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1) La croyance en un développement durable

Le développement durable, comme le développement, relève de la croyance. Gilbert Rist (1979) soutient en effet « l’hypothèse que la période qui s’est étendue de la fin de la seconde guerre mondiale à la fin de l’Empire soviétique a été parcourue par deux formes de « développement » : la première s’inscrit dans le prolongement de cette croyance ordinaire qui a inspiré l’extension coloniale, tandis que la seconde s’est manifestée à la manière des messianismes religieux, soucieux d’instaurer dans l’histoire, sans attendre et de manière volontariste, l’idéal d’une société juste et opulente » (RIST G., 1979 (2007, p. 340). La première forme de développement correspond au «développement réellement existant» et la seconde au développement idéal et mythique. Cette croyance affirme que «la bonne vie» de tous peut être assurée par les progrès de la technologie et une croissance illimitée de la production de biens et de services, dont chacun finira par profiter (par le biais du Trickle down Effect). Ce « développement » constitue la promesse d’une abondance généralisée et, à l’image de ce qui se passe dans l’ordre biologique, il est considéré comme « naturel », positif, nécessaire et indiscutable. » (RIST G., 1979 (2007, p.375). Cette croyance est contraire aux réalités historiques constatées : les pays dits sous-développés n’ont pas atteint le niveau de développement des pays dits développés. Elle n’est pas soumise aux doutes car « la croyance est ainsi faite pour qu’elle tolère aisément les contradictions » (RIST G., 1979 (2007, p.52).

Cette hypothèse est pertinente pour trois raisons.

Tout d’abord, le développement correspond à la définition du terme de croyance : «fait de croire à la vérité ou à l’existence de quelque chose » ((Petit Larousse, 2003). Le fait même de parler de pays développés et de pays sous-développés traduit l’existence du développement comme un fait avéré. Les pays dits sous-développés ne sont que la traduction négative du développement, généré par son absence. Sur le plan sémantique, le développement est une croyance.

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Parler de croyance en référence au développement souligne la dimension prophétique du concept. En effet le développement correspond au stade ultime de toutes sociétés. Il constitue donc l’avenir certain des pays dits sous-développés qui n’ont pas atteint ce stade.

Enfin, penser le développement comme une croyance traduit un phénomène religieux contemporain : la sécularisation du religieux. Le fait religieux est sorti au cours du XXème siècle des institutions ecclésiastiques. Il n’est plus le monopole de quelques églises. Il se retrouve sous des formes plus anciennes dans de nombreuses pratiques quotidiennes somme l’astrologie, la voyance, le yoga … Placer le développement sur le plan de la croyance ne renvoie pas à la mise en place d’un nouveau dogme religieux mais simplement à ce phénomène de sécularisation du religieux.

Comme le développement, le développement durable est un mythe moderne. Il ne postule pas seulement l’avènement d’un bonheur rendu possible pour l’ensemble des peuples grâce à une abondance de biens et de services. Il rajoute la venue d’un bonheur qui repose sur une harmonie entre l’Homme et la Nature. Le terme de Nature est ici plus approprié que celui de milieu biophysique car il renvoie à un ensemble de représentations que contient la durabilité forte. La Nature, c’est le mythe d’un milieu biophysique exempt de la présence humaine, création divine encore vierge, que l’intrusion humaine ne peut qu’abîmer. Cette dimension mythique de la notion a une valeur prophétique.

2) La prophétie du développement durable

Le développement durable désigne à la fois l’harmonie entre l’Homme et la Nature et le chemin pour y parvenir. C’est un état et un processus. Cet état de développement durable se situe dans un avenir plus au moins lointain. Contrairement au développement, le développement durable se situe dans un avenir qui n’est pas certain mais hypothétique et probable. Pour y parvenir, il faut faire des efforts. L’incertitude participe pleinement au développement durable. C’est l’incertitude des risques que fait peser le milieu biophysique sur l’humanité avec le réchauffement climatique, le trou dans la couche d’ozone, la fonte des glaciers… Ces risques sont naturels mais aussi technologiques ou sanitaires. C’est aussi l’incertitude des choix opérés par l’Homme. C’est pour mieux gérer l’incertain que les partisans d’une durabilité forte soutiennent le principe de précaution. En l’absence de connaissances certaines sur l’impact d’un produit ou d’un phénomène sur le milieu biophysique, mieux vaut s’abstenir.

