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La posture, le vocable et les choix opérés dans le champ de l’ERE par l’Ecole en France sont calqués sur ceux édictés par l’UNESCO. Dans un premier temps, c’est en termes d’éducation à l’environnement que la question est abordée. Puis sous l’impulsion de l’UNESCO, l’institution scolaire s’est orientée vers le développement durable.

L’Agence de l’eau n’intervient que sur la thématique de l’eau d’où l’appellation « éducation à la préservation des milieux aquatiques ».

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1) Un engagement balbutiant pour une

éducation à l’environnement

L’engagement officiel et explicite de l’Ecole pour une éducation en lien avec l’environnement date de 1977 (circulaire n°77-300 du 29 août 1977 ANNEXE 10), deux ans après la conférence de Tbilissi qui pose les cadres de référence et les lignes directrices pour développement l’ERE aux échelles nationale et régionale. Il ne s’agit évidemment pas d’une coïncidence. La France affiche ainsi la mise en place d’un politique en matière d’ERE.

«Ainsi est-il apparu indispensable que l’école apporte aux élèves dès leur plus jeune âge et tout au long de leur scolarité, une formation qui leur permette de saisir les problèmes de l’environnement de façon intelligente et constructive1. » En réalité, les engagements affichés sont modestes : «chaque élève, au cours de sa scolarité obligatoire, devra avoir bénéficié une fois au moins de l’une de ces formations transversales spécifiques». La circulaire de 1977 ne définit pas un plan d’action destiné à développer l’ERE. On peut donc penser qu’elle constitue plus une déclaration d’intention qu’un réel engagement, une reconnaissance de l’existant plus qu’une projection dans l’avenir.

L’engagement de l’école au côté de l’UNESCO, pour une éducation relative à l’environnement est dans un premier temps modeste. D’ailleurs le vocable employé pour désigner ces actions éducatives n’est pas celui de l’UNESCO. L’Ecole ne parle pas d’ERE. Il est question « d’éducation en matière d’environnement » qui permette « de développer chez l’élève une attitude d’observation, de compréhension et de responsabilité à l’égard de l’environnement » et de le mettre « en relation directe avec les différents milieux de vie ». C’est une éducation, « pour », « au sujet de » et « par » l’environnement qui est successivement ciblée sans que les termes ne soient employés. La circulaire de 1977 ne mentionne ni l’expression « d’éducation à l’environnement », ni celle « d’éducation relative à l’environnement ». Il est nécessaire d’attendre le protocole du 14 janvier 19932 entre le ministère de l'Éducation Nationale et de la Culture et le ministère de l'Environnement, pour que l’expression « éducation à l’environnement » soit employée officiellement.

L’engagement de l’Ecole en matière d’ERE est allé croissant au fil des décennies. Lorsque l’UNESCO s’oriente vers une éducation au développement durable, la France lui emboîte le pas.

2) Une réorientation franche vers un

développement durable

La France a engagé son Ecole en 2004 sur la voie d’une éducation tournée vers le développement durable. L’Education Nationale publie ainsi une circulaire (n°2004-110 du 8 juillet 2004 en ANNEXE 11) intitulée « généralisation de l'éducation à l'environnement pour un développement durable » (EEDD). Contrairement à la circulaire précédente, la volonté affichée est claire. Il s’agit d’une part d’orienter l’éducation à l’environnement vers le développement durable et d’autre part, de généraliser cette éducation. Pour ce faire, un plan d’action est étayé avec la mise en place de formations et de ressources et l’introduction de la notion dans les différents programmes d’enseignement disciplinaire, au fur et à mesure de leur révision. 2004 n’est que la première étape de la généralisation de l’EEDD. Une seconde circulaire (N°2007-077 du 29 mars 2007 en ANNEXE 7) parachève la généralisation. « Aujourd’hui, il s’agit d’aller plus loin en lançant la deuxième phase de généralisation. Le nouveau plan triennal en faveur de l’éducation au développement durable (EDD) couvrira la

1BO n°31 du 8 septembre 1977 2 BO n°3 du 21 janvier 1993

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période 2007-2010. » Cette nouvelle circulaire entérine l’orientation de l’Ecole vers la durabilité. Une étape est même franchie car le terme d’environnement a disparu des prescriptions officielles. Il ne s’agit en effet plus d’éducation à l’environnement pour le développement durable mais d’une éducation au développement durable (EDD). L’Institution scolaire française s’inscrit là encore dans la lignée de celle de l’UNESCO à laquelle il est d’ailleurs fait référence en introduction de la circulaire. « Cette deuxième phase se développe dans un double contexte :

- un cadre institutionnel, avec la Charte de l’environnement qui inscrit les questions environnementales dans les grands principes de la République française depuis mars 2005 ; - un nouveau cadre mondial voulu par l’Organisation des Nations unies : “la Décennie pour l’éducation au développement durable” déclinée au niveau européen par la stratégie de Vilnius.»

