signifie que les parties en présence sont moins nombreuses dans l’Ain et souvent de taille plus modeste que dans les deux autres départements. L’analyse du milieu appelle donc à s’interroger sur les territoires de l’ERE.