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b) L’origine de l’ERE dans une perspective éducative et pédagogique

1) Eduquer à l’environnement, une idée

ancienne

L’environnement devient au XVIIIème siècle un objet mais également un support de l’éducation. Rousseau a développé cette idée dans son Emile où le protagoniste éponyme est éduqué dans et par le milieu biophysique. Il ne s’agit pas seulement d’apprendre au sujet du milieu mais par le milieu biophysique. C’est dans ce contexte qu’Emile grandit. Il acquiert son autonomie dans la confrontation de ses acquis avec la société humaine et les contradictions qui en émergent. L’Emile est un ouvrage profondément humaniste. Il défend l’idée que l’Homme est bon naturellement. C’est la société qui le pervertit par ses vices. Rousseau oppose ainsi l’état de nature à l’état social. Il est nécessaire d’éduquer dans la Nature pour que l’enfant conserve le plus possible ses qualités originelles, une fois plongé dans la société. Au-delà d’une éducation au milieu biophysique, l’Emile s’inscrit dans le cadre plus large d’une éducation relative à l’environnement. C’est dans la confrontation entre le milieu biophysique d’une part et le milieu social d’autre part que l’enfant se construit. On retrouve ses thèses chez Pestalozzi dans Comment Gertrude instruit ses enfants ? L’auteur voit en effet dans l’éducation, le temps nécessaire de la rencontre entre le désir naturel et le donné social.

L’idée d’éduquer par et dans l’environnement semble donc ancienne mais sa mise en œuvre est plus récente. Il faut attendre le XIXème siècle pour que se développe à grande échelle une éducation tournée vers le milieu biophysique.

2) Les précurseurs

L’hypothèse émise ici est que les mouvements d’éducation non formelle ont constitué le ciment sur lequel s’est structuré le champ de l’ERE en Europe.

Le scoutisme reprend à son compte l’idée que l’éducation émerge de la confrontation avec le milieu biophysique. « C’est le cas de la démarche de Baden Powell dans le scoutisme, qui voulait former des cadres dirigeants de la société dans un affrontement fondateur avec des éléments naturels… » (BACHELART D., 2006, p. 8). Dans la lignée du scoutisme, les mouvements d’éducation populaire et d’éducation nouvelle dans les années 1960 ont utilisé l’environnement comme un outil au service de l’éducation globale de la personne et non comme un outil de protection du milieu biophysique. «L’homme est au centre de notre démarche, ce qui revient à prendre clairement position sur la nécessité de maîtriser les éléments naturels à son profit (une maîtrise qui contient et dépasse à la fois la seule notion de respect de la nature). Il faut réaffirmer, comme l’éducation nouvelle s’y attache, la nécessaire prise en compte des potentialités des individus, de leur capacité et de leur volonté d’évoluer » (MINE F. et CHAVAROCHE V., juin 2002, p.9). Il s’agit d’apprendre dans le milieu et du milieu dans un cadre ludique et agréable. « Depuis l’origine des centres de vacances et de loisirs, les notions du milieu, de découverte du milieu, de respect de

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l’environnement ont eu une place prépondérante. Une véritable sensibilisation, une éducation à la Nature ont ainsi été souvent développés dans les séjours » (CEMEA*, 1996). Les mouvements d’éducation nouvelle et populaire ont ainsi développé des approches pédagogiques en lien avec le milieu comme la pédagogie de projet. Un véritable travail historique serait nécessaire pour identifier comment l’ERE a été un élément structurant de ces courants éducatifs.

Il serait également intéressant de questionner le statut de cette éducation parce que les mouvements d’éducation non formelle ne se reconnaissent que de manière récente dans l’éducation relative à l’environnement. Plusieurs d’entre eux désignent le début des années 1990 comme le début de leur engagement dans ce champ éducationnel. FOEVEN*, fédération des AROEVEN*, déclare avoir pris en compte l’environnement et le développement durable dans les projets éducatifs à partir de 19911, la Ligue de l’enseignement en 1992 avec le programme «Citoyenneté – Environnement- Développement durable», et les CEMEA* en 1993.

Figure 9 : Présentation des séjours éducatifs de la Ligue de l’Enseignement

La conférence de Rio est avancée par ces trois mouvements comme un élément déclencheur. En réalité, l’ERE est un de leur principe structurant sans que les acteurs ne l’aient identifié comme tel. C’est ce qui nous amène à notre seconde hypothèse.

Les mouvements d’éducation non formelle ne sont que les précurseurs de l’ERE mais l’éducation relative à l’environnement représente pour eux un principe d’éducation plus qu’un

1 Les dates citées ici sont issues des sites Internet des structures.

Le programme Citoyenneté Environnement et développement durable encadre la démarche d’écoresponsabilité des centres d’accueil de la ligue de l’enseignement. En plus de projet d’ERE, les CED ont une réflexion sur leur fonctionnement au quotidien.

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champ éducationnel à part entière. C’est donc par la médiation d’autres acteurs que le champ s’est organisé et structuré.

3) Les passeurs

La seconde hypothèse postule que l’autonomisation et la structuration de l’ERE en tant que champ éducationnel à part entière a nécessité l’émergence de nouveaux acteurs pour lesquels l’ERE est un objet en soi.