L’institution scolaire a suivi le chemin de l’UNESCO qui l’a conduit d’une « éducation relative à l’environnement » à une « éducation au développement durable ». Le passage de l’une à l’autre constitue une rupture déjà soulignée précédemment. Entre les deux, les enseignants ont des difficultés à se conformer aux directives nationales.

3) Des enseignants perdus entre

l’environnement et le développement durable

Pour développer ici une analyse sur la posture et le positionnement des enseignants en matière d’éducation à l’environnement, nous anticiperons sur des résultats partiels de deux actions de recherche dont la méthodologie est présentée dans la seconde partie de ce travail (Partie 2, chapitre 6). Nous avons déjà explicité ce choix dans l’introduction. Ces deux actions de recherche sont :

Une enquête faite au printemps 2006, dans l’Académie de Lyon, auprès des enseignants du primaire et ceux du secondaire en sciences et vie de la terre (SVT), sciences économiques et sociales (SES), histoire-géographie et physique-chimie. Les résultats de cette enquête ont ensuite été présentés et mis en débat par une assemblée composée d’enseignants, de membres de l’institution scolaire en charge de l’EEDD, de chargés de mission EEDD au sein de collectivités territoriales et d’éducateurs à l’environnement issus du monde associatif. Les échanges de ces débats seront également en partie, exploités ici.

Une analyse des dossiers pédagogiques déposés par les enseignants de primaire et de collège auprès du Rectorat pour l’année scolaire 2007-2008, sur le thème de l’eau, pour obtenir des financements.

Ces deux actions de recherche aboutissent à un constat commun. La posture et le positionnement univoque de l’institution scolaire en faveur d’une éducation tournée vers le développement durable, se traduit sur le terrain par une pluralité de postures et de positionnements des enseignants. Dans l’ensemble, les enseignants s’inscrivent plus dans le cadre d’une éducation à l’environnement qu’une éducation au développement durable.

(a) Un affichage environnemental

Au cours de l’enquête académique, il a été demandé aux enseignants s’ils avaient mené au cours de l’année scolaire précédente, un projet ou une action pédagogique sur l’environnement, le développement durable, l’environnement et le développement durable ou aucun des trois. Le tableau ci-dessous synthétise la distribution des réponses à cette question.

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Tableau 1 : Résultats de la question 28 de l’enquête académique (sources : Enquête Internet 2007, C. Leininger-Frézal, 2009)

Le premier constat qui s’impose est la dispersion des enseignants entre les différentes réponses proposées. Un tiers des enseignants ayant monté un projet en éducation à l’environnement se positionne en dehors du champ du développement durable. Moins d’un enseignant sur cinq s’identifie pleinement dans le champ du développement durable. La position des enseignants se positionnant à la fois dans le champ de l’environnement et dans celui du développement durable est plus ambiguë car cette enquête ne permet pas d’approfondir cette réponse. Il est tout à fait possible que ces enseignants aient associé l’environnement au développement durable plus parce qu’il s’agit d’une demande institutionnelle, que parce qu’il s’agit d’un choix pédagogique réfléchi.

Les dossiers pédagogiques permettent d’aller plus loin dans l’analyse. Ils ont été classés en trois catégories : ceux se plaçant uniquement sur le champ environnemental, ceux se positionnant uniquement sur le champ du développement durable et dans une position intermédiaire se positionnant sur les deux champs. Cette répartition des dossiers a été faite en fonction de la formulation du dossier, notamment au travers du champ lexical mobilisé.

Les dossiers mobilisant le terme de développement durable, que ce soit dans les objectifs pédagogiques ou dans le descriptif de l’action, ont été automatiquement positionnés dans la 2ème ou la 3ème catégorie ; ceux ne mobilisant pas le terme dans la première, ces derniers utilisant alors souvent un vocabulaire naturaliste. Enfin, les dossiers de la 3ème

catégorie se caractérisent pas un champ lexical mixte : le terme de développement durable est mobilisé mais il est accompagné de termes naturalistes, d’une perspective écologique …

Positionnement des projets

pédagogiques analysés Nombre de dossiers concernés

L’environnement 37

Le développement durable 4

Les deux 11

Total des citations 52

Tableau 2 : Positionnement des projets pédagogiques par rapport au développement durable. (Sources : Analyse de projets enseignants 2006/2007, C. Leininger-Frézal, 2009)

Dans le cadre de cette analyse, plus de la moitié des dossiers (37/52) ont une approche strictement environnementale. Le décalage avec l’enquête académique vient de la nature des données analysées. L’enquête repose sur du déclaratif, sur ce que les enseignants pensent faire, alors que les dossiers pédagogiques conduisent à des observations directes1 analysées selon des critères exogènes. Il pourrait également venir d’un décalage dans le temps : l’enquête porte sur des projets de 2005-2006 et les dossiers pédagogiques sur des projets réalisés au cours de l’année 2007-2008. Cette hypothèse ne

1 Il ne s’agit pas d’observations d’enseignants en situation mais de l’observation directe de la manière dont les enseignants ont pensé et formulé leur projet.