Cette rhétorique s’appuie sur un argumentaire catastrophiste. Si vous n’entrez pas dans un processus de développement durable, l’humanité sera frappée, non pas de la colère des dieux comme dans le cas d’une croyance ecclésiale, mais de la colère de la Nature. Dit de manière plus rationnelle, sans développement durable, l’impact de l’homme sur le milieu biophysique engendra des catastrophes naturelles (inondations, réchauffement climatique, fonte des glaciers…), des catastrophes technologiques (explosions de centrale nucléaire…) et sanitaires (de type de la grippe aviaire transmise à l’homme) qui mettent en danger la survie de l’humanité. Les risques encourus et leurs causes étant de dimension planétaire, tout le monde doit se convertir au développement durable. C’est une obligation morale et éthique envers nos congénères mais également envers les générations futures.

L’intérêt d’une croyance est qu’elle contraint à agir. « L’action déterminée par la croyance est obligatoire et ne repose sur aucun choix » (RIST G., 1979 (2007, p.50). Le développement durable est une nécessité sans laquelle nous courons à notre perte. Elle s’impose d’elle-même, notamment aux instances internationales qui l’imposent à leur tour, de manière exogène sur les pays dits sous-développés. C’est ainsi que toutes les aides aujourd’hui apportées dans ces pays sont conditionnées par une clause de développement durable. Ils doivent montrer leur engagement au service du développement durable. Ce

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constat est aussi vrai à d’autres niveaux d’échelle. Pour obtenir des subventions publiques (étatiques ou non) dans les pays dits développés, les projets présentés actuellement doivent avoir un affichage développement durable. En dehors du développement durable, point de salut.

En conditionnant l’aide et les subventions publiques à la prise en compte du développement durable, les pays dits développés imposent aux autres leurs croyances. C’est une forme d’évangélisation écologique. L’adhésion à ces croyances n’est pas requise mais il faut faire comme si. Chaque nouvelle catastrophe, parfois seulement un nouveau changement, apparaît comme un signe de la nécessaire conversion au développement durable, ce qui conforte les pays dits développés dans leur position. La rhétorique de la durabilité est très puissante. Elle a réussi à s’introduire dans les milieux qui semblaient être les plus hostiles : les grandes firmes internationales. Pourtant, sa perfusion au sein des pays dits sous-développés reste superficielle. Le développement durable reste un élément hétérogène à la culture de ces pays qui recherchent d’abord à atteindre un niveau de vie correct quel qu’en soit le prix.

L’émergence d’un développement durable repose sur un processus de conversion qui mobilise les mêmes ressorts que le développement. C’est une croyance qui sert de levier d’action pour imposer aux pays non occidentaux un standard culturel, économique et social. Le développement durable renouvelle ainsi le paradigme du développement sans pour autant en ébranler les fondements. De la même manière, le développement durable propose un aménagement du capitalisme en le maquillant de vert. Il constitue quoiqu’il en soit une forme de capitalisme. C’est là que réside toute la force du développement durable. Il dépoussière les anciens cadres de la pensée politique, les transforme, les customise sans les réformer en profondeur.

Le développement durable en devient paradoxal. Il parvient à exprimer tout et son contraire. Il rassemble ainsi sous la même bannière, des partisans de la sauvegarde du milieu biophysique (durabilité forte) et des partisans d’une croissance durable (durabilité faible), les pays sous-développés et les pays développés, les politiques et les scientifiques etc. Fondamentalement, le développement durable est un instrument politique destiné à maintenir l’ordre des choses. Non pas que rien ne change, mais que ce qui change ne bouleverse pas le Tout. Pour garantir la stabilité politique, il est nécessaire de plier l’éducation aux exigences du développement durable. C’est ainsi que d’une éducation relative à l’environnement inscrite dans la lignée de l’écodéveloppement et à la recherche d’un changement sociétal, a glissé doucement mais sûrement vers une éducation au développement durable, garante d’une absence de changement.

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CHAPITRE 2 LE GLISSEMENT

D’UNE EDUCATION RELATIVE A