Les réseaux et les organisations qui structurent et donnent de la lisibilité à l’ERE aujourd’hui, sont apparus dans les années 1980 (GRAINE Rhône-Alpes, CIRASTI*, Ecole et Nature). L’enseignement agricole semble avoir joué un rôle important. Dans un de ses fascicules, le ministère de l’agriculture et de la pêche (MINISTERE DE L’AGRICULTURE ET DE LA PECHE, 1998) met en avant le rôle du CENPAMA*, du CEP* de Florac, du lycée agricole de Neuvic et de Centre d’Enseignement zootechnique (CEZ) de Rambouillet dans l’émergence de l’éducation relative à l’environnement. Le CENPAMA* organise dès 1973 des stages de découverte du milieu à destination des enseignants en vue de développer une pédagogie appliquée à l’étude du milieu. De la même manière, le CEP* de Florac ouvert dans les années 1970 vise à sensibiliser les élèves, les enseignants et les formateurs à l’étude du milieu, en leur proposant une approche globale de la pédagogie et en utilisant une méthodologie spécifique. Il s’agit d’aborder le milieu de manière différente de celle proposée traditionnellement par l’école, qui subit le découpage disciplinaire. Ces deux premières expériences ont débouché ensuite sur :

La création d’un diplôme spécifique sanctionnant des compétences en ERE : c’est le BTSA* Protection de la Nature1,

La refonte des programmes de l’enseignement agricole dans les années 1980 avec la mise en place d’un module d’ « initiative locale et d’adaptation régionale » propice à des projets d’ERE, et l’inscription de l’établissement dans son milieu,

La création du Centre d’Enseignement Zoologique (CEZ)

Ces initiatives sont restées de l’aveu même du ministère de l’agriculture à la marge de l’enseignement agricole. L’enseignement agricole semble néanmoins avoir participé à la reconnaissance de l’ERE en tant que champ éducationnel propre en identifiant des compétences spécifiques, reconnues par une formation et un diplôme à part entière. Elle a ainsi initié un mouvement qui conduit ensuite à l’émergence d’autres formations comme le BEATEP*, diplôme de Jeunesse et Sport, mis en place par les mouvements d’éducation populaire, créé en mars 1986. Pour aller plus loin, il serait nécessaire d’identifier les fondements pédagogiques développés par l’enseignement agricole et d’examiner dans quelle mesure ils sont présents aujourd’hui dans les pratiques portées par les réseaux d’ERE. Il serait également intéressant d’analyser le parcours professionnel des praticiens formés au sein de la filière agricole.

L’apparition de professionnels de l’ERE (les éducateurs à l’environnement) a permis à des structures (associations de protection de l’environnement, associations de développement rural…) d’investir le champ, d’afficher un savoir-faire et de développer des actions. De fil en aiguille, on en arrive à des structures d’ERE2 organisées en réseaux. Le réseau Ecole et Nature en est un exemple. Il « est né en 1983, lorsque des enseignants et des animateurs sensibles aux atteintes portées à la nature ont eu envie de mettre en

1 Devenu BTSA* Gestion et Protection de la Nature (GPN)

2 Le terme de «structures d’ERE » est une expression générique pour désigner des structures qui font de l’ERE mais dont ce n’est pas forcément le cœur de métier.

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commun leurs réflexions, leurs pratiques et leurs projets d'éducation à l'environnement. Rapidement il s'est élargi à tous les acteurs de l'éducation à l'environnement. Il réunit aujourd'hui des individus, des structures et des réseaux régionaux et départementaux.1». La structuration en réseau est un outil au service des structures : elle participe de la professionnalisation et de la lisibilité du champ. Ecole et Nature est le plus important réseau d’ERE en France. Il en existe d’autres comme le Collectif Français pour l’Education à l’Environnement vers un Développement Durable (CFEEDD) créé en 1997 qui « a pour vocation de regrouper les organisations de niveau national […] pour être la plate-forme représentative et reconnue des acteurs de la société civile œuvrant en faveur du développement de l’éducation à l’environnement en France2 ».

Les acteurs qui ont contribué à diffuser les principes de l’ERE, semblent donc être ceux de l’enseignement agricole ainsi que les structures qui ont ensuite pris en charge des actions d’ERE. Ils constituent, pour moi, des « passeurs », car ils sont parvenus à porter ces idées au-delà de l’entre-soi.

Dans l’ensemble les grandes étapes de l’histoire de l’ERE dessinées ici, ne sont qu’une ébauche qui appelle un vrai travail d’investigation historique. Que ce soit dans une perspective environnementale ou dans une perspective éducative et pédagogique, l’éducation relative à l’environnement s’inscrit en rupture avec le modèle éducatif traditionnel et avec le cadre sociétal de lequel il s’inscrit. L’ERE est une éducation au changement qui a été encouragée et soutenue par les instances internationales (ONU ; UNESCO). Aujourd’hui ces mêmes institutions opèrent un glissement vers une éducation au développement durable en inscrivant le second dans le sillage du premier. Ce glissement est essentiellement politique.

B. De l’ERE à l’éducation à l’environnement vers un

développement durable : un choix d’en haut ?

Le développement durable est une notion diffusée du haut vers le bas selon une logique descendante impulsée par les instances internationales. Son introduction dans le champ éducatif participe de la même logique et de la même dynamique.

1. Le développement durable : un choix politique