Avez-vous conduit au cours de l’année

scolaire 2005-2006 un projet sur … ? Nombre de citations

L’environnement 24

Le développement durable 10

Les deux 31

Aucun des deux 56

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peut être validée statistiquement parce que le nombre de données est trop restreint. De plus, elle est peu probable d’une part parce que l’institution scolaire pousse dans le sens de projet s’inscrivant dans la perspective du développement durable, d’autre part elle est contraire aux observations faites sur le terrain.

Pour revenir aux résultats, la grande majorité des dossiers (37/52) ne formule pas leur projet et leur problématique en termes de développement durable mais d’environnement. Les enseignants ont donc peu investi la notion de développement durable dans leur pratique pédagogique. Ce constat s’inscrit dans la lignée des conclusions d’une enquête menée par l’INRP (BOYER R. et POMMIER M., 2005) en 2004-2005, qui soulignait la faible appropriation de la notion par les enseignants. Quand il est demandé aux enseignants de définir le développement durable, « d’emblée, les enseignants, comme pris au dépourvu, avouent pour une bonne moitié une incapacité à donner une définition de la notion de développement durable. Les premières réactions témoignent d’un faible degré de connaissances et du flou de leurs représentations. [ …] Les commentaires des enseignants les plus informés désignent la notion comme abstraite, complexe, multidimensionnelle, pas clairement définie ou contradictoire dans les termes (un développement qui dure, qui ne se développe pas ?). C’est aussi une notion récupérée, un terme à la mode qui suscite la réserve, la méfiance » (BOYER R. et POMMIER M., 2005, p.8). Certes cette enquête est ancienne au regard du contexte qui a changé depuis avec la nouvelle circulaire de 2007. Il est intéressant de noter que les pratiques semblent voisines.

La réaction d’une des participantes au débat mené sur les résultats de l’enquête académique abonde également dans ce sens. C’est une technicienne de l’e,nvironnement. Elle réagit à la question « qu’est ce que le développement durable ? » : « Je dis que c’est une très bonne question puisqu’en Isère chez nous, il est bien ressorti qu’il manquait de précision le terme de développement durable. [ …] C’est une enquête menée auprès des établissements scolaires de la CAPI [une Communauté d’Agglomération aux Portes de l’Isère] sur les 20 communes en février mars 2008. » (Citation atelier 1, p. 3)

Pour résumer, les enseignants n’inscrivent pas spontanément leurs projets pédagogiques dans la perspective d’un développement durable. En revanche, quand ils le font, ils entrent dans les directives données par l’institution scolaire.

(b) Le développement durable, un savoir à enseigner et un cadre de référence

Les enseignants mobilisent le développement durable de deux manières. C’est tout d’abord une notion à acquérir, présente dans les objectifs du projet. Il s’agit d’« ancrer l’environnement proche des élèves, le développement durable et la biodiversité » projet n°37, de « sensibiliser à la notion d’environnement et de développement durable » projet n°31 ou de «construire la notion de développement durable » projet n°33

Le statut du développement durable dans les dossiers pédagogiques, est celui d’un savoir présent dans les contenus disciplinaires au programme. « Le thème du développement durable occupe une place importante dans cette rénovation de l’enseignement des sciences. » projet n°42. Cette notion est alors souvent juxtaposée à celle d’environnement.

Le terme de développement durable est aussi employé comme cadre de référence au projet. « Nous espérons […] leur (aux élèves) faire prendre conscience de la nécessité de tenir compte des caractéristiques environnementales pour s’assurer un développement durable. » projet n°30. De la manière le projet n°32 vise à « développer des gestes écocitoyens dans le cadre du développement durable » et le n°49 « mettre en œuvre des

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actions concrètes en faveur de la protection de l’environnement pour un développement

durable. »

Pour conclure, l’engagement des enseignants dans une éducation à l’environnement tournée vers le développement durable est encore limité. L’affichage fort de l’institution scolaire en faveur du développement durable n’a pas engendré une adhésion forte du côté des enseignants. Il ne s’agit peut-être que d’une question de temps dans la mesure où la notion de développement durable est introduite dans les nouveaux programmes. Néanmoins, les partenaires financiers des enseignants, les collectivités locales et les agences publiques, ont des postures tout aussi variées que celles des enseignants. Dans la mesure où ce sont les premiers soutiens des projets d’éducation à l’environnement, il est possible que les enseignants ne se sentent pas contraints d’orienter leur projet vers le développement durable si les décideurs politiques qui les soutiennent et les financent ne l’exigent pas.